Le Temps des vikings, Tome 2 : L'Amant des mers du Nord

** Extrait offert par Michelle Willingham **

Chapitre 2

Elena regarda avec incrédulité Ragnar déposer son épée et son bouclier sur le sable. Que faisait-il ? Il était plus fort que n’importe lequel de ces Gaëls, et elle le savait capable de les tuer tous, l’un après l’autre. Pourquoi avait-il choisi de se rendre ?

Avait-il un autre plan ?

Ragnar se rapprocha, en pataugeant dans l’eau. Casqué et en cotte de mailles, il paraissait toujours aussi redoutable ; un guerrier habitué à tuer ses ennemis et qui ne rendrait pas les armes tant qu’il lui resterait un souffle de vie. Ses longs cheveux bruns retombaient sur ses épaules et ses yeux étincelaient de rage et de détermination.

Pour l’avoir vu s’entraîner avec son mari à maintes reprises, elle avait pu apprécier ses qualités de combattant. Il n’y avait aucun homme capable de rivaliser avec Ragnar Olafsson. Il était doté d’une force de taureau et d’une souplesse de félin.

— Lâche-la ! cria-t-il au Gaël qui la tenait toujours. Nous allons retourner à notre bateau.

Il s’exprimait comme s’il croyait que le Gaël pouvait comprendre leur langue du Nord. Sa voix était calme et il levait les bras afin de montrer qu’il était prêt à se rendre, mais la lueur qui brillait dans ses yeux contenait une menace implicite. Ragnar n’était pas homme à transiger avec un ennemi. C’était une ruse, destinée à la protéger.

En voyant les autres Gaëls se rapprocher, Elena sentit son cœur cogner fort dans sa poitrine.

Que comptait-il faire ? Se sacrifier ? Non, il n’était pas du genre à jouer les martyrs.

L’un de ses compagnons, Onund, le regarda, furieux.

— Tu as peut-être l’intention de te rendre, Ragnar, mais pas nous ! s’exclama-t-il en refusant de déposer ses armes. Nous sommes plus nombreux qu’eux !

Ragnar serra les dents, l’air irrité, et Elena comprit enfin ses intentions.

Les Gaëls les avaient attaqués par surprise, mais ils pouvaient leur rendre la pareille, s’ils croyaient en leur reddition. Ragnar voulait donner à ses hommes le temps de se rassembler. Onund ne pouvait-il le comprendre ?

— Si nous continuons à nous battre, il lui tranchera la gorge et ils tueront Styr aussi, expliqua Ragnar.

Puis, il baissa la voix et Elena n’entendit pas la suite de ses explications. Son ravisseur continuait de marcher à reculons et, bientôt, il parvint au drakkar sans qu’elle sache ce que Ragnar pensait faire.

Il ne l’avait pas quittée du regard. Un regard plein de détermination, celui d’un homme décidé à la sauver coûte que coûte. Un regard aussi qui lui rappela la façon dont il l’avait regardée un peu plus tôt, quand ils avaient quitté le drakkar pour gagner la terre. Ses yeux avaient brillé d’une façon inhabituelle, et elle avait senti une vague de chaleur lui monter au visage. Comme s’il avait eu envie d’elle… intimement.

Un souvenir qui fit battre son cœur plus vite, car elle ne l’avait jamais vu la regarder ainsi auparavant. Ses yeux verts plongeaient en elle, l’atteignant jusqu’au plus profond de son être, et elle ne comprenait pas sa propre réaction. Elle frissonna involontairement, et ce frisson ne devait rien à la froideur de l’eau.

Une pensée horrible lui traversa l’esprit. Ragnar n’avait pas envie que Styr meure, tout de même ? Son mari était maintenant prisonnier des Gaëls et il faudrait qu’ils le délivrent, d’une façon ou d’une autre.

Mais Ragnar en avait-il l’intention ? Pouvait-il avoir décidé d’abandonner Styr, son meilleur ami ?

Elle le connaissait trop bien pour le croire capable d’une telle traîtrise, mais elle ne put empêcher un doute de s’insinuer au fond de son cœur.

Finalement, les autres avaient obéi à ses injonctions et déposé leurs armes et leurs boucliers. Ils les suivaient, l’un derrière l’autre, entourés par les Gaëls.

