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« Ce dimanche-là, dans son sermon, le prêtre expliqua :
Les passages du diable sont les chemins les plus ordinaires. Croyez-moi. Et le mal n'a pas toujours les traits de la laideur. On ne saurait lire, sur le visage d'un homme, la couleur de son âme. Mais rassurez-vous, poursuivit-il en levant les bras, il existe un moyen de s'en défendre, un seul. Car le diable ne peut arriver à ses fins sans votre aide. Il ne triomphe que si vous lui ouvrez la porte. »
Afficher en entierMais à partir de ce jour, il commença à ce passer des choses bizarres dans nos jeux. On eut dit que quelqu'un d'autre que nous s'y invitait. L'étrange poupée double s'emparait de toutes nos histoires. Deux fois par jour, au moins, je disais à Sophie :
- Bon, on change d'histoire.
Mais il y avait toujours un moment où nous avions besoin du garçon espiègle au visage juvénile pour accompagner Hal, et Sophie le ressortait. Ou alors, dans une histoire de pirates.
- Maintenant il nous faut quelqu'un pour commander le navire. Ce sera le capitaine Séverin.
Intrigué, je lui demandais :
- Séverin? Pourquoi l'appelles-tu comme ça?
Elle haussa les épaules.
- C'est le nom qui m'est venu à l'esprit. Peut-être que parce-que ce Séverin, si on change l'ordre des syllabes, ça donne Inversé.
Je devais avoir l'air perplexe, car elle ajouta en riant :
- C'est une poupée que l'on peut inverser, quelqu'un a voulu qu'elle soit double.
Elle retourna la robe de façon à ce que ce soit un homme qui apparaisse.
- Oui! Le capitaine Séverin peut jouer ce rôle.
Elle me tendit la poupée. Je n'avais aucune raison de refuser de jouer. Il s'agissait d'une poupée à peine plus grande que ma main. Pourtant, j'éprouvais un certain malaise, car à chaque fois qu'elle entrait dans le jeu, notre histoire changeait. Nous étions lancés, par exemple, dans une aventure où il fallait traverser des rivières ou franchir des montagnes, et dès que ce personnage entrait en scène, l'épisode n'avait plus rien d'innocent ni de joyeux, il devenait réellement dangereux.
Voire cruel. Il nous arrivait, à Sophie et à moi, de nous heurter à quelque mystère que nous arrivions toujours à résoudre en réfléchissant, en nous posant les bonnes questions. Mais dès que cette poupée intervenait, il fallait des menaces, du chantage, ou même des sévices. Je me retrouvais en train d'enfermer Hal dans de sinistres donjons ou de l'attacher à un arbre, à la merci des fourmis. Et à mes côtés, la petite fille qui voulait à tout prix aider ses brigands à s'enfuir pour échapper au bagne, prenait maintenant un malin plaisir à les envoyer à la potence sans autre forme de procès.
Pire encore. Quelques fois, j'entendais une voix que je ne reconnaissait pas, et je me retournais pour être sûr que c'était bien Sophie qui parlait, avec cette intonation caverneuse et menaçante. Avait-elle appris des trucs de ventriloque?
- Maintenez-le pendant que je l'enchaîne! Je vais le faire parler, moi ce vaurien!
De nouveau je jetais un coup d'oeil dans sa direction. Ses grands yeux bleus lançaient des éclairs d'une férocité inouïe. Ses poings se serraient et se desserraient, comme si elle était au comble de l'excitation. Même ses dents semblaient plus aiguisées.
- Sophie?
Elle se retournait et la folie se lisait dans son regard.
- Sophie!
Déconcertée, elle secouait la tête, comme pour sortir d'un rêve, puis redevenait elle-même.
Afficher en entier« Car même si nous avions passé des années cloîtrés ensemble, je ne connaissais décidément pas ma mère. Elle ne m'avait jamais parlé de son enfance. J'étais la seule personne au monde à en savoir aussi peu sur elle. Pour moi, elle aurait pu être aussi bien une poupée à tête de bois, totalement dépourvue de cet amour qui vous amène à partager des souvenirs, des peurs et des espoirs. Elle m'avait dépouillé de mon être : je ne connaissais même pas mon vrai nom. Elle avait préféré les banalités du silence à la vérité, la vérité sur mes origines. Parce que cela l'arrangeait, elle m'avait condamné à vivre cloué au lit, anémié par cet interminable mensonge. Et pour couronner le tout, elle m'avait abandonné! »
Afficher en entierUne chose m'étonnait bien davantage que mon apparente adoption : la maison elle-même. Pour quelqu'un qui avait vécu reclus, c'était passer d'un monde crépusculaire à une floraison de couleurs : la lumière du matin qui pénétrait par les vitraux rouges et taillés en diamant du vestibule, dessinant sur les dalles de grands losanges brillants; les chandeliers et leurs flammes étincelantes; les tapis chinois dont les riches motifs entrelacés semblaient tournoyer; les reflets des rampes d'escalier bien cirées.
Afficher en entierC'est ta façon de vivre qui fait de toi ce que tu es.
Afficher en entierJoyeux à un moment, odieux l'instant d'après. On aurait dit qu'un ange et un démon se disputait constamment son âme. C'était tantôt l'un, tantôt l'autre qui lui soufflait ses conseils. Je me souviens d'avoir entendu un jour un garçon d'écurie dire à Edmond : "Quand on donne un bâton à votre frère Jack, on ne peut jamais savoir s'il va s'en servir pour faucher des mauvaises herbes ou tuer son meilleur ami".
Afficher en entierAh! Les livres! Sans eux, je serais devenu fou.
Je ne pouvais ni nager, ni marcher, alors d'autres remontaient à ma place des riviéres infestées de crocodiles et éscaladaient des sommets enneigés. Je ne me souviens plus comment j'ai appris à lire.
Afficher en entierLes passages du diable sont les chemins les plus ordinaires. Croyez-moi. Et le mal n'a pas toujours les traits de la laideur. On ne saurait lire, sur le visage d'un homme, la couleur de son âme. Mais rassurez-vous, poursuivit-il en levant les bras, il existe un moyen de s'en défendre, un seul. Car le diable ne peut arriver a ses fins sans votre aide. Il ne triomphe que si vous lui ouvrez la porte.
Afficher en entierJ'ai toujours eu une drôle de vie. Depuis le tout début. Moi, je ne la trouvais pas bizarre, bien sûr. Je suis convaincu que chaque individu, sur cette terre, est persuadé de mener une vie normale et croit que c'est celle des autres qui ne l'est pas.
Afficher en entierUne bouffée d'angoisse monta en moi. Non seulement la poupée recommençait à jouer ses vilains tours, mais en plus j'étais vraiment en danger, maintenant. Mon seul espoir était que le capitaine eût fourré cette lettre dans sa poche sans se donner la peine d'y jeter un coup d'oeil et n'eût donc pas encore lu ces confidences lui apportant la preuve que je l'avais trompé.
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