La Duchesse des cœurs, Tome 3 : Lord Ash à tout prix

— Très bien, gloussa-t-elle. Je te promets de ne rien te raconter, si de ton côté, tu t’engages à remettre ceci à Ash, ajouta-t-elle en lui tendant lesdits papiers.

Il abaissa son livre pour dévisager les feuilles en question comme s’il s’agissait d’un nid de vipères.

— Faire du chantage, ma chère duchesse, est indigne de toi.

Toutefois, il posa le livre de Thucydide et prit les documents. Sa bouche se crispa lorsqu’il en lut le titre.

— Comment combler son épouse ? Bonté divine !

— C’est un nouvel essai sur lequel je travaille. Les "Préceptes amoureux" sont très populaires, mais ils sont vraiment destinés aux femmes. Les hommes ont eux aussi besoin de conseils en matière conjugale.

Drew fronça les sourcils.

— Sauf toi, bien entendu, ajouta-t-elle, en étant presque sincère. D’ailleurs, j’espérais que tu pourrais le lire et me faire des suggestions pour le rendre plus pertinent, émit-elle en souriant. Tu es un homme, après tout.

Il fit une petite courbette.

— Content que tu l’aies remarqué, mais non, je ne le lirai pas. Je pense qu’Ash ne le fera pas, lui non plus.

— Mais c’est pourtant bourré de bons conseils !

Comment pouvait-elle aider les hommes à trouver l’amour, s’ils n’étaient pas fichus d’être ouverts d’esprit ? Former un couple était une chose, mais le mariage exigeait bien plus qu’une simple cérémonie. C’était un voyage dans lequel s’embarquaient deux individus, et pour le rendre plaisant, l’homme et la femme devaient tous deux travailler dur pour attiser la flamme. L’étincelle était toujours présente entre Ash et Jess. Elle le sentait. Mais elle menaçait dangereusement de s’éteindre, s’ils ne comblaient pas le fossé qui s’était creusé entre eux. Et Vénus serait prête à parier que l’une des choses qui les séparaient impliquait la chambre à coucher. Elle ignorait pourquoi elle pensait une chose pareille, mais elle se fiait à son instinct.

— Il faut absolument que tu le donnes à Ash, insista-t-elle. L’avenir de notre lignée en dépend.

— Vénus, je ne vais pas offenser Ash en lui suggérant qu’il ne sait pas satisfaire sa femme au lit.

Drew pouvait se montrer si énervant parfois.

— Ce n’est pas vraiment le propos. Si tu prenais la peine de lire ces quelques pages …

— Non, trancha-t-il.

— … tu t’apercevrais qu’il s’agit surtout de conseils pour renforcer les liens entre mari et femme, de façon que ces dernières aient envie de s’impliquer dans les jeux de l’amour. Avec ardeur, précisa-t-elle, un large sourire aux lèvres.

Drew n’avait toujours pas l’air convaincu.

— Peu importe ce que racontent ces pages. Ash n’aura aucune envie de les lire. N’as-tu pas remarqué que nos fils deviennent livides, dès que quiconque a le malheur de faire allusion aux

"Préceptes amoureux de Vénus" ? Ils ne veulent pas savoir ce que leur mère – ou même leur père, j’imagine – pense de l’amour conjugal.

Drew avait marqué un point.

— Dans ce cas, ne leur dis pas que j’en suis l’auteure. Tu vois bien que je l’ai signé de manière anonyme. Raconte-lui qu’un ami à toi l’a écrit.

— Je ne veux pas mentir.

— Ce ne sera pas un vrai mensonge. Je suis ton amie, après tout, non ?

— Vénus, Ash sera mortifié si je lui donne ceci, quel que soit son auteur. C’est un être très fier et très secret. Tu le sais pertinemment. Regarde un peu : en huit ans, il n’a jamais dit un seul mot des crises que traversait son mariage, même quand nous avons commencé à le pousser à trouver une solution.

Elle n’avait aucune envie d’être d’accord avec Drew, mais effectivement, elle était consciente qu’Ash n’accepterait de conseils de personne, bien qu’il en ait réellement besoin. Quoi qu’il fasse, il fallait que l’idée vienne de lui …

— Eurêka ! s’exclama-t-elle. Nous allons nous arranger pour qu’il tombe dessus par hasard.

Drew, visiblement sceptique, lui rendit la pile de feuilles.

— J’ignore comment tu vas accomplir une telle chose avec tant de monde à la maison. Jack ou Ned pourraient également tomber dessus, et nous savons qu’eux n’ont absolument pas besoin de conseils de ce genre.

— Oh, chéri. Tu as raison, comme toujours.

Drew émit un grognement.

— « Raison, comme toujours » ? Tu pourrais me le mettre par écrit ?

— Quel imbécile tu fais.

— Pourquoi ne pas te contenter de remettre cet essai à Ash, et lui demander à lui de te donner son opinion ? Tu n’as qu’à lui dire que j’ai refusé d’en lire un traître mot, ce qui est vrai, poursuivit-il en affichant un sourire suggestif. Je sais très bien comment combler ma femme.

— Oui, ça, c’est sûr.

Vénus s’approcha pour lui embrasser la joue, mais il l’attrapa par la taille et captura ses lèvres à la place. Hmm.

— J’avoue que j’éprouve le besoin de dissiper les derniers doutes que tu pourrais avoir quant à ma capacité à te satisfaire, lui murmura-t-il dans le creux de l’oreille.

Il la prit dans ses bras et la porta jusqu’au fauteuil ; elle fut ravie de constater que deux personnes pouvaient y être confortablement installées. Elle posa ses doigts sur les lèvres de Drew lorsqu’il essaya de l’embrasser de nouveau. Elle voulait en finir avec ce sujet, avant qu’ils ne passent à ce qui s’annonçait comme une très longue et très captivante « discussion ».

— Penses-tu qu’Ash lira ces pages si je les lui donne, Drew ?

Il effleura ses doigts du bout des lèvres.

— S’il arrive à dépasser le choc et la mortification que suscite le titre, peut-être, surtout s’il est suffisamment désespéré, répondit-il, les sourcils froncés. Et je sens réellement du désespoir en lui.

— Oui, je suis d’accord. Et Jess n’a pas l’air très épanouie non plus.

— Par contre, ne lui donne pas l’impression que tu crois qu’il a besoin de tes conseils.

— Bien sûr que non. Je prendrai des gants.

Pourquoi diable Drew avait-il l’air d’en douter ? Elle incarnait pourtant le tact personnifié.