Face à la Terreur

Serge Raffy : – Il ne faut rien exagérer ! Le juge Burgaud n'a pas été couvert de plumes et jeté dans du goudron !

Alain Marsaud : – Je me demande si les sunlights et les caméras de télévision, dans certaines situations, ne sont pas pires que la plume et le goudron. Je ne cherche pas ici à défendre le juge Burgaud. Je veux simplement dire que j'ai eu, à ce moment-là, comme une prise de conscience. Dans mes fonctions de juge d'instruction, j'ai moi aussi inculpé, j'ai mis en détention, j'ai libéré, j'ai renvoyé devant les assises des hommes et des femmes, estimant à tort ou à raison qu'il y avait ou qu'il n'y avait pas de charges suffisantes pour les juger. Subitement, le poids des responsabilités qui avaient été les miennes durant tant d'années, de 1974 à 1989, m'a de nouveau envahi. Je me suis demandé si, au fond de moi, je n'avais pas fait parfois partie de l'engrenage, été un des rouages d'une machine judiciaire qui risque de s'emballer, meurtrir, blesser, tuer ou tout simplement se tromper. Étais-je totalement innocent, meilleur que celui auquel on s'apprêtait à demander des comptes ? Alors je me suis dit : qui t'a fait juge ? De bonnes études de droit, un concours administratif réussi, puis deux ans de formation à l'École nationale de la magistrature, et l'apprentissage sur le tas. Je me suis retrouvé moi aussi projeté comme « justicier » dans la vie des gens au nom de la protection de la société. Étais-je bien préparé à cette mission ? Pas si sûr ! Je me revoyais à l'âge du juge Burgaud, encore inexpérimenté, plein de certitudes, sans doute impressionné par ce pouvoir tout frais qui m'était confié, celui de juger autrui. Aurais-je commis les mêmes erreurs ? Je ne sais. On ne réécrit pas l'histoire, pas plus la sienne que celle des autres. Pour cette audience si particulière, face à ce jeune homme au regard d'animal aux abois, je savais seulement pourquoi j'étais là : j'étais un commissaire enquêteur, choisi par mes pairs parlementaires afin de mettre en évidence tout ce qui n'avait pas fonctionné dans cette affaire criminelle, à la fois si banale et si exceptionnelle.