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Les maladies incurables sont généralement visibles à la longue, mais la mienne est sournoise. Elle se cache et donne l'illusion de ne pas exister. Elle est pourtant bien là, chaque jour, chaque nuit. Elle court dans mes veines comme un poison et insuffle à mes poumons un air irrespirable.
Afficher en entier- Aimeriez-vous être heureuse, Camille ?
Je n'ai pas besoin de beaucoup réfléchir pour répondre à cette question.
- Je l'ai longtemps désiré. Plus maintenant.
- Pourquoi ?
Les mots fusent.
- Parce que le bonheur m'empêcherait de mourir.
Je sens ses doigts sur mon bras qui se contractent. Je poursuis :
- Il m'obligerait à résister et je ne veux plus me battre. Je n'en ai plus la force.
Afficher en entierMa vie est une parodie. Un simulacre d'existence. Je n'en peux plus.
Afficher en entierTout le temps où Jonathan et moi étions ensemble, j’avais presque oublié combien je me détestais, combien mon corps était lourd à supporter, combien il m’était difficile de l’accepter. Ce jour-là, je me suis effondrée intérieurement, quelque chose s’est brisé, une pièce essentielle de mon subconscient qui ne pourrait plus jamais être réparée : l’espoir de me sentir mieux un jour, celui où j’admettrais avoir le droit d’être telle que j’étais. Dès lors, j’ai su que je fonçais droit dans le mur. Ma résilience était à zéro, mes démons ont repris leur place, et je me suis jetée sur la nourriture pour essayer d’oublier jusqu’à mon existence. Je suis entrée dans un cercle infernal dans lequel je mangeais puis vomissais pour m’empiffrer toujours plus. Je n’avais plus aucune limite. Mon corps était devenu un sac qu’il me fallait remplir, une poche que je ne pouvais laisser vide de peur d’y découvrir qui j’étais à l’intérieur : une erreur de la nature. Une anomalie. Mes parents ne se doutaient pas un seul instant de ce que je vivais. J’avais honte. Je me cachais pour me goinfrer, je m’arrachais les cheveux, je pleurais des heures entières, sur mon sort, sur ma vie, sur mes échecs. Je me haïssais.
Afficher en entier- Chaque personne devrait avoir le droit de mourir dignement. Quel que soit le mal dont elle souffre, invisible ou pas. Je suis une mère et j'ai perdu mon unique enfant. Si aujourd'hui, c'était à refaire, je n'attendrais pas pour offrir à Rose la libération.
Elle se dégage et enveloppe mon visage dans ses paumes.
- Camille... Je ne connais pas ta souffrance ni ce qui te ronge et te brûle au point de vouloir en finir, mais ne laisse jamais personne décider à ta place. Jamais. Même pas par amour.
Afficher en entierChaque personne devrait avoir le droit de mourir dignement. Quel que soit le mal dont elle souffre, invisible ou pas.
Afficher en entierJ’ai toujours été rebutée par l’idée de me contempler dans un miroir. La petite fille aux longs cheveux blonds, timide, réservée et nerveuse qui m’observait fixement était une étrangère que je n’acceptais pas. Je ne la comprenais pas. Elle m’effrayait même. Je l’ai donc évitée le plus longtemps possible.
Elle est revenue à la charge à l’adolescence. Son image me dégoûtait toujours autant. Je crois que c’était même pire. Elle possédait un visage aux joues creuses, mangé par de trop grands yeux, un cou immense, des côtes saillantes, des hanches pointues et des jambes si osseuses, que ses genoux évoquaient deux balles de tennis greffées par erreur. Je n’aimais pas ce que j’étais, ce à quoi je ressemblais. M’observer nue était aussi désagréable que fascinant et faisait naître en moi un profond sentiment d’injustice. Je mangeais comme quatre, sans restriction, mais j’étais maigre comme un clou alors que j’aurais tellement aimé être comme tout le monde.
