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Liste des extraits

Je me revois si bien, jeune et insouciante, à peine quatre ans auparavant. Incomprise de mes pairs, je venais de célébrer ma première année de mariage et j’attendais la venue d’un enfant. En ces temps de liberté et d’indépendance, j’avais délibérément fait une croix sur une possible carrière pour fonder une famille. Peu m’importait, à ce moment-là, le diplôme universitaire que j’avais pourtant décroché avec mention. J’étais déjà euphorique à l’idée d’avoir de nombreux bambins, de petites merveilles ressemblant à leur père. Convaincue d’avoir l’éternité devant moi et la chance à mes côtés, je regardais vers l’avenir avec la foi inébranlable de ceux qui se croient bénis des dieux. La suite des événements allait me donner tort, et je me demande maintenant comment j’ai pu penser que ce serait facile.

Alicia est née à terme, en pleine tempête de neige, un soir de novembre. Une magnifique petite fille de sept livres et treize onces. Elle criait à pleins poumons et, un instant, nous avons cru qu’elle ne s’arrêterait jamais. Le médecin nous ayant assuré qu’elle était en parfaite santé, nous avons quitté l’hôpital trois jours plus tard. C’était avant...

Avant que nous ne revenions en catastrophe, par un matin glacial de janvier. Il faisait moins trente degrés Celsius à l’extérieur, mais c’était ô combien plus chaud que la température de nos cœurs lorsqu’on nous annonça, deux jours plus tard, que notre petite merveille d’un an avait un cancer. Rien au monde ne pouvait préparer des parents à ce genre de nouvelle. C’était un coup au cœur, un seul, qui blessait et marquait à jamais, peu importe la suite des événements. Je suis aujourd’hui persuadée que, quelle que puisse être l’issue du combat, les parents ne guérissent jamais. Même si la plaie n’est pas mortelle, elle reste toujours béante et nous oblige à nous souvenir.

Nous avons perdu Alicia seize mois plus tard, après qu’elle eut livré un combat acharné, mais trop difficile pour une si petite fille. Malgré tout son courage, elle n’a pu survivre à la chimiothérapie ; elle n’arrivait pas à récupérer suffisamment entre les cycles de traitements, que nous devions sans cesse reporter. Mais le mal, lui, ne souffrait pas les retards et profitait du sursis qui lui était accordé pour gagner du terrain et augmenter son emprise sur un corps trop affaibli pour se défendre. Je ne revois que trop bien cette chambre de soins palliatifs pour enfants, ces médecins désolés mais impuissants, ces infirmières aux regards fuyants parce qu’elles ne savaient que dire, parce qu’il n’y avait rien à dire... Il n’y avait pas de mots pour de telles horreurs, il n’y en aura jamais. Il n’y avait que l’impuissance totale, la souffrance brute et l’incompréhension. Cette incompréhension qui m’habite encore aujourd’hui.

J’ai porté ma fille en terre au mois de mai, juste avant la fête des Mères. Puis, six mois plus tard, ce fut le tour de Francis, mon conjoint. Il a perdu la maîtrise de son véhicule dans un virage et le fardier qui venait en sens inverse n’a pas pu l’éviter. Francis est mort sur le coup. C’est la police qui a soutenu la thèse de la perte de contrôle, pas moi. Je n’y ai pas cru et n’y croirai jamais. Francis est parti le 16 novembre, jour de l’anniversaire d’Alicia. Elle aurait eu trois ans. Et lui vingt-huit, s’il avait choisi de rester. Mais il a préféré courber le dos sous le poids d’un fardeau trop lourd pour quelqu’un de si jeune. Je ne le blâme pas, non, mais je me demande souvent s’il a eu une petite pensée pour moi, qui ai maintenant un double deuil à porter et toute une vie pour le revivre...

p 24-25

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- Et toi, Francis, demandai-je à voix haute, que ferais-tu à ma place ?

Même si je savais pertinemment que je ne pouvais recevoir de réponse il me semblait que je devais lui demander son avis. Lui seul pouvait comprendre comment je me sentais, comprendre ce besoin de m'éloigner, de partir, lui qui avait partagé tant de choses avec moi. Mais peut-être aussi, avais-je besoin de sentir qu'il ne me garderait pas rancune de les abandonner tous les deux pour tenter cette folie.

Les cloches de l'églises adjacente sonnèrent soudain l'angélus, me faisant sursauter. Étrangement, je regardai ma montre, comme pour m'assurer qu'il était bien midi et que ce tintamarre n'était pas le signe que j'espérais de la part de mon amour. Une bourrasque passa alors, laissant un emballage vide de friandises M&M'S se coller contre la gerbe de fleurs que j'avais déposée plus tôt. Je compris que ce ne seraient pas les cloches qui répondraient à mon appel, mais plutôt Éole et je ne pus m'empêcher de sourire en voyant le papier jaune oscillant dans la brise. Francis me disait toujours qu'il n'achetait pas ces arachides enrobées pour le plaisir mais par nécessité. Il me semblait l'entendre encore m'expliquer, avec tout le sérieux dont il était capable :

« Tu ne comprends pas, Naïla. C'est un moyen infaillible pour prendre une décision difficile. Alors que le sachet est encore fermé, tu choisis au hasard une friandise que tu retiens entre le pouce et l'index. Tu ouvres ensuite l'emballage et laisse sortir toute les arachides, sauf celle que tu as choisie. La couleur de cette dernière te donnera la réponse que tu cherches. »

La première fois, j'avais haussé les sourcils et l'avais regardé comme s'il perdait la tête tant l'idée paraissait farfelue. Mais ma curiosité l'emportant, je n'avais pu m'empêcher de lui demander la signification de chaque couleur. L'air solennel, il m'avait répondu :

« Les rouges, c'est la négation. Exemple, tu refuses une proposition. Les jaunes, c'est l'acceptation, comme dans "oui, je me marie". Les bleues, c'est l'hésitation ; prends le temps de réfléchir encore avant de te lancer. Les oranges te disent, par contre, de demander conseil à quelqu'un en qui tu as confiance pour te guider. Les brunes... »

Je me souvenais que Francis avait marqué une pause, l'air de réfléchir intensément, avant de hausser les épaules et de me dire : « On les oublie, je n'en attrape jamais, de toute façon. » À ce moment, j'avais éclaté de rire, lui disant que je ne pouvais pas croire qu'un esprit aussi sérieux et pragmatique puisse avoir une technique de décision aussi futile. Il avait levé les yeux au ciel et secoué la tête en soupirant, avant de continuer : « Mais cela n'a rien de futile. C'est même très scientifique, au contraire. La preuve ? Il faut toujours que tu choisisses un sac de M&M'S arachides parce que j'ai fait mes expérimentations avec cette sorte. Les autres n'ont pas le même pourcentage de chaque couleur, alors ça fausserait les résultats. »

Seule dans ce cimetière, je ris doucement et j'eus l'impression qu'il était avec moi. Sereine, je m'apprêtais à tourner les talons quant une idée folle me traversa l'esprit. Je me penchai et ramassai l'emballage. À la sensation d'une bosse sous mes doigts, je sursautai et mon cœur battit plus vite. Je retournai le sachet au-dessus de ma paume ouverte et y vis atterrir une petite boule verte.

« Tu oublies les vertes mon amour... », avais-je dit avec malice, croyant le prendre en défaut.

« Tu as raison, chérie, m'avait-il répondu, sourire en coin. Probablement parce que sont les pires. »

Surprise, j'avais demandé : « Les pires ? Ah bon ! Et pourquoi ? »

« Parce qu'elles veulent dire que ta décision est déjà prise et qu'il ne te reste plus qu'à espérer ne pas t'être trompée... »

p 164-166

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Marianne l'interrompit, maintenant en larmes, et lui cria d'une voix d'enfant gâtée, avant de s'enfuir en courant vers la maison :

-Et moi qui croyais que tu m'aimais...

Alix resta une fraction de seconde bouche bée devant l'affirmation d'une pareille stupidité, avant de se replonger dans des réflexions beaucoup plus constructives concernant l'avenir de la Terre des Anciens.

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Chapitre 1 -Seule-

Immobile sur la grève, mes longs cheveux noirs flottant au vent du large, je regarde la marée monter lentement au rythme des vagues et des courants, et je songe à ce que je suis devenue. Je ne sais trop à quel moment la chance m’a abandonnée, mais il y a, c’est évident, un certain temps déjà que cela s’est produit...

