1947, l'année où tout commença

"‘Arab al-Zobeid

Hamda Jomaa est une fille au caractère bien trempé, mais il y a quelque part une limite contre laquelle son courage pourrait buter. Et cette limite se rapproche.

Quand l’homme à la boîte magique arrive au village, il appelle les enfants. Les petits réclament du grain à leurs mères, les plus grands se mettent en devoir d’en voler, et tous viennent admirer la boîte qui, d’après son propriétaire, se nourrirait de sucre et ferait des crottes de caramel. Ils se tordent de rire et paient en boulghour, lentilles et avoine. L’homme raconte des histoires en montrant des images qui se transforment en récit, lorsqu’il plante un bâton dans la boîte en carton et tourne la manivelle.

À seize ans, Hamda ne se lasse pas de la féerie de ces images qui bougent. Pour payer l’homme, elle chipe le pain de sa mère et quelques poignées de lentilles dans la réserve. Soudain, elle pense aux cinq coqs et à toutes ces poules que possède son oncle. Elle profite de sa sieste pour se faufiler chez lui et lui voler des œufs – tous ces efforts pour pouvoir voir les images s’animer sous ses yeux, entendre les aventures de ces héros et de ces soldats de la liberté, sentir la grandeur du monde. Mais alors qu’elle ressort de la tente, son oncle se réveille, il l’attrape et la bat. Les œufs se brisent. Cette nuit, Hamda dormira dans une grotte avec son tablier souillé, pour échapper à la colère de son oncle. La tempête passera.

Chaque soir, quand l’homme à la boîte magique finit son histoire, il conclut par la même formule : « Voilà l’obscurité, voilà la nuit. »"