À lui pour un mois / Pour l'amour de Mateo

Ariston Kavakos se figea.

La femme qui incarnait tout ce qu’il détestait conversait tranquillement avec son frère… S’il ne l’avait pas connue, son regard aurait tout de même été attiré par elle. Nul ne saurait résister à l’attrait de pareilles courbes. Alors qu’il s’efforçait de contrôler son trouble, son traître de corps refusait d’entendre raison. Déjà, le désir l’assaillait.

Bon sang, qui avait donc eu l’idée saugrenue d’inviter Keeley Turner ?

Elle se tenait tout près de Pavlos, ses cheveux blonds cascadant sous les lumières de l’élégante galerie d’art londonienne où ils se trouvaient. Elle fit un geste de la main, comme pour appuyer un point de son discours, et Ariston ne put s’empêcher d’admirer la plus belle paire de seins qu’il lui ait été donné de voir.

Il déglutit, submergé par le souvenir de Keeley en bikini, sortant toute ruisselante des eaux bleues et cristallines de la mer Égée. Elle représentait à la fois un fantasme et un souvenir pour lui, une aventure entamée mais jamais conclue. Huit ans s’étaient écoulés et Keeley Turner exerçait toujours le même pouvoir sur lui. Quand il se trouvait en sa présence, plus rien ni personne d’autre n’existait. Les grandioses photographies de son île grecque — une île privée —, qui ornaient les murs de la galerie, lui semblaient soudain dépourvues d’intérêt.

Son frère était-il sous le charme, lui aussi ? Il espérait bien que non, mais c’était hélas probable : le couple était plongé en pleine conversation et leur langage corporel excluait le reste du monde.

Ariston s’approcha d’eux, mais s’ils le virent arriver, ils choisirent de n’en rien laisser paraître. Une étincelle de colère flamba en lui, vite réprimée, car la colère est contre-productive, il le savait bien. Un calme glacé est plus efficace pour gérer les situations difficiles et il avait souvent utilisé cette tactique avec succès.

La manière dont il avait remonté les finances de sa société familiale au bord du gouffre pour en faire une entreprise en plein essor lui donnait la réputation, tel Midas, de changer en or tout ce qu’il touchait. Le règne dissolu de son père était bel et bien fini. C’était lui, l’aîné, qui tenait fermement les rênes du pouvoir. La société d’import-export Kavakos était aujourd’hui présente sur toutes les mers du globe et engrangeait de vastes profits. Ariston entendait qu’il en soit toujours ainsi.

La ligne de sa bouche se durcit. Il ne suffisait pas de travailler avec les meilleurs courtiers ni de surfer sur les dernières vagues de la politique mondiale, il lui fallait surveiller les maillons faibles de la famille. Car l’empire Kavakos drainait des sommes considérables et Ariston savait comment les femmes se comportent vis-à-vis l’argent. Une leçon en la matière lui avait été donnée assez tôt dans sa vie et depuis, il ne relâchait jamais sa vigilance. De ce fait, bien des gens le prenaient pour un tyran, mais Ariston se considérait plutôt comme un guide éclairé, le capitaine menant son bateau à bon port.

D’une certaine façon, la vie est une navigation à vue. Il faut se garder des icebergs et les femmes sont tout aussi dangereuses que ces montagnes de glace. On ne voit jamais que 10 % de ce qu’elles sont vraiment ; le reste, égoïsme et cupidité, est bien dissimulé sous la surface.

Ses yeux ne quittèrent pas la blonde, alors qu’il s’approchait. Si elle menaçait de devenir un problème pour son frère, il saurait s’occuper d’elle, et rapidement encore. Un bref sourire incurva ses lèvres. Elle se retrouverait hors-jeu avant même d’avoir compris ce qui lui arrivait.

— Eh bien, Pavlos, fit-il d’une voix douce en les rejoignant, conscient de la tension qui s’emparait soudain de la compagne de son frère. Pour une surprise, c’est une surprise. Je ne m’attendais pas à te voir ici, le jour du vernissage. Est-ce que tu t’intéresses à la photo ou est-ce la nostalgie de ton île natale qui t’a conduit ici ?

Pavlos ne parut pas l’air ravi de l’interruption, mais Ariston n’en avait que faire. Et d’ailleurs, il ne pouvait penser à rien d’autre qu’à ce qui se produisait en lui — et le mettait en rage. Car toutes ces années ne l’avaient pas immunisé contre la tentatrice aux yeux verts qu’il avait vue pour la dernière fois quand elle avait dix-huit ans.

La jeune femme s’était alors jetée à son cou avec un appétit de luxure inimaginable. Elle s’était offerte immédiatement, avec une soumission qui aurait été totale s’il n’y avait mis un terme. Il avait beau l’avoir méprisée, il avait dû exercer un contrôle d’acier sur lui-même pour la repousser. Il y était parvenu, heureusement, mais avait payé des mois durant le prix de cette frustration. Cette femme n’était qu’une traînée. Une petite garce prête à tout.

Telle mère, telle fille, songea-t-il sombrement. Et celle-ci était bien la dernière qu’il voulait voir son frère fréquenter.

— Oh ! salut, Ariston, fit Pavlos avec sa décontraction habituelle, sujet d’étonnement pour ceux qui apprenaient leur lien de parenté. C’est vrai que me revoilà. Je me suis décidé à cette visite pour revoir une vieille amie qui devait passer à la galerie. Tu te rappelles Keeley, n’est-ce pas ?

S’ensuivit un moment de silence, pendant lequel deux yeux d’un vert étincelant se portèrent sur lui. Ariston sentit les battements de son cœur s’accélérer, ce qui lui déplut fortement.

— Bien sûr que je me souviens d’elle, fit-il d’un ton rauque, conscient de l’ironie de la situation.