J’ai vingt-cinq ans. La vie me quitte doucement, me laissant un arrière-goût amer. Dois-je vivre ou mourir ? Je préfère ne pas y penser ! La tentation de choisir la voie la plus facile est grande et ce serait sûrement dommage d’y céder.

Priver la société de ma magnifique présence, quelle horreur...

L’idée me séduit, l’ironie étant l’une des dernières choses qui peut encore réussir à m’arracher un semblant de sourire, et ce n’est pas peu dire.

Je scrute l’horizon, cherchant un signe, quelque chose pour me convaincre que ma présence ici-bas est encore nécessaire. Je sais que je partirai les mains vides, une fois de plus, ramenant avec moi une kyrielle de souvenirs troublants, déchirants, mais surtout impossibles à ignorer. Et je ressasserai une fois de plus mon parcours, cherchant ce qui a fait tourner au cauchemar mon conte de fées moderne... Le regard dans le vague, je perds rapidement le fil du temps. Je me sens doucement glisser dans une mémoire que je m’efforce pourtant d’oublier.

Je me revois si bien, jeune et insouciante, à peine quatre ans auparavant. Incomprise de mes pairs, je venais de célébrer ma première année de mariage et j’attendais la venue d’un enfant. En ces temps de liberté et d’indépendance, j’avais délibérément fait une croix sur une possible carrière pour fonder une famille. Peu m’importait, à ce moment-là, le diplôme universitaire que j’avais pourtant décroché avec mention.

J’étais déjà euphorique à l’idée d’avoir de nombreux bambins, de petites merveilles ressemblant à leur père. Convaincue d’avoir l’éternité devant moi et la chance à mes côtés, je regardais vers l’avenir avec la foi inébranlable de ceux qui se croient bénis des dieux. La suite des événements allait me donner tort, et je me demande maintenant comment j’ai pu penser que ce serait facile.

Alicia est née à terme, en pleine tempête de neige, un soir de novembre. Une magnifique petite fille de sept livres et treize onces. Elle criait à pleins poumons et, un instant, nous avons cru qu’elle ne s’arrêterait jamais. Le médecin nous ayant assuré qu’elle était en parfaite santé, nous avons quitté l’hôpital trois jours plus tard. C’était avant...

Avant que nous ne revenions en catastrophe, par un matin glacial de janvier. Il faisait moins trente degrés Celsius à l’extérieur, mais c’était ô combien plus chaud que la température de nos coeurs lorsqu’on nous annonça, deux jours plus tard, que notre petite merveille d’un an avait un cancer. Rien au monde ne pouvait préparer des parents à ce genre de nouvelle. C’était un coup au coeur, un seul, qui blessait et marquait à jamais, peu importe la suite des événements. Je suis aujourd’hui persuadée que, quelle que puisse être l’issue du combat, les parents ne guérissent jamais. Même si la plaie n’est pas mortelle, elle reste toujours béante et nous oblige à nous souvenir.

Nous avons perdu Alicia seize mois plus tard, après qu’elle eut livré un combat acharné, mais trop difficile pour une si petite fille. Malgré tout son courage, elle n’a pu survivre à la chimiothérapie ; elle n’arrivait pas à récupérer suffisamment entre les cycles de traitements, que nous devions sans cesse reporter. Mais le mal, lui, ne souffrait pas les retards et profitait du sursis qui lui était accordé pour gagner du terrain et augmenter son emprise sur un corps trop affaibli pour se défendre. Je ne revois que trop bien cette chambre de soins palliatifs pour enfants, ces médecins désolés mais impuissants, ces infirmières aux regards fuyants parce qu’elles ne savaient que dire, parce qu’il n’y avait rien

à dire... Il n’y avait pas de mots pour de telles horreurs, il n’y en aura jamais. Il n’y avait que l’impuissance totale, la souffrance brute et l’incompréhension. Cette incompréhension qui m’habite encore aujourd’hui.

J’ai porté ma fille en terre au mois de mai, juste avant la fête des Mères. Puis, six mois plus tard, ce fut le tour de

Francis, mon conjoint. Il a perdu la maîtrise de son véhicule dans un virage et le fardier qui venait en sens inverse n’a pas pu l’éviter. Francis est mort sur le coup. C’est la police qui a soutenu la thèse de la perte de contrôle, pas moi. Je n’y ai pas cru et n’y croirai jamais. Francis est parti le 16 novembre, jour de l’anniversaire d’Alicia. Elle aurait eu trois ans. Et lui vingt-huit, s’il avait choisi de rester. Mais il a préféré courber le dos sous le poids d’un fardeau trop lourd pour quelqu’un de si jeune. Je ne le blâme pas, non, mais je me demande souvent s’il a eu une petite pensée pour moi, qui ai maintenant un double deuil à porter et toute une vie pour le revivre.

La vague à mes pieds arriva juste à temps pour me tirer de ma rêverie et me ramener sur les berges de Saint-Josephde- la-Rive, dans Charlevoix, en ce soir d’avril 1999. Cinq mois s’étaient écoulés depuis que ce deuxième vide immense s’était installé en moi. Pour l’éternité ? Je hausse les épaules.

Je ne sais pas si je serai capable d’aimer de nouveau, de peur de revivre cet enfer.

La marée est maintenant à mi-chemin de la berge et je dois regagner la maison de ma tante, au 264 de la Côte des

Cèdres. La marche d’une vingtaine de minutes me dégourdira les jambes après ces quelques heures passées dans le vague

à ressasser mon passé. J’ai désespérément besoin d’exercice et de divertissement pour pouvoir chasser mes idées noires.

Après tout, j’ai trop de travail devant moi pour m’abandonner

à la nostalgie.

Une dizaine de minutes plus tard, la maison se profile à

l’horizon. Elle est entourée d’érables majestueux et de pins géants ; des pommiers attendent patiemment de se couvrir de fruits, juste derrière la petite cuisine d’été. Un caveau d’un autre âge trahit sa présence par une porte rouge sang, qui semble jaillir de terre. Quand j’étais jeune, je m’imaginais que c’était la porte des enfers, puis de quelques mondes lointains et enchantés. Des terres non cultivées depuis des années s’étendent derrière les bâtiments, à flancs de montagne, et une étable délabrée, ainsi qu’un hangar tenant debout par miracle complètent le tableau.

Si, de loin, la maison se montrait toujours imposante et majestueuse, de près, elle inspirait plutôt la tristesse et la désolation. L’extérieur était demeuré inchangé depuis ma jeunesse, si ce n’est la peinture qui s’écaillait de plus en plus. Le jaune clair des murs avait lentement fait place au gris terne du bois mal protégé. Le toit de tôle, jadis d’un bleu marine inspirant la noblesse, n’avait maintenant de noble que la taille de ses taches de rouille sans cesse grandissantes.

Cette demeure centenaire avait autrefois évoqué la richesse et fait l’envie de ses voisines, mais il y avait un certain temps qu’elle n’inspirait plus rien, si ce n’est une fin prochaine.

J’étais venue des Cantons de l’Est dans l’espoir, entre autres choses, de lui redonner son lustre d’antan.

La perspective de ces montagnes de boîtes qui m’attendaient

à l’intérieur suffit à dissiper ce qu’il me restait de cafard.

Enfin, pour le moment... J’avais accepté ce travail avant tout pour me changer les idées, et la stratégie avait assez bien réussi, malgré quelques épisodes comme celui de tout à

l’heure.

Ma grand-tante, qui m’avait élevée après la disparition de ma mère, avait hérité de cette vaste demeure l’été dernier.

Celle-ci, datant du XIIIe siècle, avait désespérément besoin qu’on lui accordât un peu d’attention. Mon grand-père, qui l’avait habitée longtemps, avait dû la quitter deux ans plus tôt, son état nécessitant une attention particulière en institution.

Il avait choisi d’en faire don à sa soeur de son vivant, mais ma tante avait refusé d’en prendre possession aussi longtemps que son frère vivrait. « J’aurais la désagréable impression d’être une intruse là-bas, sans lui », répétait-elle sans cesse quand on lui en parlait. Elle préférait attendre et la bâtisse était demeurée inhabitée jusqu’au décès de Joshua, l’hiver précédent.

Tatie Hilda, comme je me plaisais à l’appeler, forte de l’idée d’en faire un couette et café, espérait que l’on arriverait en quelques semaines à tout retaper et à tout réaménager.