— L’un d’entre vous au moins devrait rester pour…

Avant qu’elle ait le temps de finir sa phrase, le Gaël qui la maintenait prisonnière lui plongea la tête dans l’eau. Elle battit des mains et tenta de se dégager. Avait-il l’intention de la noyer ? La bouche pleine d’eau de mer, elle commençait à étouffer lorsque, brutalement, il la tira à la surface. Aveuglée et les cheveux trempés, elle l’entendit proférer des menaces dans une langue qu’elle ne comprenait pas. Puis, sans lui laisser reprendre ses esprits, il la hissa à bord du drakkar. Elle n’avait même plus la force de résister, car elle était comme tétanisée par le froid et la peur panique qu’elle avait ressentie quand elle avait eu la tête sous l’eau.

L’esprit embrumé, elle sentit vaguement qu’il lui attachait les poignets et la traînait vers l’avant du bateau.

Peu après, ses compagnons montèrent à bord à leur tour, suivis par quatre Gaëls, et se laissèrent ligoter sans résister. Ils attendaient sans doute un moment favorable pour se libérer, jeter les Gaëls à la mer et reprendre la maîtrise du drakkar.

Mais aucun d’entre eux n’était resté à terre pour aider Styr. Le cœur serré, elle regarda fixement la côte. Son mari n’était plus là, et elle ne savait pas si elle le reverrait un jour vivant. Ces derniers mois, il s’était éloigné d’elle, mais elle savait que c’était sa faute, car elle n’avait pas cessé de repousser ses avances. C’était un homme bon, un guerrier valeureux, qui ne méritait pas d’avoir une femme incapable de lui donner des enfants.

Ce n’était cependant pas le moment de s’apitoyer sur elle-même. Elle devait rassembler ses forces et son courage. Il fallait qu’elle réagisse, se batte, trouve un moyen d’échapper à ses ravisseurs. C’était son seul espoir.

Ragnar s’était laissé ligoter, sans la quitter des yeux. Elle ignorait quelles étaient ses intentions, mais le message était clair. Elle pouvait lui faire confiance. Il avait un plan et le mettrait en œuvre dès qu’il en aurait l’opportunité.

Les Gaëls avaient pris les rames, mais ils étaient trop peu nombreux et le drakkar avançait lentement. Son ravisseur — en entendant ses compagnons lui parler, elle avait appris qu’il s’appelait Brendan — hissa la voile. Le vent la gonfla, poussant le drakkar vers la haute mer.

Ce fut seulement lorsque Ragnar profita d’un moment d’inattention des Gaëls pour se rapprocher d’elle qu’elle osa se pencher vers lui et lui parler à voix basse.

— Que va devenir Styr ? Tu l’as laissé derrière sans personne pour l’aider. Il est blessé, mourant peut-être…

A cette pensée, elle frissonna et des larmes brûlantes lui piquèrent les yeux.

— S’ils avaient voulu le tuer, ils l’auraient achevé sur place, lui répondit-il. Ils l’ont emmené vivant. Avec l’intention de le garder en otage, probablement. Nous reviendrons avant qu’ils aient eu le temps de lui faire du mal.

Elle ne savait plus que penser. Ils pouvaient aussi bien le torturer ou le tuer pour venger leurs morts et leurs blessés.

— Et si tu te trompes ? murmura-t-elle.

— Fais-moi confiance. Si nous avions continué de nous battre, ils l’auraient achevé et tu serais morte également.

Elle plongea ses yeux dans les siens, le suppliant en silence.

— Tu ne peux pas l’abandonner.

Les traits de Ragnar se contractèrent et son regard se durcit. Ses accusations implicites l’ulcéraient manifestement.

— Je lui ai juré de te protéger, au péril de ma vie si nécessaire. C’est ce que j’ai fait.

Il se pencha vers elle et baissa la voix :

— Nous profiterons de la nuit pour reprendre la maîtrise du bateau.

— Tu as les mains attachées.

Il haussa les épaules.

— Tu crois ?

Il avait parlé avec une telle assurance qu’elle commença à se demander si elle n’avait pas eu tort de douter de lui. Elle sentit la chaleur de son haleine sur sa joue et lui jeta un coup d’œil. Les rayons du soleil faisaient jaillir des éclats dorés dans ses longs cheveux bruns. Un conquérant… Un guerrier conscient de sa force et de sa détermination. La lueur brillait de nouveau dans ses yeux, cette lueur qui avait enflammé ses joues. Elle s’insinua en elle, dissolvant peu à peu ses peurs et ses incertitudes.

« Fais-moi confiance », lui avait-il demandé. Elle voulait croire en lui, car il était son seul espoir de recouvrer la liberté. Mais, de nouveau, il la regardait d’une façon par trop troublante. Les battements de son cœur accélérèrent, ce qui la mit encore plus mal à l’aise.