Extraits

Hier, c'était Noël. Et c'était pas franchement gai. Depuis que maman nous a annoncé qu'on nous avait encore une fois refusé les papiers, c'est pas la joie à la maison. Je sais qu'on va devoir partir. Aller ailleurs. Toute la journée ça a tourné dans ma tête. Tout quitter, encore. Cette fois, c'était le dernier recours. On n'aura jamais l'asile. Je n'ai pas envie de partir. De tout laisser derrière. A chaque fois il faut oublier le passé, s'inventer un nouvel avenir. A chaque fois il faut recommencer à zéro. Comme si on était de nouvelles personnes...

Depuis mon cauchemar d'hier soir je n'arrête pas de penser à tout ça. J'ai du mal à réaliser que c'est dans "mon" pays que ça se passe, enfin celui où je suis née, et où je risque de devoir retourner.

C'est toujours pareil quand on est sans-papiers, on n'a pas de droits. On est à la merci des gens. On n'a pas d'autres choix que d'accepter les conditions qu'on nous impose. Mais, du coup, on était toujours en retard pour payer les factures.

C'est tellement blessant d'avoir l'impression d'être des voleurs alors qu'on paye tout ce qu'il faut payer. Papa fait les dons au collège alors que d'autres parents ne les font pas, il donne même des sous aux gens dans la rue quand il peut. Il veut toujours contribuer, il ne veut pas être une charge. Pour lui, c'est la honte d'être un poids. Ce soir je suis en colère.

Des fois je me dis que c'est vraiment injuste, une partie de la planète peut voyager où elle veut et l'autre a seulement le droit de rester chez elle. Dans la misère. Je pense que c'est pour ça qu'il y a des sans-papiers. Puisque les pauvres ne peuvent pas voyager légalement, ils le font illégalement. C'est normal. Moi ça me choque que tout le monde n'ait pas les mêmes droits.

Papa ne veut pas qu'on ait l'impression d'être ici en transit. Il veut qu'on se sente chez nous, installés, pour pouvoir avoir une vie normale.

Par contre je lui en veux un peu d'avoir fait prendre des risques à sa famille. On fait ça quand on est seul, pas quand on a des enfants. Et en même temps, je me dis que, s'il a fait ça, s'il s'est battu, c'est aussi pour nous, pour qu'on soit libres.

Depuis quelques temps, elle s'énerve pour rien aussi, et immédiatement elle pleure et elle dit qu'elle est désolée. L'autre jour, un homme s'est mis à crier dans la rue, il disait, genre désespéré :"J'ai pas de logement, j'ai pas d'argent, j'ai pas de travail;"

Et elle, maman, elle s'est mise à la fenêtre et elle lui a répondu : "Et moi, j'ai pas de papiers !" Elle criait comme lui. Et elle le répétait et elle le répétait, il a fallu qu'on la calme. Elle aurait mieux fait d'appeler directement la police, ça aurait été plus efficace.

Je ne veux pas qu'elles sachent que je suis sans papiers, comme ça elles me traitent normalement. Pas comme une handicapée. C'est pour ça aussi que je ne veux pas leur dire que j'ai des problèmes d'argent. Quand je ne peux pas faire un ciné, j'invente des excuses. Je dis que je suis malade, que je n'aime pas le film. Des fois je suis fatiguée d'inventer, mais je ne veux pas qu'elles aient pitié. Qu'elles me regardent comme quelqu'un de différent.

Elle aurait pu nous acheter de tout petits cadeaux. Faire semblant. Mais ça sert à rien de faire semblant. Et je crois que, ce soir, elle a voulu nous faire comprendre que la vie c'est pas facile, que t'as pas tout ce que tu veux. Et nous on n'a pas eu les papiers.