J’avais acquiescé à sa demande d’aide sans réfléchir puisque mes souvenirs étaient ceux d’un salon propret où

personne n’allait jamais et d’une cuisine mal entretenue, mais tout de même fort convenable. Je n’avais jamais porté attention

à l’aspect de la maison au cours de mes innombrables visites, pendant les vacances d’été et les congés fériés. Nous avions toujours résidé, avec mon père et ma mère d’abord, puis avec ma tante ensuite, dans la cuisine d’été qui jouxtait la façade nord de la maison. Nous y avions toutes les commodités nécessaires et mon grand-père venait nous y rendre visite chaque jour, par la porte contiguë.

À l’appel de Tatie, je m’étais donc dit qu’une personne de l’âge de mon grand-père ne pouvait pas faire beaucoup de torts à une maison, si vieille fût-elle. Je faisais grandement erreur. Près de vingt ans d’inaction avait fait des dommages considérables, à commencer par la montagne d’objets accumulés, lentement mais sûrement, au gré du temps. Pas une pièce, si grande fût-elle, ne débordait d’un fouillis indescriptible.

J’étais arrivée une semaine auparavant, déterminée et inébranlable, convaincue que le boulot serait vite expédié. Neuf jours plus tard, les multiples bacs pour la récupération, de même que le conteneur à déchets loué pour l’occasion, s’emplissaient

à une vitesse folle, mais le contenu de la maison ne suivait pas le mouvement inverse. Il me semblait que les murs allaient s’ouvrir sous la pression des boîtes et des objets hétéroclites qui se trouvaient encore à l’intérieur. Mais bon ! Je n’avais pas, de toute façon, d’autre projet pour le moment.

J’avais fermé ma maison dans les Cantons de l’Est pour une période indéterminée. Je n’avais pas d’emploi stable et je vivais de la confortable assurance-vie de Francis, le temps de me « stabiliser », comme le disait si bien mon psychologue.

J’en étais à me demander par quoi je commencerais, en cette fin d’après-midi, lorsque que je m’entendis interpeller.

– Hé, Naïla ! Où étais-tu passée ma chérie ?

Je découvris tante Hilda qui m’attendait sur la galerie avant, une tasse de café à la main. Cette petite femme grassouillette et sympathique ne ressemblait physiquement en rien à son frère. Elle mesurait à peine un mètre cinquante –

avec des bas comme elle se plaisait à le dire – et avait les cheveux noirs, striés de nombreuses mèches grises. Son visage reflétait la douceur et la tendresse, mais ses yeux bleus étaient assombris par un soupçon de tristesse perpétuelle, comme si la vie lui avait refusé quelque chose et qu’elle ne s’en était jamais remise. Elle incarnait pour moi la chaleur et l’amour d’un foyer dont j’avais eu si cruellement besoin dans mon enfance, après la perte de mes parents.

Son ton joyeux contrastait avec l’inquiétude que je pouvais lire dans son regard. Je me doutais bien qu’elle s’était encore fait du souci durant mon absence prolongée, mais je n’y pouvais rien. Je lui souris tendrement.

– J’étais seulement allée me balader sur la grève pour me changer les idées.

Ma réponse ne devait pas être très convaincante puisqu’elle me lança un regard de compréhension, mais n’insista pas. Je l’en remerciai en silence ; je n’avais aucune envie d’expliquer ou d’argumenter. Je préférais détourner la conversation.

– Je crois que nous devrions nous attaquer à la chambre des maîtres, question de changer. La cuisine a retrouvé ses fonctions premières et je n’ai guère envie de replonger dans les armoires qui restent aujourd’hui. Les vêtements, chaussures et autres articles personnels feraient une diversion acceptable. Qu’est-ce que tu en dis ?

– Je pense que c’est envisageable, si tu me promets de ne passer aucun commentaire sur la garde-robe démodée de mon frère et sur ses goûts parfois discutables en matière de vêtements.

Si le ton était indulgent, la demande n’en était pas moins sérieuse. Tante Hilda avait difficilement accepté le décès de son frère, des suites d’une pneumonie. Le vide créé par son départ était immense et le sujet, encore très douloureux.

D’aussi loin que je me souvenais, ils avaient toujours été

très près l’un de l’autre, malgré leurs seize années d’écart.

Joshua était né d’un premier mariage. Sa mère, âgée de seize ans à l’époque, avait eu une grossesse difficile et un accouchement hasardeux. Elle avait survécu, mais n’avait plus eu d’enfants. Je savais, pour l’avoir maintes fois entendu dire, que le père de Joshua avait aimé sa femme d’un amour inconditionnel jusqu’à son décès, l’année des quinze ans de son fils. Joshua père se remaria l’année suivante avec une femme étrange qui, selon les vieilles commères du village qui se plaisaient à perpétuer ces ragots, se comportait bizarrement et s’adonnait à la sorcellerie ; une croyance que je pensais pourtant disparue depuis belle lurette. Une petite fille était bientôt née de cette union, mais la mère avait, dit-on, renié

l’enfant, criant à qui voulait l’entendre que ce bébé ne pouvait

être le sien et qu’il devait y avoir eu substitution. L’histoire avait fait grand bruit à l’époque, en 1937. La mère ne s`était jamais remise. On l’avait rapidement envoyée dans un asile, où elle était morte dans un incendie deux ans plus tard, à

l’hôpital Saint-Michel-Archange de Québec. Celui-là même d’où ma mère s’enfuirait, quarante ans plus tard. Les circonstances et les détails de ce triste mariage avaient rapidement sombré dans l’oubli puisque la guerre avait bientôt occupé les pensées de la population.

Bien que ce ne fût que sa demi-soeur, Joshua avait pris un soin jaloux de l’enfant, et cette dernière le lui avait rendu au centuple en grandissant. Même après son mariage, le jeune homme avait gardé Hilda à ses côtés. Son père ne voulant plus d’une femme dans sa vie, la petite avait terriblement besoin d’une mère. Joshua et Tatie étaient toujours restés très proches, malgré le départ de celle-ci pour les Cantons de l’Est, à sa majorité, où elle était devenue religieuse chez les

Soeurs de la Présentation de Marie. Ils s’étaient écrit pendant de longues années et s’étaient revus plus souvent à partir du moment où ma tante avait quitté la religion pour élever une petite fille de sept ans devenue orpheline, moi. Pour ma part, je n’avais jamais osé poser de questions sur cette aïeule

étrange, le sujet étant tabou dans la famille.

Je répondis donc à Tatie que c’était d’accord, tout en montant les marches menant à la porte d’entrée. Elle me rejoignit et nous nous dirigeâmes vers la chambre des maîtres, située entre la cuisine et le salon. Les boîtes y étaient moins nombreuses que dans les pièces non répertoriées du deuxième palier, mais l’odeur de la naphtaline prenait à la gorge. Il y avait peu de vêtements qui pourraient être réutilisés, la plupart ayant été mangés par les mites. L’inventaire se fit rapidement et en silence, chacune de nous étant plongée dans ses propres pensées et n’osant interrompre la réflexion de l’autre. Seule une question, de temps à autre, venait rompre la monotonie.

Nous travaillâmes ainsi jusqu’à huit heures passées. C’est la faim qui nous obligea finalement à remettre le reste de la corvée au lendemain. Nous étions exténuées et couvertes de poussière ; un repas et un bon bain ne feraient pas de tort.

Je préparai le souper, et ma tante, qui en avait profité pour prendre un bain, me rejoignit bientôt. Nous dégustâmes, tout en jasant de choses et d’autres. Nous avions vécu ensemble une douzaine d’années avant que je ne me marie et nous avions appris à communiquer de bien des façons. Autant nous pouvions parler pendant des heures, autant il nous arrivait simplement d’apprécier la présence de l’autre sans avoir besoin de dire quoi que ce soit. Ce retour à la routine de mon adolescence, cette dernière semaine, me faisait un bien immense.

Nous desservîmes la table et lavâmes la vaisselle, tout en commentant les derniers potins du coin. Et Dieu sait qu’il y en avait ! J’étais toujours fascinée de constater à quel point les gens de ces terres reculées pouvaient porter une attention si soutenue aux moindres faits et gestes de leurs voisins.

Rapidement lasse de ces histoires, je traversai bientôt vers la cuisine d’été et montai me coucher. Demain viendrait bien assez vite et nous avions encore beaucoup à faire.

Je m’allongeai dans le noir sur mon minuscule lit de camp et fermai les yeux. Épuisée, je m’attendais à trouver rapidement le sommeil, mais ce ne fut pas le cas. Les bras de Morphée me fuyaient délibérément sans que je sache pourquoi. Je me levai finalement, au bout de ce qui me sembla

être une éternité, et me rendis à la fenêtre.

