Extraits

— Par tous les saints, Lino, qu’est-ce qui te prend ? grondé-je en serrant les poings.

— Quoi, quoi ? raconte-nous, Callie jolie ! s’exclame Léandro, fou d’impatience.

— Euh… eh bien…

— Je t’ai pris au mot, Aleyna, déclare Lino calmement en écartant les bras. Je devais le faire.

— Je ne t’ai pas demandé de te dévêtir, Lino… marmonné-je.

— Quoi ? s’écrient les compères.

Lino ignore l’agitation venant des cellules et continue de me fixer.

— Tu ne m’as pas laissé le choix…

— Toi, tu viens de signer ton arrêt de mort ! gronde froidement Haven.

Je lève les yeux au ciel et préfère ne pas répondre au Chef. Je reporte mon attention sur Lino, à demi nu. Étant soldat, il est bien bâti, avec des muscles et très peu de graisse, mais il n’est pas aussi puissant que d’autres, comme Driss ou Erod. Plus chétif, de la carrure d’Alec, mais pas moins impressionnant pour autant.

Je soupire en massant mes paupières. Je perds trop de temps, avec Lino qui préfère se déshabiller plutôt que d’ouvrir les cellules… je le sens mal, très mal.

— Lino, vraiment, tu n’étais pas obligé…

— Si, je l’étais, gronde-t-il, me faisant ouvrir les yeux. Tu n’as pas confiance en un homme en noir, et je peux le comprendre, même si je trouve que c’est un peu extrémiste. Alors, maintenant, me voilà devant toi, et je te repose la question. Me verrais-tu différemment si je n’étais pas un soldat d’Edenris, Aleyna ?

— Tu prends vraiment tout au pied de la lettre ?

— C’est bien ce que tu fais, non ?

Touché. Un ricanement s’élève de la cellule de Léandro.

— Attention, ma Callie. Ne lui demande pas de se mettre à nu, il le ferait vraiment.

— Qu’il essaie et on verra ! peste Haven.

Je souffre, chaque jour est une nouvelle torture. Je veux enfin cesser ce calvaire. Je pense avoir assez donné. Oui, je suis faible, lâche et j’en passe. J’abandonne au lieu de me battre, mais je ne peux lutter indéfiniment. Et pour qui, pour quoi ? Personne, en Elenrod, n’est venu me porter secours en quatre années de captivité. Alors, c’est avec les larmes aux yeux que je lève la tête et écarte les bras, laissant le vent glisser sur mon corps. Le souffle, si violent, m’apaise. Je me mets à sourire. Je me sens transportée, désintéressée de tout ce qui m’entoure. Que c’est bon, quand on ne pense plus à rien. Quand la peur s’envole pour laisser place à la lumière et la chaleur. Cette douce chaleur apaisante que j’avais ressentie sur ma paume, lorsqu’Agathe me la tenait afin de me parler de mon frère.

— Nous y voilà, Driss.

Je sais qu’il est là. Il ne peut en être autrement. Je suis ici pour lui, bientôt, nous serons enfin réunis.

— Je sais que tu es là. Montre-toi.

Je parle et hausse la voix, mais avec la puissance du souffle, j’ai l’impression de lâcher des chuchotis. Tant mieux, après tout. Au moins, Erod ne m’entendra pas me fracasser contre les pierres. J’attends un long moment, mais rien ne vient. J’ouvre les yeux et fronce les sourcils.

— Pourquoi ne fais-tu rien, hein ? grondé-je en regardant le ciel. Agathe peut te voir, pourquoi donc ne le puis-je pas ?

Seul le sifflement du vent dans mes oreilles empêche le silence, seule une brume de sable voltigeant au sommet des dunes trouble ce tableau parfait. Mais pas de trace de mon frère. Pourtant je le ressens. Cela me vient comme une évidence, désormais.

— Pourquoi te caches-tu ? Pourquoi préfères-tu me montrer des horreurs dans mon sommeil ? Ne crois-tu pas que je souffre assez de votre perte ?

Une larme glisse rapidement sur ma joue avant de s’envoler, puis une autre.

— Tu me manques. Oh, comme ta perte me détruit…

S’ensuit un torrent de larmes. Je me vide enfin de cette tristesse déchirante. Ici, je peux pleurer, plus la peine de me cacher.

— Je n’en peux plus, Driss… soufflé-je difficilement. Je ne peux continuer ma vie plus longtemps. Si je ne le fais pas, Erod achèvera le travail. Je ne peux attendre plus longtemps, mais je voulais te voir, au moins une dernière fois. Aide-moi, Driss. Sors-moi de cet enfer, guide-moi jusqu’à toi, ne m’abandonne pas.

J’essuie vaguement mes joues avant de lever la tête :

— Délivre-moi…