Le Pacte des vampires, Tome 4 : L'Amant de la pleine lune

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Compter sept tombes vers la gauche. Puis cinq en remontant…

Le regard protégé par ses lunettes de soleil, Michael scruta l’horizon. Le soleil venait de se coucher. Le ciel se teintait de rose.

A quelques pas de lui, le visage dissimulé derrière un livre, une jeune femme l’observait, toute vêtue de noir. Vêtements, cheveux, vernis à ongles noir : tout en elle était noir, jusqu’à son ombre à paupières.

Michael remonta ses lunettes de soleil sur son nez, comme pour échapper à la curiosité malsaine de l’inconnue, puis il regarda son iPod où défilait le dernier clip des Déchus, Fragments d’Extase. Il ne put s’empêcher de sourire. Ils avaient fait du bon boulot, le mixage final était vraiment réussi.

— Qu’est-ce que tu en dis, m’man ? murmura-t-il en s’accroupissant devant une tombe en granit que des éclats de mica faisaient scintiller au soleil couchant. Pas mal pour un petit plouc du Minnesota, hein ?

Le calme régnait sur le cimetière ; la touffeur humide de l’été avait remplacé la fraîcheur printanière et des rafales de vent tiède faisaient voler ses cheveux. Michael jeta un œil autour de lui. Deux pelles rouillées reposaient contre la clôture nord, et, non loin de là, il aperçut une remise en brique, sans doute destinée à abriter les produits d’entretien de la pelouse. Plus près de lui, la gothique continuait à l’épier en douce.

Il agita la main dans sa direction, mais, avec un sourire de dédain, la fille lui tourna brusquement le dos.

— Où sont donc passées les bonnes manières du Minnesota ? marmonna-t-il.

Probablement envolées en même temps que les siennes, songea-t-il, amer. Comme toutes ces petites choses qui le rattachaient encore au monde des humains, ces lambeaux d’humanité qui subsistaient en lui et auxquels il essayait de se raccrocher désespérément. Le plus souvent en vain.

Il posa une main sur le sommet incurvé de la stèle et, de l’autre, suivit la courbe des mots gravés dans la pierre. Des brins d’herbe séchée dépassaient de la pelouse fraîchement tondue, et quand il aperçut le vase en laiton posé au pied de la tombe, Michael grimaça. Il aurait dû apporter un bouquet. Elle méritait des fleurs par brassées.

— Ça faisait un bail que je n’étais pas revenu au pays, hein ? Le groupe est au sommet de la gloire, tu sais ? On est passés aux Grammy Awards, cette année, et les journaux parlent de nous comme d’un « phénomène de société ». Et devine quoi ? Dans quelques semaines, c’est mon anniversaire. On fêtera ça ensemble. La vie est belle, maman. Je n’ai pas à me plaindre.

Non, vraiment pas. Et pourtant… Le monstre en lui émit un ou deux grognements de protestation.

Pour tout le monde, Michael Lynsay était une star qui déchaînait les hurlements d’une foule en délire. Des hurlements de joie, puissants, sauvages, et il aimait ça, même si ce n’était qu’un masque. Car sous le masque, lui, qui était-il en réalité ? Le maître des cris. Ces cris qui faisaient monter l’adrénaline, la délicieuse adrénaline dont il se délectait comme d’une drogue…

A force de volonté, il avait gravi une à une les marches du succès, se donnant à fond pour aller au bout de son rêve. Et ce rêve-là avait beau le broyer jour après jour, il continuait son ascension vers les sommets extravagants qu’il lui offrait. La jeunesse du monde entier ne lui enviait-elle pas son statut de rock star ? Mais ce que ses fans déchaînés ignoraient, c’était que derrière leur idole se cachait un monstre impitoyable, affamé, qui ne souffrait pas qu’on lui résiste.

Tôt ou tard, Michael le savait, les projecteurs débusqueraient la créature tapie en lui et il serait forcé de s’enfoncer plus profondément encore dans les ténèbres qui voilaient déjà son existence.

Il sortit de la poche arrière de son jean le journal local qu’il avait ramassé à l’aéroport Minneapolis-St. Paul International, et contempla avec un sourire narquois le titre qui s’étalait en grosses lettres : « L'ANGE DÉCHU DÉPOSE LE MICRO. ON PARLE DE SURMENAGE ».

L'« Ange déchu », c’était le surnom que lui donnaient ses fans depuis le jour où un journaliste avait comparé sa voix à celle d’un ange noir en quête de paradis. Quant aux rumeurs de surmenage… C’était pour ça qu’il payait les attachés de presse du groupe — pour servir ce genre de bobards aux médias.

A vrai dire, il ne s’était jamais senti aussi vivant. Bouillonnant de fougue et d’audace, il était devenu un autre. Un autre qu’il avait appris à accepter. Sauf qu’aujourd’hui, sa différence menaçait de le consumer, et c’était pour cela qu’il fallait absolument qu’il garde la tête froide. Pour éviter de basculer vers les ténèbres.

Plus d’une fois, il avait failli se trahir. Forcément, vu que les journalistes ne le lâchaient pas d’une semelle et ne lui laissaient pas une seconde de répit. C'était déjà dur d’échapper à leur vigilance pour aller aux toilettes, alors pour assouvir son goût de la peur et du sang…