Afficher en entierHébétée par ce qui m'arrivait, sans trop réfléchir, j'ai accepté le contrat moral que les médecins m'ont imposé. Plus je grossissais, et plus j'accédais à des avantages, à leur vision de la liberté. [...] On me conseillait de ne pas me focaliser sur mon poids, mais on me mettait une carotte sous le nez en me menaçant de ne pas avoir droit de la manger si je ne grossissais pas. Aujourd'hui encore, je digère mal le paradoxe.
L'isolement m'anéantissait. Je ne voyais pas en quoi être emprisonnée m'aiderait. Je me sentais agressée dans mon corps et dans mon esprit. Je me braquais, je refusais de coopérer. On me demandait de m'ouvrir aux médecins, de me libérer de mes démons, mais en réalité, on m'enfermait. Pas de télé, pas de radio. On me disait d'avoir confiance, d'être positive, d'envisager le meilleur, mais je n'avais pas le droit de boire sans autorisation, il y avait des barreaux blancs aux fenêtres, des grilles au fond des lavabos pour s'assurer que les patients ne se feraient pas vomir, des sangles aux quatre coins du lit. On m'attachait la nuit si je me rebellais trop, on me mettait sous perfusion et me shootait aux sédatifs. Je ne pouvais pas me laver seule, répondre à mes besoins les plus intimes sans demander la permission, il n'y avait pas de toilettes dans ma chambre. Parfois, je devais me contenter d'un seau.
Afficher en entierJe n’arrêtais pas de manger, tous les prétextes étaient bons pour m’empiffrer. Pendant les cours, les révisions, devant la télé, mon PC, en ville, dans les transports en commun. Je ne faisais que ça. Par ailleurs, j’avais appris en cours de psycho que les causes du désordre alimentaire étaient multiples et souvent en relation avec la non-acceptation de notre corps. Sans déconner ? Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour prendre conscience que j’étais en plein dedans. Et ça ne datait pas d’hier. Depuis mon entrée au collège. Quand exactement m’avait-on fait sentir que j’étais dans la norme ? Facile, l’année où j’avais décidé de grossir. Avec mes dix premiers kilos de plus, j’étais devenue presque parfaite aux yeux des autres. Mais au risque de me répéter, le problème n’a jamais été les autres. J’ai toujours été incapable de me trouver un quelconque intérêt. Le jugement que je portais sur moi depuis toujours était bien trop dur, sévère et intransigeant.
Afficher en entierDéjà à l’époque, j’avais des parents formidables qui me répétaient comme un mantra « il vaut mieux être seul que mal accompagné ! ». Certes, mais moi, j’avais dix-huit ans. Je crevais d’envie qu’on me roule une pelle, qu’on me pelote dans un coin, qu’on me vole cette maudite virginité que la plupart des filles de mon âge avaient déjà laissée derrière elles. Je voulais savoir ce que ça faisait de partager du plaisir et je me fichais bien d’avoir le cœur brisé. Au demeurant, comme je n’étais jamais tombée amoureuse, je ne me doutais pas un seul instant des ravages que ça pouvait occasionner. Le manque a rapidement été comblé…
C’est l’université qui m’a permis de passer de l’autre côté de la barrière. J’y suis rentrée mi-septembre. J’avais choisi d’étudier la psychologie à Lille 3. Mes parents n’étaient pas peu fiers. Pas un retard dans ma scolarité, aucun pépin avec mes dossiers d’inscription, un peu d’argent économisé grâce aux jobs d’été, un permis de conduire tout neuf, et un plan d’avenir qui semblait tout tracé. Mais voilà, tout a basculé lorsque j’ai croisé le chemin de Rémy. Il était en première année de psycho, comme moi. On s’est connus alors que j’avais déjà réussi mon premier trimestre et obtenu les meilleures notes de la promo. Dès qu’il est arrivé dans ma vie, j’ai tout foutu en l’air. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi beau, charismatique, grand, bla bla… De bonne famille, cultivé, intelligent d’apparence, je l’ai idéalisé, j’étais totalement folle de lui.
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