Le Saint, Itinéraire d'un anti-héros

Introduction de Jean-François Rivière

Parmi les admirateurs de Simon Templar, dit Le Saint, beaucoup n'ont pas découvert le personnage dans les romans de son créateur Leslie Charteris mais dans la série télévisée qui s'en inspira à partir de 1962. Pendant plus de sept ans, avec Roger Moore sous l'auréole du Saint, des millions de téléspectateurs dans le monde suivirent cette adaptation plus ou moins fidèle des exploits d'un nouveau genre de Robin des Bois qui dépouillait les uns (truands, hommes d'affaires véreux ou politiciens corrompus) afin d'aider les plus démunis en prélevant au passage son petit pourcentage.

Né en 1928 dans le roman Meet the Tiger, le Saint était présenté comme un aventurier coriace et violent, un personnage dangereux pour ses ennemis, mais qui savait profiter, en bon épicurien, des plaisirs de la vie. Au fil des ans, la personnalité de Templar évolua en même temps que celle de son auteur et lorsque ce dernier commença à sentir le poids des ans sur ses épaules, son personnage profita de cette maturité pour s'attendrir un peu. Ainsi, dans le dernier roman signé par Charteris, Vendetta pour le Saint (1964), Templar s'est beaucoup calmé et juge plus prudent de ne pas s'impliquer dans une bagarre, se considérant désormais trop vieux pour ce genre de sport.

Les premières histoires écrites par Charteris furent accueillies tièdement en Angleterre tandis qu'en Amérique, il fut contraint de patienter jusqu'en 1935, date de la sortie du roman Le Saint à New York, pour connaître le succès. RKO en acheta les droits et lança dans la foulée une série de films dans lesquels Templar fut incarné par deux comédiens, Louis Hayward et George Sanders.

L'oeuvre de Charteris commença ici à subir quelques changements car si le Templar littéraire agissait largement en dehors de la loi, son alter ego cinématographique se devait de rester fréquentable afin de ne pas froisser des critiques et spectateurs moralement plus sensibles qu'aujourd'hui. Adouci, le Saint du grand écran déplut fortement à son père et Charteris, qui n'eut jamais la langue dans sa poche, harcela les producteurs de critiques très violentes.

RKO abandonna Le Saint et trouva plus confortable de se replier sur un autre personnage, assez similaire, baptisé The Falcon. Templar continua ses aventures à travers des comic strips, des romans ainsi que par le biais d'un feuilleton radiophonique qui dura des années et dans lequel le jeune Vincent Price prêtait sa voix au héros.

Un dernier film fut tourné en 1953, Le Saint défie Scotland Yard (avec Louis Hayward), mais Charteris déclina ensuite toutes les autres propositions d'adaptation jusqu'à ce que le duo Robert S. Baker & Monty Norman ne le rencontre au début des années soixante. Un accord fut trouvé grâce au soutien financier de Lew Grade (pas encore Sir à l'époque) et de sa compagnie, ITC.

Le coup de génie du duo fut de proposer le rôle-titre à Roger Moore dont le charme naturel et le sens de l'humour collèrent à merveille à cette nouvelle vision du Saint qui fit de son interprète une star, et de cette série l'un des grands classiques et des plus gros succès de la télévision britannique.