Le prince russe

1903

Le cocher arrêta la berline de voyage devant une demeure très ancienne située dans l’ombre de l’imposante cathédrale anglicane d’Ely, cette petite ville britannique proche de Cambridge.

Chiara Fairfax frissonna. Il faisait terriblement froid en ce mois de janvier. Un froid humide, pénétrant, qui glaçait jusqu’aux os.

Il était à peine cinq heures de l’après-midi, mais le crépuscule tombait déjà. Il se remit à pleuvoir. Sans attendre que le valet vienne lui ouvrir la portière, la jeune fille sauta sur les pavés mouillés et présenta son visage à la pluie.

« Ainsi, personne ne se rendra compte que j’ai pleuré », se dit-elle.

Son amie Ashley de Baslow avait été si gentille de l’inviter à passer quelque temps avec elle ! Comment aurait-elle pu arriver en sanglotant ?

Pendant tout le temps du voyage, elle n’avait pas cessé de penser à son père. La pensée qu’elle ne le reverrait jamais lui était intolérable.

Lord Fairfax avait été enterré quelques semaines auparavant. Désespérées, sa veuve et sa fille unique avaient mêlé leurs larmes durant des jours et des jours. Lady Fairfax avait cependant été la première à se reprendre.

— Nous ne pouvons pas continuer à nous lamenter ainsi. Cela ne changera rien. Il faut réagir, Chiara !

Voyant que la jeune fille restait prostrée, lady Fairfax avait déclaré :

— Je ne peux pas supporter de te voir aussi triste, ma chère enfant. Sais-tu ce que tu devrais faire ? Aller passer quelques jours avec une amie de ton âge. Ashley t’a invitée… Va donc à Ely ! Il faut que tu réapprennes à rire, à être heureuse.

La porte de cette demeure aux élégantes proportions s’ouvrit sur Ashley de Baslow, une jeune fille dont les boucles rousses étaient attachées à la diable par un étroit ruban en velours vert.