Les Ilduins, Tome 2 : La prophétie de la dame blanche

Archer était sans doute le plus réticent de tous à

se lancer dans une guerre. La bataille opposerait en apparence Anari et Bozandari, mais Archer n'était pas dupe. Il ferait de nouveau la guerre à son frère. Il ne doutait pas que cette nouvelle guerre serait aussi terrible que la précédente. Mais il savait également que tel était son devoir. Il avait tant à faire pour se racheter et, ceci n'était que le début ...

Il suivit le messager sans protester, à travers les rues de plus en plus sombres. La nuit tombait rapidement dans les montagnes, et avec elle, un vent froid soufflait des hauteurs enneigées. Jeriah l'accompagna car il avait été désigné par Eiehsa pour représenter le clan des Gewindi.

- Mère aurait pu tout aussi bien vous envoyer seul,

Maître Archer, ditJenah. Le clan des Gewindi a prêté

serment de vous servir.

-Je n'aurais pas été à ma place, répondit Archer.

Votre serment honore les Idluins et moi-même, mais il n'en reste pas moins que les autres clans doivent prendre des décisions qui n'appartiennent qu'aux

Anari et à eux seuls. Je commettrais une grave erreur en prenant la parole à ce conseil.

- Vous êtes aussi sage que courageux, déclara

Jenah.

Archer partit d'un rire amer.

- Sage? Cela aurait été vrai si j'avais mieux agi la première fois que ces événements se sont produits. Si j'avais compris à quel point mon frère était rongé depuis toujours par la jalousie, j'aurais renoncé au pouvoir qui me revenait de droit sans hésiter une seconde. Il n'y aurait eu aucune guerre ... Au lieu de cela ...

- N'assumez pas la responsabilité de la faute de votre frère, dit Jenah. C'est lui qui a déclenché la guerre qui a mis fin au Premier Age.

- C'est ce que racontent les légendes, dit Archer.

Mais comme c'est souvent le cas, la vérité n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît.

- Qu'omettent de dire les histoires? demanda Jenah.

- Seulement l'amour que je portais à mon frère, répondit Archer, voilà tout.

Archer regarda autour de lui, observant les arcades et les courbes des édifices d 'Anahar, sculptées dans la pierre ancienne. Cette ville ramenait à lui de très vieux souvenirs, des souvenirs qu'il écartait d'habitude de son esprit. Mais, en ce lieu, il ne le pouvait pas.

- Mon frère était un homme remarquable, dit-il.

Enfants, nous étions les meilleurs amis du monde. Nous riions beaucoup de nos bêtises et des maladresses de nos aînés. J'étais le plus âgé mais de quelques minutes seulement, car nous étions jumeaux. Ma mère disait souvent que nous étions inséparables avant même notre naissance car, lorsque je suis sorti de son ventre, Ardred tenait ma cheville serrée entre ses doigts, comme s'il n'avait pu supporter que je le quitte un seul instant.

Ce fut ainsi durant des années. Nous étions toujours ensemble, comme si nous ne faisions qu'un.

- Personne ne parle ainsi de lui, dit Jenah.

- Non, en effet, répondit Archer, car personne ne le connaissait aussi bien que moi. On l'appelait « le bel Ardred » et ce compliment était mérité. Ses traits

étaient magnifiques, comme l'étaient son esprit et son cœur. Je me suis souvent demandé s'il n'aurait pas mieux réussi à maîtriser les choses, si je m'étais rebellé

contre son autorité. Je pense que oui, car il était le plus sage. Mais, par le hasard de la naissance, j'étais destiné à régner. Il croyait, à juste titre, que cette situation était injuste. Je l'ai souvent pensé également.

- En shar shirneh sen, shir an sharnet sahng.

Archer hocha la tête.

- « Justice peut être maléfique, et juste le destin

1 le plus maléfique. » Ce dicton est sage, et ton peuple fait bien de s'en souvenir. Si seulement mon frère et moi l'avions connu! Nous aurions épargné bien des vies.

- Vous étiez jeunes.

- Oui, dit Archer, c'est vrai. Mais j'aurais dû m'apercevoir de son changement. Comme tous les frères, nous nous disputions à propos de tout et de rien. Je n'ai pas compris que ces querelles étaient plus profondes avant qu'il ne soit trop tard. Je n'ai pas compris les tourments auxquels son esprit était en proie. Je n'ai pas vu ... qu'il avait appris à me détester. Jétais, moi aussi, ébloui par le bel Ardred. Or, à l'inverse de ceux qui sont partis avec lui pour fonder Dederand, j'aurais dû comprendre. Nous étions frères, mais je n'ai pas vu que le hasard de nos naissances avait pourri son âme.

Je n'ai rien fait, alors qu'il plongeait dans la folie.

- Vous l'aimez toujours, dit Jenah.

C'était là la vérité la plus amère de toutes, songea

Archer.

- Oui, mon frère. Alors même que je m'apprête à

partir en guerre contre lui, je l'aime toujours.