La princesse oubliée

Même quand la rumeur s’était répandue que des troupes débarquaient dans la baie de Calamita, ils ne s’étaient pas inquiétés… Et comment l’auraient-ils pu quand le soleil resplendissait sur des jardins de rêve et que son père semblait aller un peu mieux…

La Crimée avait pris son essor véritable vingt-cinq ans plus tôt, lorsque le prince Michel Vorontzov s’était installé à Odessa, passée sous domination russe. Nommé gouverneur général de la Nouvelle-Russie et de Bessarabie, il avait démontré brillamment ses talents d’administrateur en faisant du désert un paradis. Entouré d’un cercle d’aristocrates intelligents et charmants qui avaient su le seconder dans sa tâche, il avait encouragé le commerce, fait tracer des routes, construire des ports, des hôpitaux, des collèges et même un opéra. Grâce à la navigation à vapeur qu’il avait introduite dans la mer Noire, il avait importé du bétail anglais et invité des viticulteurs français à venir superviser la culture des premières vignes. Peu à peu, les terres désertes s’étaient repeuplées. La Crimée était devenue prospère.

Finalement, le prince avait acquis une telle réputation à la Cour que de nombreux aristocrates russes avaient acheté des domaines sur la côte afin d’y établir leur résidence d’été. Le père de Yamina avait choisi un site à proximité du magnifique port de Balaclava et, là, dans un climat semi-tropical, ils avaient planté un jardin d’agrément à l’anglaise et un grand jardin botanique où poussaient les espèces les plus rares. Quant aux grands cyprès qui faisaient aujourd’hui partie des paysages de la Crimée, les deux premiers avaient été plantés jadis par l’impératrice Catherine et Potemkine.