Le réveil Français

Les Français se font une idée fausse de la France. Impressionnés par la bruyante armée des défaitistes, ils la voient décadente, désunie, décrochée, dépassée, déclassée. Rien n'est plus mensonger !

Depuis des années, les prophètes de l'abaissement diagnostiquent la chute du vieux pays républicain. On parle de La France qui tombe, on dénonce Le Suicide français, on soupire sur L'Identité malheureuse, on veut rétablir barrières et frontières. Dans une vision apocalyptique, on annonce la chute de l'économie, la décomposition de la société, le recul de la laïcité, la dissolution de la France dans l'Europe, la montée irrésistible d'un islam conquérant, l'avènement d'un multiculturalisme de guerre civile, le «grand remplacement» de la population de souche par les musulmans. On fait de l'immigration une menace centrale et irrésistible, on prêche l'intolérance, la fermeture, le rejet, seuls moyens, dit-on, d'empêcher la France d'être submergée. On décrit l'avenir comme un effondrement et la France comme une condamnée.

Mais quand on voit tout en noir, on ne voit rien. Le jeudi 8 janvier 2015, L'Obs publie en couverture un entretien avec Michel Houellebecq, l'un des écrivains français les plus célébrés. Diagnostic définitif de ce neurasthénique qu'on prend pour un devin : «La République est morte.» Ainsi, le petit monde parisien s'apprête à discuter gravement d'un roman qui annonce la victoire d'un islam dogmatique, permise par la veulerie de la gauche et l'aveuglement de la classe politique. Malheur ridicule pour Houellebecq dans le grand malheur général : l'entretien a été réalisé plusieurs jours avant la parution. Entre-temps, deux fanatiques ont massacré la rédaction de Charlie Hebdo et abattu un policier à terre ; une équipée terroriste a commencé, qui aboutira à l'assassinat de dix-sept personnes, à deux assauts de la police et à la mort des assassins.

Et comment se comporte cette République «morte» où la laïcité ne serait plus qu'un vain mot ? Comment réagit, dans la sanglante épreuve, cette société qui ne croit plus à ses principes, où l'individualisme a rongé comme un acide les principes anciens ? Par la peur, par le repli ? Ou bien par les cris de vengeance qui sont la marque des peuples faibles ? Non : par la plus grande manifestation de l'histoire française. De la République à la Nation en passant par le boulevard Voltaire, tous lieux hautement symboliques, quelque deux millions de personnes font vivre ce qu'on disait mort. Dans l'ensemble du pays, quatre millions de zombies supposés de la modernité proclament leur calme courage d'être citoyens. Cette foule qu'on taxait d'égoïsme trouillard, d'indifférence civique, se rassemble pour dire : nous sommes un peuple !