Le ciel dégagé regorgeait d’étoiles et la lune, ronde et lumineuse, semblait veiller sur cette terre. Son reflet argenté

sur le fleuve offrait un spectacle magnifique. Je me pris à rêver de faire une balade sur la grève à marée basse, par un soir comme celui-ci. D’aussi loin que je me souvenais, j’avais toujours aimé le fleuve et ses marées ; ce duo indissociable m’attirait tel un aimant, j’ignorais pourquoi. Je restai là un long moment, perdue dans mes souvenirs, mais moins triste qu’à l’habitude. Puis, étrangement sereine, je regagnai mon lit où je sombrai dans une torpeur sans rêve jusqu’au lendemain matin.

Je me réveillai d’excellente humeur, m’habillai et descendis rapidement à la cuisine où flottait une délicieuse odeur de bacon et de pommes de terre rissolées. J’avais une faim de loup. Ma tante me sourit tendrement et du doigt me montra la table, où m’attendait une assiette digne d’un bûcheron.

– Je vois que tu prévois une grosse journée, dis-je avec un sourire amusé. Si l’ampleur de la tâche se mesure à celle de mon assiette, je crois que je ferais mieux de m’y mettre tout de suite.

Ma tante éclata de rire et s’assit en face de moi. Elle déplia

Le Soleil, journal qui nous parvenait de Québec et qu’elle descendait chercher chaque matin au magasin du village, et se plongea dans sa lecture quotidienne, sourire aux lèvres.

Je dévorai littéralement mes oeufs et leurs multiples accompagnements avec un plaisir non feint.

Mon repas terminé, je desservis la table et glissai la vaisselle dans l’eau savonneuse de l’évier, me demandant à que sinistre recoin de cette maison j’allais bien pouvoir m’attaquer aujourd’hui, après que j’aurais terminé la chambre commencée la veille. Tatie me tira de mes pensées.

– Tu veux bien t’occuper d’expliquer aux messieurs qui viennent d’arriver dans la cour ce que je désire exactement pour la réfection de la toiture ? Tu as toujours eu plus de facilité

que moi avec les plans, les devis et les rénovations de toutes sortes. Personnellement, je ne suis même pas capable de distinguer une vis à tôle d’une vis à bois.

J’éclatai de rire et me dirigeai vers la porte d’entrée. Travailler

à l’extérieur me changerait des odeurs de moisissure et de poussière, de même que des boîtes et des antiquités, et l’obligation de superviser les travaux m’empêcherait de trop réfléchir.

Les hommes, ils étaient trois, avaient déjà installé leur

échelle contre la façade avant et l’un d’eux, que je présumai

être le contremaître, se préparait à y monter. Je l’interpellai joyeusement et il attendit que je le rejoigne. Il m’expliqua ce qu’il avait projeté de faire d’après ce que ma tante lui avait dit lors de leurs entretiens précédents. Je ne pus qu’approuver les plans, puis je le laissai rejoindre ses compagnons déjà sur la toiture.

L’avant-midi passa en un éclair, occupée que j’étais à

ramasser les débris de toutes sortes qui tombaient du toit. Je dus également me rendre là-haut puisque certaines pièces de bois devaient être remplacées. Les hommes descendirent pour dîner vers midi et je décidai de leur tenir compagnie, ma tante étant partie à Québec.

À la fin de la journée, deux versants sur quatre offraient une toute nouvelle allure, les feuilles de tôle neuves contrastant agréablement avec les anciennes. Il resterait donc deux autres côtés, de même que la toiture de la cuisine d’été et des galeries. Les ouvriers m’avaient assuré que le travail serait terminé pour la fin de semaine, ce qui leur laissait encore deux jours pour y arriver. Je rentrai pour souper, avant de m’étendre sur le canapé. J’avais emporté quantité de bons films à écouter dans mes bagages, mais le manque de temps et la fatigue ne m’avaient pas permis d’en profiter jusque-là. Je me promis de remédier à la situation pas plus tard que le soir même.

Je terminais mon premier film lorsque ma tante revint de Québec. Elle claqua la porte et me cria de la rejoindre dans la cuisine.

- Alors, la journée s’est bien passée ? J’ai cru discerner au moins deux pentes terminées, mais je ne suis pas certaine. Il commence à faire très sombre dehors.

- Tu ne t’es pas trompée. Ils prévoient terminer pour le week-end. Et toi, est-ce que tu as trouvé ce que tu cherchais ?

- Oui, et je crois que tu vas adorer. Je me suis finalement rangée à ton opinion concernant le cachet à donner à la maison et j’ai fait les emplettes nécessaires, me dit-elle d’une voix satisfaite.

Nous convînmes de décharger le véhicule le lendemain, nous y verrions plus clair. Après un chocolat chaud et quelques biscuits, nous nous quittâmes pour un repos salutaire avant une autre journée qui risquait d’être, elle aussi, fort occupée.

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Chapitre 2 -Le grenier-

Nous passâmes les cinq jours suivants à tenter de redonner aux armoires de la cuisine leur splendeur d’antan, et la réussite finale me surprit tout autant que ma tante. Côte

à côte, nous regardions le résultat avec une fascination étrange.

Nous étions littéralement crevées, mais fières d’avoir persévéré.

Ma tante m’offrit d’aller manger au restaurant pour fêter notre réussite, mais je lui proposai plutôt une raclette à

la maison ; l’idée de sortir ne m’enchantait guère. Elle comprit

à mon air soudain plus triste que je n’étais pas encore tout à

fait prête à réintégrer le monde des vivants. Elle me sourit tendrement avant d’accepter mon offre. J’adorais cette femme qui savait si bien me comprendre sans que j’aie besoin de m’expliquer pendant des heures.

Je mis à profit le reste de la journée pour concocter un souper digne de ce nom. Il y avait déjà plusieurs jours que nous mangions des sandwichs et prenions des repas vite faits. Aujourd’hui, j’avais envie de mets plus recherchés et j’optai pour une raclette avec salade et dessert gourmand.

Quand ma tante redescendit du deuxième, où elle avait dressé

la liste des achats nécessaires à l’aménagement des chambres, elle s’arrêta sur le seuil de la cuisine, conquise.

– Dieu que ça sent bon ! Tu es toujours aussi bonne cuisinière, Naïla. Je me demande bien pourquoi tu refuses mon offre de t’installer ici pour de bon lorsque j’ouvrirai l’établissement.

Je lui offris mon plus beau sourire, mais lui dis que j’avais d’autres projets, me sentant vaguement coupable. Je lui promis tout de même d’y repenser sérieusement. Je n’avais pas envie de lui expliquer que je ne me croyais pas encore suffisamment solide pour m’établir dans un village où tant de souvenirs revenaient sans cesse me hanter. J’avais besoin de temps pour panser mes blessures et je désespérais d’y réussir dans un avenir rapproché.

Nous discutâmes de tout et de rien pendant le repas et le reste de la soirée. Nous nous couchâmes finalement vers vingt-trois heures, heureuses et habitées d’une motivation nouvelle après ces heures de détente bénéfique.

Les quatre jours suivants passèrent à la vitesse de l’éclair.

Tatie allait partir pour un bref séjour à Québec afin de régler certains détails de la succession. Un notaire avait téléphoné

dans la matinée et lui avait demandé de passer à son bureau.

Elle n’en savait pas plus, sinon que c’était fort important et qu’il préférait ne pas en discuter par téléphone. Intriguée, ma tante lui avait promis de prendre rendez-vous. Après discussion, nous avions convenu que le plus tôt serait le mieux.

Elle avait donc rappelé et bouclait présentement sa valise.

J’étais occupée à peindre les murs de la salle de bain lorsqu’elle me rejoignit, la mine soucieuse.

– Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne chose de te laisser seule ici pendant plus de vingt-quatre heures. Je m’étais promis de veiller sur toi et voilà que je t’abandonne pour deux jours.

Elle me parut vraiment inquiète et j’éclatai de rire. Je lui rappelai que j’avais passé les cinq derniers mois seule et que je me portais plutôt bien, compte tenu des circonstances.

Elle me répondit que son inquiétude ne concernait pas ma santé physique, mais plutôt mon besoin de compagnie, de nouveauté et de changement afin de chasser la grisaille et les idées noires. Je tâchai de la rassurer de mon mieux.

