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Ma mère avait rejoint mon père et lui chuchotait mon crime à l’oreille. Bernard me lança un regard lourd de reproches qui présageait un retour éprouvant à la maison. De véritables larmes commencèrent à me piquer les yeux au moment où Mimi se dirigeait vers moi après s’être faufilée entre deux groupes d’adultes. Confondant ma frustration pour de la peine, mon amie entreprit de me consoler. Avec l’assentiment de mes parents et leur soulagement de me voir déguerpir, elle obtint le privilège de m’emmener dans le salon réservé aux visiteurs.

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Je connaissais les adresses de toutes les maisons funéraires. Chaque matin, je parvenais difficilement à cacher ma déception quand je m’apercevais que parmi toutes mes connaissances, aucune n’avait revendiqué le privilège d’occuper une place d’honneur. Je n’espérais plus, jusqu’au jour où Mimi m’annonça la mort de son grand-père Raymond, un triste soir d’automne. Mon excitation, elle, rayonna de tous ses feux ! Je réaliserais enfin mon souhait.

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Je m’attardais surtout au profil d’un sadique ou d’un psychopathe. Je m’efforçais de comprendre ce qui les poussait à vouloir charcuter leurs victimes. Je ne pouvais concevoir qu’il existait des êtres aussi maléfiques qui s’immisçaient dans la vie des gens en toute impunité en se servant d’astuces et de faux-semblants.

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Un esprit avide comme le mien avait besoin d’être satisfait à sa juste mesure. Je voulais voir de près tout ce qui entourait l’instant précis où l’âme quittait l’enveloppe charnelle pour s’envoler vers d’autres cieux, comme le prétendait si bien notre Église. Existait-il vraiment une vie après la mort ? Le paradis et l’enfer, les anges et les archanges, le diable et les damnés stimulaient mon imaginaire depuis ma toute première année scolaire. L’empire céleste réussit à me fasciner pour un certain temps, mais en dépit de toutes ses histoires fabuleuses, je me lassai à la longue en raison de son aspect moraliste.

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Mon taux d’adrénaline décuplait juste à y penser. J’étais tellement subjuguée par le sujet que mon entourage avait appris à se méfier de moi. Invariablement, mes questions fusaient quand la conversation obliquait vers les parages inquiétants du sommeil éternel. Je leur donnais la chair de poule, qu’ils me disaient. Il était défendu d’inviter la grande faucheuse de cette manière. Je compris rapidement pourquoi les vieux chuchotaient la mort entre eux.

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Je me tortillai sur place pour retenir le flot qui mena- çait de s’échapper. D’abord timides, quelques gouttes se mirent à glisser le long de mes jambes. Encouragée par le soulagement de cette délivrance, je produisis une flaque spectaculaire et odorante qui dégoulina de la tribune en un mince filet. Les rires remplacèrent le récital abscons.

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Un peu plus et nous lancions une chorale de pleurnicheuses quand une sœur charitable à la taille imposante, qui se nomma tout haut sœur Marie-Thérèse de l’Enfant-Jésus, prit la relève et houspilla le troupeau bêlant jusqu’à sa classe. Prenant place au pupitre qu’elle m’avait désigné d’un ton cassant, je la vis sortir de la poche de sa robe un clapet de bois qu’elle claqua dans ses mains charnues. De peur ou de surprise, le silence se rétablit dans la pièce. J’étais outrée ! Ma crise de larmes n’avait rien donné. Sœur MTEJ – pour faire plus court – avait déjoué ma tactique, qui avait pour but de me renvoyer chez moi. Je décidai de lui montrer l’erreur de son geste. La guerre était déclarée ! Je serais une adversaire redoutable qui lui donnerait raison de regretter sa vocation.

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Elle m’offrit une boîte à lunch sur laquelle était illustrée la ridicule poupée Barbie, style western, qui souriait sur son non moins ridicule cheval piaffant, la crinière au vent, et affichant un rictus aussi stupide que sa cavalière. L’intérieur de ce magnifique contenant recelait un sandwich au jambon, une pomme, un biscuit aux brisures de chocolat et un berlingot de lait. Voilà pour l’équipement ! Fredkenstein, qui avait été chargé de m’accompagner, m’avait tenu la main jusqu’à la cour de l’école puis, sa corvée dûment exécutée, s’était enfui à toutes jambes vers ses compagnons, me laissant seule affronter l’aventure de la première journée.

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Mylène vint tout près de s’évanouir. Je lui tendis le costume, les jambes en flanelle. Même avec les dents serrées, je réussis à lui sourire. Voyant qu’elle plaquait la tunique sur son cœur comme si elle craignait que je la lui arrache, je lui demandai si elle voulait être mon amie. Elle se détendit et me répondit d’une voix chevrotante : « Oh oui ! Et tu peux m’appeler Mimi. » Dans les yeux verts de Mimi, je décelai la couleur de l’amitié. Avec elle à mes côtés, je ne serais plus jamais seule à monter aux barricades. Ensemble, du même avis, à l’unisson, notre cri de ralliement révolutionnerait le monde. Je m’engageais à devenir son guide, son mentor. Je lui exposerais des trésors dont elle ne soupçonnait même pas l’existence.

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Je connaissais les meilleurs endroits pour me procurer des friandises. La dame qui possédait la tabagie en face de l’église me faisait crédit moyennant de menus services. Son comptoir de bonbons s’avérait des plus spectaculaires. Pour moins que rien, je pouvais obtenir un sac plein de ces choses délectables que mes parents, eux, détestaient lors de mes visites annuelles chez le dentiste. Mme Laporte, la propriétaire, souffrait de rhuma-tismes et ses doigts tordus ne pouvaient aller chercher la monnaie tombée par inadvertance dans son étalage. Je recueillais le magot avec mes mains agiles et poussais l’audace jusqu’à ranger et nettoyer son présentoir divin. Pour me remercier, elle m’incitait à choisir cinq des friandises qui me tentaient le plus. Souvent, cela finissait par un paquet de boules noires. Je craquais pour ces petites choses merveilleuses qui teintaient de charbon ma bouche et mes dents, et je hurlais de rire devant la mine furieuse de Claire.

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