dark-vince a écrit :Pour mieux comprendre la liberté d'expression
A ceux qui se posent des questions que les limites de la liberté d'expression et (notamment) sur la différence entre les cas de Charlie Hebdo et Dieudonné, je conseil le très bon article du Monde sur le sujet. C'est à mon sens le journal le plus "neutre" et objectif que l'on puisse trouver en France, alors allez y jeter un petit coup d’œil :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/art ... 55770.html
Si l'on veut qu'un débat soit intéressant, le minimum est que chacun parte d'une même base de connaissance du sujet.
Tu vas être content Vince, la "grande sage du droit" va encore frapper
Je trouve pas cet article génial moi...
Tout n'est effectivement pas à jeter. Les bases sont là et sont exprimées de façon assez didactique. Quelqu'un qui a jamais fait de droit comprendra déjà ces bases, arrêtera de dire que "la liberté d'expression c'est le droit de dire ce que je veux" et c'est déjà pas mal en soit.
Mais c'est terriblement incomplet parce que c'est justement QUE les bases. Et à force de faire des raccourcis, on aboutis à des erreurs grossières qui font perde toute crédibilité à l'ensemble
Erreur grossière 1 : non, limiter la liberté d'expression a priori n'est pas impossible
Contrairement à ce qui est dit dans le point 1 : "on peut réprimer les abus constatés, pas interdire par principe une expression avant qu'elle ait eu lieu".
Ce journaliste sait très bien lire les lois, mais il a "juste" oublié les principes jurisprudentiels et les principes de base du droit administratif, qui eux ne sont pas écrits dans les lois.
Rien du tout quoi
Qui dit droit administratif dit police administrative, qui est par définition PRÉVENTIVE et donc agit avant que les infractions soient commises. (En opposition à la police judiciaire, bien mieux connue, qui est elle répressive, et donc qui agit après que les infractions aient lieu). C'est donc une absurdité la plus totale de dire qu'on ne peut pas interdire a priori à quelqu'un de s'exprimer.
Erreur grossière 2 : non, limiter la liberté d'expression a priori n'est pas quelque chose d'extraordinaire ou de possible que depuis récemment.
Contrairement à ce qui est dit dans le point 5 : "En plaidant pour l'interdiction de ses spectacles fin 2013, le gouvernement Ayrault avait cependant franchi une barrière symbolique, en interdisant a priori une expression publique". Je crois que ce journaliste délire totalement, je vois pas d'autre solution. Aucune "barrière symbolique" n'a été franchie.
Dès 1933 on a estimé que c'était possible ! Si l'ordre public est menacé et qu'il n'est pas possible de prendre une mesure moins attentatoire à la liberté, on peut par exemple interdire un spectacle (Conseil d'état section, Benjamin, 19 mai 1933)
A partir de 1995, on a accepter d'interdire des spectacle qui ne respectent pas la dignité humaine (CE assemblé, commune de Morsang-sur-Orge, 27 octobre 1995).
Les "arrêts Dieudonné" ne font qu'appliquer les principes dégagés par ces deux jurisprudences. Rien de nouveau sous le soleil.
Puis à vrai dire, ces jurisprudences avaient déjà été critiquées à leur époque. C'est la suite logique qu'on critique la jurisprudence qui concerne Dieudonnné.
Erreur grossière 3 : oui, on a interdit a priori le spectacle de Dieudonné à plusieurs reprises. Mais c'est pas pour autant que son spectacle sera interdit systématiquement et c'est pas pour autant qu'on est obligé d'être d'accord avec cette décision
Le point 5 tout entier est un gros mensonge par omission, couplé à un discours assez populiste. C'est absolument pas neutre !
La justice à parfois condamné Dieudonné. Oui. Et ? La rédemption après une peine et
non bis in idem, vous connaissez ? C'est dure à accepter je sais, mais c'est comme ça que ça marche. C'est pas parce qu'on a été vilain par le passé qu'on est sensé tout nous interdire aujourd'hui. Les doubles peines sont strictement interdites en France.
Le dernier paragraphe atteint des sommets : il donne littéralement au gens ce qu'ils ont envie d'entendre. En gros "Dieudonné il est méchant, même que le Conseil d'Etat il l'a dit". Oui il le Conseil l'a dit (cf. les deux lien ci-dessous). Mais il a été tellement critiqué pour cette décision extrêmement mal motivée, et pas par les fanboys de Dieudonné qui ont encore plus de mauvaise foi que ses détracteurs, mais par des juristes qui se sont sérieusement penchés sur la question (et qui, je le rappelle, avaient déjà critiqué les jurisprudences précédentes qui ne concernait pas du tout Dieudonné) qu'on ferrait mieux de pas trop se vanter de cette décision. ça par contre, pas un mot dans l'article.
(Pour pas écrire un message de 3 pages, parce que j'ai une vie et que je veux pas passer 3h sur le sujet et parce qu'il faut vraiment entrer dans une analyse détaillée de la décision de justice que vous serez 3 à lire et 2 à comprendre, je vous donne pas les arguments avancés pour critiquer cette décision. Mais je vous donne ma parole que les motifs invoqués ne valent pas grand chose)
Bref : le journaliste n'a strictement rien prouvé. C'est pas parce que le conseil d'Etat a dit un truc que la question de la différence Charlie Hebdo/Dieudonné ne mérite pas d'être posé. Et même si la décision du conseil d'Etat n'était pas critiquée, cette question pourrait encore d'être posée, parce que le droit c'est susceptible de changer à tout moment, et donc c'est toujours quelque chose que tu peux remettre en question.
Erreur pas grossière, mais erreur quand même : pour faire du droit, il faut être rigoureux. Et cet article ne l'est pas.
L'auteur fait preuve de négligence, encore dans le point 5. Il parle d'une décision du Conseil d'Etat après l'interdiction du spectacle de Nantes. Soit
cet arrêt. Mais il cite ensuite un
autre arrêt. C'est pas dramatique, me diriez vous ? Ouais, c'est pas faux. Mais le droit c'est une matière qui supporte pas l'à peu près, et là on est en plein dedans.
A noter, lisez les quelques phrases qui commence par "vu", vous tomberez sur les arrêts que j'ai cité plus haut. Preuve qu'ils ont servit de base à cette décision.
Remarque avant que mes propos soient déformés : je ne suis pas du tout en train me faire avocat de Dieudonné. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne doit pas être condamné. Je suis en train de corriger les erreurs juridiques de cet article, que j'estime honteuses d'un journal comme le monde, qui en principe est effectivement "le journal le plus "neutre" et objectif que l'on puisse trouver en France", pour reprendre les termes de Dark-Vince.