– Je sais très bien ce que tu veux dire, mais je ne pense pas que cette période de solitude puisse me faire de mal. C’est vrai que je devrai reprendre une vie normale un jour ou l’autre, mais rien ne presse. Et puis, je ne crois pas que j’aurai réellement le temps de m’apitoyer sur moi-même puisque tu me quittes en prenant bien soin de me laisser une jolie montagne de tâches à accomplir.

J’accompagnai ma dernière remarque d’un clin d’oeil et de mon plus beau sourire. Elle me le rendit sans hésiter, avec un soupir de soulagement en plus. Je ne voulais surtout pas qu’elle passe les jours suivants à se morfondre sur une hypothétique possibilité de déprime en son absence. Sa sollicitude me touchait énormément, mais je savais, mieux que quiconque, que j’étais en voie de remonter la pente et que certaines étapes devaient être franchies en solitaire. Nous bavardâmes, le temps que je finisse les deux derniers murs.

Après que j’eus rangé mon matériel, nous soupâmes, puis nous couchâmes tôt. Je dormis comme un loir.

À mon réveil, la journée s’annonçait froide et humide. La pluie cinglait les vitres de la salle à manger et le vent soufflait en rafales, courbant les arbres. Je m’étais levée de bonne heure, en grande forme, mais la vision de ce déchaînement des éléments avait quelque peu refroidi mes ardeurs. Dans la cuisine fraîchement remise à neuf, je me versai une tasse de café et entrepris de me préparer à déjeuner. Le temps que je consacrai à la cuisson de mes saucisses me permit de réfléchir

à mon emploi du temps de la journée.

Nous avions beaucoup avancé ces derniers jours et il ne restait plus que des rénovations pour le rez-de-chaussée et l’étage supérieur. Chaque pièce avait été débarrassée de tout

élément inutile. Il ne restait que les meubles et quelques rares accessoires antiques que Tante Hilda désirait conserver pour donner du cachet à son établissement. Je ne me sentais guère d’attaque pour le plâtre et la peinture, encore moins pour le décapage, même si je savais que je devrais m’y remettre tôt ou tard. Les travaux extérieurs étant hors de question, je ne voyais plus que le grenier pour meubler les heures à venir, même si le vent devait faire craquer les poutres de la charpente et hurler sans retenue dans les corniches. Je me hâtai de manger, soudain enthousiasmée par la possibilité de faire des découvertes intéressantes.

Dix minutes plus tard, j’étais fin prête et me dirigeais d’un pas décidé vers l’étage. L’accès au grenier se trouvait au centre du palier, juste au-dessus de l’amorce de la descente d’escalier.

Je constatai que je ne pourrais pas atteindre la trappe sans un escabeau. Je redescendis donc chercher celui qui me servait pour peindre et l’installai juste sous l’ouverture. J’y montai et poussai vers le haut puis vers la gauche le panneau de bois.

Mes efforts furent rapidement récompensés et le panneau glissa sur le côté, mais une épaisse couche de poussière me recouvrit pratiquement de la tête aux pieds. Je suffoquai presque sous cette avalanche et me mis à tousser. Je me retrouvai en équilibre précaire sur l’avant-dernière marche et faillis tomber. Je me rattrapai de justesse au bord de la trappe. Reprenant mon souffle, j’attendis que le nuage de poussière se dissipe, puis montai sur la dernière marche et me hissai, ma lampe de poche à la main.

Sourire aux lèvres, je pensai soudain à ce que dirait Tatie si elle me voyait ainsi. Même si j’avais, selon moi, dépassé le stade de l’irresponsabilité depuis longtemps, elle ne manquait jamais une occasion de multiplier les conseils de sécurité et les recommandations. Ne pas prendre appui sur la dernière marche d’un escabeau y occupait une place de choix.

Une fois arrivée là-haut, je m’assis sur le bord de l’ouverture, les jambes dans le vide, et allumai la torche

électrique. Je n’avais jamais pu mettre les pieds ici avant ce matin, le grenier étant, selon les paroles de mon grand-père,

« un endroit pour caser les choses dont on ne savait que faire et non pour jouer ». C’était donc resté une place secrète

à laquelle j’avais prêté, au cours des années, de multiples fonctions étranges, à l’instar du caveau dehors. Je n’avais donc aucune idée de ce qu’elle pouvait renfermer et je me sentais comme une enfant devant l’entrée de la caverne d’Ali

Baba.

Je regardai autour de moi, cherchant une ampoule électrique.

Je promenai le faisceau de la lampe un peu partout, inspectant le plafond cathédrale, mais je dus me rendre à

l’évidence : on n’y avait pas installé l’électricité. Je redescendis donc chercher une rallonge, ainsi qu’une lampe comme celle qu’utilisent les mécaniciens. Je fixai cette dernière à l’une des poutres en pente du toit. La lumière qu’elle diffusait me permettrait au moins de me frayer un chemin parmi la multitude de caisses, de coffres, de boîtes, de meubles et d’autres objets qui occupaient cet espace immense. Autour de moi, chaque centimètre carré du plancher était utilisé à pleine capacité. Je compris que si le reste de la maison était si encombré, c’est qu’il n’y avait plus de place ici pour les objets considérés comme inutiles. Et moi qui croyais que nous avions abattu le plus gros du travail !

Si je débordais d’enthousiasme quinze minutes plus tôt, je ne savais plus où donner de la tête à présent. Je ne pourrais rien descendre seule et devrais obligatoirement attendre

Tatie pour m’aider. Je choisis donc de faire un tri préliminaire.

Ne sachant encore une fois par où commencer, je fermai les yeux, tournai sur moi-même une trentaine de secondes et les rouvris. La pile de boîtes à mes pieds serait le premier pas de mon retour dans le passé.

Les quatre premiers cartons n’offraient rien d’intéressant.

Deux débordaient de vieux Almanachs du peuple et de Sélections du Reader’s Digest datant de près d’un demi-siècle, les deux autres de vieilles revues. Les trois cartons suivants contenaient

également de vieux Sélections. J’entrepris d’empiler les boîtes au bord de l’ouverture afin de me frayer un chemin vers l’amorce du toit, haute de seulement une trentaine de centimètres, près de cinq mètres plus loin. Je mis environ deux heures à trier le premier quart de la pièce. Je trouvai surtout du vieux matériel scolaire, des bandes dessinées, des livres portant sur les sujets les plus divers, de la cuisine à la chasse, en passant par la couture et l’éducation des enfants, ainsi que deux petites caisses de comic books américains.

Le second quart fut beaucoup plus intéressant. Il y avait surtout des meubles anciens qui pouvaient avoir une certaine valeur. La plupart étaient remplis de vêtements, de chapeaux, de souliers, de vieux manteaux et d’autres frusques d’un autre âge. Il y avait des centaines de morceaux et ce fouillis avait quelque chose de fascinant. Comme si la vie de Tatie et de mon grand-père, ainsi que celle de mes aïeux, se reconstituait devant moi à partir de ces simples pièces de tissu et de leurs accessoires. Je pouvais presque les voir danser, se promener, vieillir sous mes yeux. Je me surpris un instant à

espérer pouvoir revivre ces temps passés et je dus faire un effort pour revenir à mon occupation première.

Je trouvai également un coffret de taille moyenne, débordant de bijoux, de colliers, de parures de tête, d’épingles à

cravate et de boutons de manchettes, que je mis de côté.

Peut-être contenait-il des pièces qui, sans avoir une valeur monétaire, aurait une valeur sentimentale pour Hilda. Je me devais de lui demander.

Je descendis dîner vers onze heures trente. J’avalai un sandwich au jambon et quelques tranches de cheddar avant de remonter en hâte, un lait au chocolat dans une main et quelques biscuits maison dans les poches. Je me remis à

la tâche avec une énergie nouvelle et l’espoir de fascinantes découvertes.

Le troisième quart ne me permit pas de mettre la main sur un coffre au trésor ou une carte y menant, mais plutôt sur des pots de conserve en verre, de vieilles bouteilles de boissons gazeuses ou de boissons alcoolisées, certaines encore à demipleines, une incroyable quantité de vaisselle, des aiguières, des pots de chambres et d’authentiques crachoirs. Des draps, des courtepointes et des couvertures de laine emplissaient deux grands coffres de pin massif. Quatre chaises capitaine, une chaise haute, une table basse et un vieux poste de radio

étaient empilés, pêle-mêle, dans un équilibre précaire. Je découvris également une peau d’ours miteuse et une tête d’orignal mal empaillée. Je n’avais pourtant aucun souvenir d’un grand-père chasseur. On trouvait décidément de tout.

