Un chien de caractère

Deux molosses hurlent à tue-tête, quelques grands dogues se jettent furieusement contre les barreaux. Monsieur s’arrête et leur parle calmement ; le silence se fait ; méfiants, la queue basse, les mâtins regagnent leurs niches. C’est maintenant aux chiens d’arrêt d’entonner leur chant, auquel se mêlent bientôt les jappements des caniches. Monsieur siffle. Ayant déjà visité ces lieux, il sait que ce sifflement déclenchera un indescriptible charivari : dans ce concert infernal, on peine à distinguer la basse des molosses, le soprano des caniches et le ténor des mâtins. Plusieurs minutes s’écoulent avant qu’apparaisse, alerté par ce vacarme, un homme. Les hurlements redoublent d’intensité, le chœur des chiens se déploie derrière le rideau de neige. Sortant d’une cabane faiblement éclairée, le gardien s’avance à pas lents, donne des ordres et profère quelques jurons. Vêtu d’une pelisse en peau de mouton, coiffé d’une casquette d’officier, il s’arrête, les mains dans les poches, et, pour couvrir les hurlements, articule d’une voix de stentor :

– Vous voulez acheter un chien ?

– Un pouli1, hurle Monsieur, surpris d’avoir été si bien compris.

– J’en ai un à vendre, répond le gardien en formant avec ses mains un entonnoir devant sa bouche. Un excellent petit pouli.