Extraits

Pour un devin, il est dangereux de pénétrer au milieu d'une foule comme celle-là. Le principal facteur limitant la portée de la magie divinatoire dans le futur, c'est l'imprévisibilité : plus il y a de variables dans l'environnement, plus le champ de visualisation est restreint.

Par le passé, Luna travaillait pour moi à temps partiel, en dénichant et achetant des articles magiques, mais dès lors que je l’ai prise comme apprentie, je me suis mis à lui verser un salaire : l’entraînement pour devenir mage occupe autant qu’un emploi à plein temps, et je voulais qu’elle puisse se concentrer sur ses cours. « En l’occurrence, tes devoirs en tant qu’apprentie, c’est moi qui les fixe, ai-je répliqué. Donc en cet instant, faire la vendeuse, c’est exactement ce pour quoi je te paie. Qui plus est, tu as besoin d’entraînement.

Et soudain, j’ai compris qui me pistait. À cet instant précis, les futurs ont vacillé avant de retourner au néant : à présent que je savais à qui j’avais affaire, je n’avais aucune raison de me montrer pour le découvrir. Si j’avais dû accomplir physiquement les actions que j’avais menées par ma vision projective, il m’aurait fallu une minute entière, alors que la divination fonctionne à la vitesse de la pensée ; dès lors, la seule limite est imposée par votre rapidité et votre clarté de concentration. Le processus dans son intégralité m’avait pris moins d’une seconde.

Ce que j’avais entendu, c’était quelqu’un s’évertuant à rester discret et caché, aussi me suis-je réfugié en silence à l’ombre du renfoncement de la porte, en glissant une main sous mon manteau, vers le manche de mon poignard. Le renfoncement me dissimulait aux yeux de quiconque approcherait par l’avant ou par l’arrière. Mais il me bouchait aussi la vue... Heureusement que je n’ai pas besoin de ce sens pour voir.

C’était un vaste auditorium, avec des rangées de sièges rouge délavé disposés en demi-cercles qui descendaient jusqu’à la scène surélevée en bois, en contrebas. Parmi les centaines de personnes installées, celle qui m’intéressait était l’homme sur l’estrade. Debout sur un podium, il donnait une conférence, et derrière lui on pouvait lire sur un écran de projection « L’intégration européenne au regard de l’Histoire ». C’est lui que j’avais entendu, de dehors.

J’ai de bons amis, parmi lesquels une poignée de mages et une araignée géante, et de moins bons amis au sein du gouvernement magique de Grande-Bretagne, aussi appelé Conseil de la Lumière. Si les membres du Conseil ne m’aiment pas, c’est pour deux raisons : primo, parce que j’ai été initialement formé par un mage de l’Ombre particulièrement dangereux du nom de Richard Drakh et qu’ils croient que j’ai fait des choses pas très reluisantes quand j’étais son apprenti ; secundo, parce qu’ils me soupçonnent d’être responsable de la mort de deux mages de la Lumière, en deux occasions distinctes, il y a deux ou trois ans. Malheureusement, il se trouve que leurs griefs sont fondés.

Russell Square est l’un des secteurs les plus étranges de Londres. Encastré entre Euston Road au nord et Holborn au sud, il ne compte pas assez de boutiques pour être qualifié de commercial, ni assez de logements pour être considéré comme résidentiel. Si bien que c’est un mélange d’universités et d’hôtels, où riches touristes et étudiants pauvres se croisent dans les ruelles étroites. C’est censé être un quartier « littéraire » – avec ses associations autour du groupe de Bloomsbury –, mais vu qu’il faut être millionnaire pour pouvoir acheter quoi que ce soit dans le coin, je doute qu’on y trouve beaucoup d’artistes.