Il était près de quatre heures lorsque j’entamai la dernière section du grenier et la fatigue commençait à se faire dangereusement sentir. La poussière me collait à la peau et j’avais une multitude d’égratignures et d’ecchymoses dont je ne connaissais pas toujours l’origine. Je soupirai, n’étant pas certaine que la poursuite de ce tri me serait bénéfique. Je continuai tout de même, espérant qu’il y aurait davantage de meubles, ces derniers ne demandant, contrairement aux boîtes, ni attention minutieuse, ni déballage.

Mon souhait fut en partie exaucé puisque je mis au jour deux brancards de lit, une table en pièces détachées, deux tabourets, une berceuse, un meuble tourne-disque, un gramophone, un vieux téléphone et une horloge grand-père.

Combien de générations avait-il fallu pour amasser une aussi jolie collection d’objets hétéroclites ? Il valait probablement mieux que je ne le sache pas.

Il ne me resta bientôt plus que quatre grandes malles de voyage et une dizaine de caisses de plastique plus récentes, que j’avais mises de côté plus tôt. Leur aspect neuf m’avait convaincue que leur contenu n’aurait probablement rien de fantastique. De fait, elles débordaient de décorations de Noël.

Elles avaient dû être rangées là avant que grand-père ne soit plus en mesure de les ressortir lui-même. Il me faudrait demander à Hilda si elle voulait les conserver ou les donner

à des oeuvres de charité.

Je me tournai finalement vers les malles, que je tirai une à

une vers la lumière, en repoussant des meubles et des cartons vers le fond. Trois se laissèrent glisser sans problème, mais la quatrième, plus lourde, opposa une forte résistance. La poignée à son extrémité cassa alors que je la tirais vers moi, et je me retrouvai sur le dos, ma tête heurtant une pile de cartons, qui dégringolèrent et répandirent leur contenu sur le sol poussiéreux. Je poussai un soupir résigné et me relevai.

Je regardai la récalcitrante et lui tirai la langue, exaspérée. Je n’avais nulle envie de me battre avec cette masse inerte pour l’instant. Je reportai mon attention sur celles que j’étais parvenue

à déplacer.

Le couvercle de la première s’ouvrit sur des vêtements pour enfants, de tous les styles et de tous les âges, ainsi que sur des couvertures, des piqués, des couches lavables, de vieilles peluches et des jouets d’antan. Le parfait trousseau pour un nouveau-né du baby-boom d’après-guerre. La seconde et la troisième me firent aussi l’effet d’un trousseau, mais de jeune mariée cette fois : du linge de maison, de la literie, des vêtements de première nécessité, de la vaisselle et de la coutellerie de base, quelques chaudrons, et même un livre de recettes écrit à la main. Le Livre de la parfaite ménagère et La

Mère canadienne et son enfant complétaient l’ensemble.

Je pensai soudain que cela devait être le présent de départ destiné à Hilda si elle s’était mariée. Je compris à quel point la déception avait dû être grande pour mon grand-père et sa femme lorsqu’elle leur avait dit qu’elle préférait la vocation

à la vie de famille. Ils avaient probablement rangé les malles au grenier, toujours intactes, témoins silencieux de leur désillusion.

La vie réservait souvent de bien tristes surprises, refusant de se dérouler selon nos souhaits.

Je rabattis les couvercles, le coeur étrangement lourd. Je me demandai une fois de plus si Tatie avait parfois regretté

d’avoir pris le voile. Avait-elle toujours été heureuse de cette vie de recluse ? J’avais de la difficulté à le croire, la liberté étant si chère à mon coeur. Et je ne le saurais probablement jamais puisqu’elle refusait de discuter de cette époque. Une petite voix me chuchotait à l’occasion que cette période cachait beaucoup plus de moments malheureux que de moments de bonheur, et je me demandais bien pourquoi.

Je reportai mon attention sur le dernier spécimen, mais non le moindre. Je voulus l’ouvrir, mais il me résista. Surprise, je m’agenouillai et regardai attentivement la serrure. Celle-ci

était différente des trois autres et refusa obstinément de fonctionner lorsque j’essayai à nouveau. Je crus tout d’abord que je ne m’y prenais pas de la bonne façon, mais réalisai rapidement que ce n’était pas le cas. Pour la première fois de la journée, je me trouvais devant quelque chose de verrouillé.

Je ne savais trop qu’en penser. Ma curiosité était attisée par la perspective d’une découverte intéressante... enfin !

En fait, depuis mon arrivée, je me refusais à croire qu’une vieille maison comme celle-ci ne me réserverait pas au moins une ou deux surprises au sujet de mes ancêtres et j’étais impatiente d’entendre le cliquetis du verrou. Autant que je pouvais en juger, il me faudrait mettre la main sur une vieille clé, d’un modèle probablement semblable à celui du secrétaire du rez-de-chaussée. Mais, même en réfléchissant, je ne me souvenais pas en avoir vu une autre depuis mon arrivée dans la maison. Je n’avais pourtant manqué aucune des journées de grand ménage et j’avais toujours été là quand on avait vidé les boîtes, les garde-robes ou les meubles. S’il y avait eu une clé, je l’aurais sûrement vue, à moins que...

Certains des agissements étranges d’Hilda me revinrent en mémoire et je me demandai soudain si ce n’était pas elle qui avait quelque chose à cacher. Cette pensée me troubla et je m’assis en tailleur, le dos appuyé à l’objet de mes spéculations.

Se pourrait-il que la vie de ma chère tante ne soit pas aussi nette et claire qu’elle voulait bien le montrer ? Je fus prise de remords à la pensée de pareille énormité. Une petite voix me rappela cependant que Tatie avait quelquefois quitté

avec précipitation la pièce que nous rangions et qu’elle avait toujours un objet dans les mains. Je ne réalisai que maintenant qu’elle revenait toujours les mains vides et la mine soucieuse. Ce qui m’avait paru sans importance sur le coup se révélait, en y pensant bien, s’être trop souvent produit pour tenir seulement du hasard.

J’éteignis la lumière et redescendis au rez-de-chaussée, l’esprit ailleurs. Une foule de questions se bousculaient dans ma tête. Je ne savais plus si je devais chercher une clé ou plutôt l’endroit où avaient disparu les objets que ma tante avait si judicieusement soustrait à ma curiosité. Je me fis machinalement à souper, mon esprit vagabondant d’une hypothèse à l’autre. Je mangeai sans appétit, élaborant une stratégie de recherche. Tout ce sur quoi je désirais mettre la main se trouvait probablement au même endroit. Je me mis donc à la recherche de ce dernier. Trois quarts d’heure plus tard, je dus me résigner à revenir m’asseoir à la table de la cuisine, bredouille. Il y avait bien la chambre de Tatie, dans laquelle je n’avais pas mis les pieds, mais je me refusais à

une telle violation d’intimité. De toute façon, je doutais que quelque chose de compromettant s’y trouve ; elle était plus fine mouche que cela. Si elle désirait vraiment que je ne puisse pas voir ce qu’elle cachait, elle aurait choisi un endroit où je ne penserais pas aller, en cas de soupçons.

Cela me rappela un incident, survenu quelques jours plus tôt, alors que nous dressions la liste des travaux à planifier.

Lorsque j’avais mentionné le placard sous l’escalier,

Hilda m’avait répondu que celui-ci ne devait rien contenir de particulier, hormis des balais, des serpillières, des seaux et des vadrouilles. Rien donc que nous devions trier ou qui puisse nous être utile, puisque nous avions chacun de ces objets à l’état neuf dans le placard de la cuisine. Comme je m’étais permis d’insister, sous prétexte qu’il faudrait bien le faire un jour, elle m’avait répondu qu’elle ne voyait pas ce qui pressait tant, qu’elle pourrait toujours y voir une fois le gîte ouvert. Le ton de sa voix m’avait surprise puisqu’Hilda avait pris celui qui ne souffrait aucune discussion. Je me souvenais m’être dit alors que c’était bien du bavardage pour un simple placard à balais.

Tout en jonglant avec ces événements, je me levai et me rendis au salon. Le rangement passait presque inaperçu ;

nous avions empilé plusieurs boîtes destinées aux organismes de charité devant sa porte. C’est également Tatie qui avait choisi cet endroit, prétextant que ce coin inutilisé ne pouvait recevoir aucun meuble, de toute façon. J’entrepris sur-le-champ de dégager son ouverture. Je tentai de faire jouer le pêne, mais sans y parvenir. J’allai chercher ma lampe de poche et m’accroupis de façon à ce que mes yeux soient

à la hauteur du mécanisme de fermeture. J’éclairai la fente entre la porte et la paroi, tentant de voir ce qui pouvait bloquer.

