Un amour très troublant

C’était une soirée de septembre encore chaude et ensoleillée, aussi Alice décida-t-elle de s’installer dans le jardin, à l’arrière de la maison, pour travailler. L’été précédent, elle avait déniché chez un antiquaire un mobilier de jardin en rotin qu’elle avait installé sur la pelouse, à l’abri d’un chêne. Elle avait recouvert la banquette et les fauteuils de coussins aux arabesques grenat qui s’harmonisaient parfaitement avec le parme de ses hortensias. Elle y passait de nombreuses heures, à lire ou à dessiner.

Elle étala ses croquis sur la table et approcha un fauteuil. Elle y apporta tout de suite les modifications qui lui avaient courues dans la tête en revenant des ateliers, elle commença par la robe de cocktail. Tout en dessinant, elle ne pouvait s’empêcher de penser à son voisin. Sa silhouette sportive, son visage carré aux yeux malicieux s’interposaient entre elle et son dessin, l’empêchant de se concentrer. Loin de l’agacer, sa désinvolture et sa façon de séduire, légère et pleine d’humour, l’avaient amusée, troublée même. Elle se demanda depuis combien de temps un homme ne l’avait pas surprise, émue à ce point. Elle reconnaissait qu’il avait tout pour être désagréable : sa décontraction insolente, son insistance, son sans-gêne, mais malgré cela, elle se sentait irrésistiblement attirée, peut-être parce qu’il sortait de l’ordinaire. Elle fit un effort pour rassembler ses idées et corriger son modèle. Le crayon courait enfin sur le papier, donnant au dessin ses lignes définitives.