Je compris bientôt ce qui clochait et courus à la cuisine chercher un couteau à beurre.

De retour, je glissai la lame vers le haut, dans l’espace vide. J’entendis immédiatement le bruit caractéristique du pêne qui se soulevait et je pus ouvrir sans problème. J’examinai ensuite le mécanisme ; je ne m’étais pas trompée. La poignée ressemblait à toutes celles qui fermaient les garderobes de cette maison. La différence, dans ce cas-ci, c’est que ce dispositif ancien avait été posé à l’intérieur du réduit, de telle sorte qu’il s’enclenchait automatiquement quand on fermait la porte, qui semblerait toujours coincée pour celui qui ne connaissait pas son secret. Cette façon de faire, extrêmement ingénieuse, me laissa interdite de par sa signification

; ce placard avait été conçu pour éviter son ouverture par hasard. Cela impliquait nécessairement que l’on voulait cacher son contenu. Je me demandais, plus que jamais, ce que l’on voulait tant passer sous silence. Le fait est que je n’allais pas tarder à le découvrir.

Je promenai le faisceau de la lampe à l’intérieur et ne vis d’abord rien qui ne différât de ce qu’Hilda avait d’abord mentionné

: deux balais, un seau et une vadrouille, de vieilles chaussures et un aspirateur d’un autre âge. La déception s’empara lentement de moi et je me sentis idiote. À vingtcinq ans, se comporter ainsi relevait de l’enfantillage. Je me retournais pour quitter l’embrasure lorsqu’un rayon de lumière, provenant d’une fenêtre du salon, accrocha au passage un objet scintillant. Je me penchai pour mieux voir et aperçus une masse sombre derrière les fils de coton de la vadrouille. Je me hâtai de pousser celle-ci et dégageai un carton à chaussures, duquel pendait une chaînette en argent.

Je sortis du placard, le verrou reprenant sa place dans un cliquetis, et me dirigeai vers ma chambre, dans l’appartement contigu. Je m’assis sur mon lit et déposai, avec une excitation mêlée d’appréhension, la boîte sur l’édredon.

Je ne comprenais pas pourquoi je me sentais si anxieuse ;

la boule dans mon estomac n’avait pas de raison d’être. Après tout, cette pièce avait probablement perdu sa vocation première, il y a bien des années, avec la fin de la guerre. Je me trouvais sûrement en présence d’un autre carton sans intérêt.

Pourtant, une sensation inhabituelle s’était emparée de moi, comme si quelque chose dans cette boîte m’attirait, sans que je sache quoi ni pourquoi. J’avais peine à décrire ce sentiment, qui ne ressemblait à rien de ce que je connaissais.

Je soulevai enfin le couvercle. Outre la chaînette en argent, il y avait une petite pile de lettres retenues par un élastique, un coffret d’environ dix centimètres sur quinze, en argent

également, et un paquet d’une dizaine de photos. Je regardai d’abord celles-ci avec intérêt. Toutes en noir et blanc, elles représentaient trois femmes à des moments divers de leur vie. Si je connaissais deux d’entre elles pour les avoir côtoyées, ma tante et ma mère, la troisième m’était inconnue. Son visage me sembla tout de même familier et, en y regardant de plus près, je constatai que la ressemblance entre elle et

Hilda était frappante. J’en déduisis que ce devait être sa mère, cette étrange femme dont personne ne voulait jamais parler.

Il y avait également la photo d’un inconnu, un homme dans la vingtaine, beau mais drôlement vêtu, comme s’il débarquait tout droit d’une fête médiévale.

Le dernier portrait n’était pas une photo, mais une peinture sur un médaillon de bois fort mince de sept centimètres sur cinq. Je savais, pour en avoir vu dans certains musées, que c’était ce que l’on appelait une miniature. Le moyen que nos ancêtres avaient trouvé pour conserver près d’eux, en permanence, les êtres chers partis au loin ou disparus. J’examinai avec stupeur la jeune femme qui me souriait ; si j’avais tenu un miroir à la main, la ressemblance n’aurait pas été

plus parfaite. Elle avait les cheveux noirs, coiffés selon une mode depuis longtemps passée, et portait une robe très chic pour ce que je pouvais en juger, ne voyant que le haut du corsage. Mais ce sont ses yeux qui me donnèrent la chair de poule, des yeux que je ne connaissais que trop. Je tournai la pièce, les mains tremblantes, et vit l’inscription, 1759, de même que le nom de l’artiste, William. Comment se pouvaitil que je n’aie jamais été mise au courant de ce portrait alors que la ressemblance était si frappante ? Pourquoi ne m’avaiton pas permis de le voir ? Il y avait décidément un mystère dans la famille et je désirais plus que jamais savoir de quoi il retournait.

La chaîne en argent, un bijou très ancien, soutenait de curieux pendentifs : une pierre ronde et lisse qui, bien que noire, semblait contenir d’autres couleurs en filigrane avec, de chaque côté, deux petites pierres, l’une d’un blanc transparent aux reflets bleutés, l’autre d’un noir intense et mat. Je n’avais jamais rien vu de semblable. Ou plutôt si, il y a un instant. Je repris la miniature, repérant tout de suite le bijou au cou de la jeune femme. Je revins en hâte aux photos de mes aïeules, les examinant de plus près. Ne pouvant confirmer mon impression, je courus chercher une loupe. Si je ne vis pas le collier au cou de ma tante Hilda, je le retrouvai autour de celui de sa mère et de la mienne. Restait à savoir si l’on avait copié

plusieurs fois le modèle ou si je tenais bel et bien l’original.

Que représentait donc ce bijou pour que les femmes de la famille se le soient transmis pendant plusieurs générations, plus de deux siècles en fait ? Je regardai à nouveau dans la boîte, peut-être qu’une partie de la réponse s’y cachait...

Je choisis de jeter d’abord un coup d’oeil aux lettres, réservant le coffret pour la fin. Il y en avait cinq, toutes très anciennes et jaunies par le temps. Je dépliai celle du dessus, découvrant une écriture fine et quasiment illisible. La signature au bas, Miranda, m’était inconnue. Je ne connaissais personne qui portait ce prénom parmi les gens de mon entourage ou mes ancêtres. Les quatre autres portaient le même autographe et la même écriture serrée. Mes yeux ne perçurent cependant que des caractères flous, mes paupières se faisant de plus en plus lourdes. J’étais trop épuisée par ma longue journée pour avoir envie de me lancer dans le décryptage de vieux documents. Ils pourraient fort bien attendre une nuit de plus avant de me confier leurs secrets. Je les remis à

leur place et m’emparai du coffret.

Son ouverture m’arracha un cri de triomphe ; sur un lit de velours rouge reposait une clé ancienne, semblable à celle dont je croyais avoir besoin pour que le coffre au grenier me révèle son contenu. Il me faudrait tout de même attendre au lendemain matin ; la journée avait été riche en nouveautés, mais aussi en labeur et je me sentais plus lasse que je ne voulais l’admettre. Avec un soupir, je remis tous les éléments dans la boîte à chaussures et me rendis à la salle de bain.

Une douche chaude me fit momentanément oublier mes découvertes et je me glissai sous les draps avec plaisir. Un sommeil peuplé de rêves étranges, comme toujours depuis ma tendre enfance, me gagna presque aussitôt et je ne me réveillai que tard le lendemain matin.

C’est la sonnerie du téléphone qui me tira du lit. Je répondis d’une voix ensommeillée et entendis aussitôt ma tante Hilda, joyeuse à l’autre bout du fil.

– Eh bien ! Quand je n’y suis pas, on se relâche, on dirait...

Il me fallut un certain temps pour que sa remarque sans méchanceté fasse son chemin dans mon cerveau embrumé.

Je me retournai lentement pour constater que le cadran de ma table de chevet affichait un magnifique neuf heures trente.

Il n’en fallait pas davantage pour que le brouillard se lève instantanément.

– Et merde ! lâchai-je, dépitée.

– Eh, ma grande ! Ce n’était pas une remontrance, me répondit ma tante d’une voix douce.

– Je sais, Tatie. C’est juste que j’avais prévu un certain nombre de choses à terminer avant ton arrivée et que le retard sera difficile à rattraper...

– Que peut-il bien y avoir de si urgent ? demanda-t-elle aussitôt.

Je me rendis compte que j’avais trop parlé. Je n’avais aucune réponse de prête et je m’apprêtais à bredouiller quelque chose, mais elle ne m’en laissa heureusement pas le temps.

– De toute façon, cela n’a aucune importance, compte tenu des circonstances. Tu seras satisfaite d’apprendre que je dois retarder mon arrivée d’une journée. Il me reste encore quelques achats à faire, l’un de mes rendez-vous a été reporté

à demain et j’avais prévu dîner avec une vieille amie ce soir.

C’est d’ailleurs la raison de mon appel, je ne voulais pas que tu t’inquiètes en ne me voyant pas revenir.

Je poussai malgré moi un soupir de soulagement. Une journée de plus ne serait pas de trop pour ce que je projetais.

– Merci de me prévenir. C’est une amie que je connais ?

Curieusement, ma tante se fit évasive, révélant seulement que c’était quelqu’un qu’elle avait connu avant son entrée au couvent. Quelque chose dans sa voix me mit la puce à

l’oreille, mais je préférai ne pas poser davantage de questions.

Après tout, j’étais plutôt mal placée pour la juger, compte tenu de ce que j’avais entrepris la veille. Je lui souhaitai une bonne journée et une soirée agréable. Elle fit de même avant de raccrocher. Je m’habillai et déjeunai en vitesse, avant de récupérer ma trouvaille et de monter au grenier.

Une fois l’éclairage rétabli, j’essayai la clé, qui tourna sans effort. Le coffre s’ouvrit dans un bruit mat. Le couvercle se souleva de lui-même, sous la pression de son contenu. Des vêtements tombèrent sur le sol, de même que des livres et...

une dague, qui se ficha dans le plancher de bois. Tout en l’arrachant, je pris conscience de sa légèreté, mais surtout de sa beauté. C’était une arme ouvragée, au manche incrusté de pierres. J’avais davantage l’impression d’avoir une oeuvre d’art entre les mains qu’un simple moyen de défense. En la retournant, je découvris une inscription derrière la lame, mais la langue m’était étrangère. Je reportai mon attention sur le contenu de la malle.

Les vêtements, conçus pour une femme, avaient une facture nettement médiévale ; trois magnifiques robes, deux jupes longues, trois chemises que l’on portait sous les vêtements, deux corsages, quelques jupons, une paire de grandes bottes de cuir noires et deux larges capes, dont l’une avec un capuchon. On aurait juré une trousse de voyage pour le

Moyen Âge. Mais je n’étais qu’au début de mes surprises...

En fait d’armes, il y avait aussi une lourde épée. Les livres, au nombre de quinze, traitaient tous de sorcellerie, de magie, d’ésotérisme, de mondes parallèles ou de pouvoirs occultes. Je les feuilletai rapidement. Certains comprenaient plus de mille pages et tous étaient annotés de la même écriture fine que celle des lettres de la veille. J’étais de plus en plus perplexe. Je ne voyais vraiment pas l’utilité de cette malle, ni le pourquoi de sa présence ici. Je remis les vêtements en place, ainsi que les armes, et m’apprêtais à faire de même avec les livres lorsque je remarquai une feuille jaunie. Elle avait dû glisser de l’un des manuscrits.

Je la dépliai pour constater que c’était un certificat de naissance, datant de 1956, au nom d’Andréa Langevin, ma mère. La dernière ligne m’intrigua. Le document avait été

signé à Sherbrooke, au mois de février. Je ne comprenais pas pourquoi le certificat provenait de cette ville alors que ma mère était née ici-même, dans cette maison. C’est à ce moment que je remarquai les différents noms inscrits plus haut et mon sang se glaça. Au lieu de Joshua Langevin et Mireille Savard, je découvris Hilda Langevin pour mère et un désolant

« Inconnu » sur la ligne destinée au père. Je dus m’appuyer

à une commode pour ne pas m’effondrer sous le choc

Il devait y avoir une erreur, c’était impossible. Je possédais chez moi le document que je croyais authentique et voilà qu’il en apparaissait un autre, singulièrement différent. Comment pouvait-il y avoir deux certificats de naissance totalement dissemblables pour la même personne ?

Je refermai la malle, les mains tremblantes, et redescendis.

Je m’arrêtai sur le palier, en proie au vertige. Je dus m’appuyer, une fois de plus, pour ne pas tomber. Je mis un certain temps avant de reprendre mes esprits, une douleur sourde aux tempes m’annonçant un puissant mal de tête.

Jamais je n’aurais cru réagir aussi fortement devant une nouvelle de ce genre. Il me semblait nager dans l’irréel. Je descendis les escaliers, en tenant fermement la rampe de bois sculptée, l’impression de vertige refusant de se dissiper totalement.

Je gagnai la salle de bain, où j’avalai deux comprimés d’acétaminophène. Je doutais cependant d’obtenir le résultat escompté, la douleur que je ressentais ayant une origine plus psychologique que physique.

Des questions se bousculaient dans ma tête et je tentai bien inutilement de mettre de l’ordre dans la masse d’informations nouvelles que je possédais depuis la veille. Tout

était lié, j’en étais convaincue, mais je n’avais aucune idée de la nature de ce lien. Il me fallait une aide extérieure pour y arriver, et la seule personne qui pouvait me fournir une explication ne serait de retour qu’au coucher du soleil le lendemain.

Je devais m’occuper jusque-là si je ne voulais pas trop réfléchir...

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Pendant ce qui me sembla une éternité, aucun de nous deux ne fit un geste, comme si le temps s'était soudainement arrêté. Puis, sans que je réalise vraiment, je relevai la tête pour rencontrer ses yeux étranges, mais surtout ses lèvres, qui se joignirent aux miennes pour un baiser trop bref... Il recula précipitamment, faisant "non" de la tête et jurant à voix basse.

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"- je disais qu'une ligne de cœur en chaîne avec de lourds maillons, comme les tiens, indique une vie amoureuse compliquée et difficile "

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Je profitai de ce moment pour l'observer. Très séduisant, il devait être un peu plus vieux que moi. Il avait les épaules et les mains larges, de même qu'un corps puissament musclé. Tout dans sa personne respirait la force et le pouvoir, même ses vêtements d'un autre temps et sa barbe trop longue. Ses longs cheveux dénoués lui glissait parfois dans les yeux ajoutant à son air voyou. Il ressemblait à s'y m'éprendre aux durs à cuire des westerns de mon enfance; ces êtres indestructibles que chaque femme rêve de voir se battre pour elle... Je soupirai bruyament en me frottant le front du bout des doigts, m'obligeant à detourner mes pensées. Comment s'était-il retrouvé ici ?

(page 290)

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" - Vous n'en voulez pas ?

Il me regarda comme si j'étais une gamine mentalement attardée.

- Connaissant beaucoup mieux que vous le propriétaire de ce château, je ne me risquerais certainement pas à manger ce qu'il me fait porter.

- Je doute qu'il ai empoisonné ma nourriture pour me faire bêtement mourir, alors qu'il a déployé tant d'efforts pour me mettre le grappin dessus, dis-je, sûre de moi. S'il avait simplement voulu que je disparaisse de la circulation, il aurait ordonné à ses hommes de faire le sale boulot pour lui. Non ?

- Oh, mais je ne dis pas qu'il veut nous voir mourir. Au contraire, il souhaite plutôt nous obliger à lui appartenir ... C'est beaucoup plus pratique, croyez-moi.

Il observa ma réaction, mais je m'efforçai de ne pas montrer mon malaise. J'attendis qu'il poursuive.

- Sachez qu'il y a de multiples façons de s'approprier l'âme, ou de s'assurer de l'obéissance ou de la loyauté de quelqu'un pour le biais de la sorcellerie. La seule chose qui soit immuable, c'est l'aspect particulièrement cruel et fort désagréable de ne plus être maître de sa vie.

Il ma semblait que la faim qui me tenaillait, il y a quelques minutes à peine, avait disparu subitement. Je regardai le plateau, indécise. le ton avec lequel il s'était exprimé avait quelque chose de douloureux, et je crus comprendre que non seulement il savait de quoi il parlait, mais qu'il l'avait probablement expérimenté."

Filles de Lune, Tome 1 : Naïla de Brume.

Chapitre 22 "Confrontations", page 288.

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"- le fait d'être affecté à ma protection n'a pas franchement pas l'air de vous plaire, remarquai-je.

- c'est le moins que l'on puisse dire ... "

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