Allez, roulez !

CHAPITRE I

Il y a bien dix-huit mois que je n’ai pas vu Helen, mais dès mon entrée dans le bureau, elle n’hésite pas une seconde.

— Bonjour, monsieur Blain ! me lance-t-elle avec un radieux sourire. Toujours en forme, à ce que je vois, toujours gentil… « tout Blain » !

Je m’approche pour mieux la regarder.

— Et vous, toujours aussi… « Belle Helen ! » Et toujours blonde, ma parole ! On a peut-être pris un peu d’embonpoint… Oh ! pas beaucoup. Une livre ou deux, sans doute. Et aux bons endroits, d’ailleurs !

— Heureusement que vous ne passez pas trop souvent par ici ! réplique-t-elle. Vous êtes démoralisant, vous, pour une femme !

Je me laisse brusquement tomber dans un fauteuil et allume une cigarette. Puis je lâche un petit ballon d’essai :

— Si je reste suffisamment de temps à Washington, est-ce que vous consentirez à me donner l’occasion de vous faire passer deux ou trois soirées bien… démoralisantes, comme il se doit ?

Le plus sérieusement du monde, elle réplique alors :

— Ne confondons pas « autour » avec « alentour », monsieur Blain ! Le plaisir et le travail, moi, je ne les mélange jamais… D’ailleurs, comme je le dis toujours, plus on se marre aujourd’hui et plus y a de bagarres demain !

— Aïe ! fais-je. Je l’ai dans l’os, celui-là !

Sur ce, elle annonce ma présence par l’interphone, écoute la réponse du grand patron et fait claquer l’interrupteur.

— Vous pouvez y aller, monsieur Blain.

— Merci, ô ma reine ! Morituri te salutant ! Autrement dit, ceux qui vont se faire coller la plus moche des missions vous saluent !

Je me rends alors dans le saint des saints et referme soigneusement la porte derrière moi.

— Comment ça va, Barney ? me demande le patron.

— Je le saurai quand vous aurez terminé votre topo ! lui dis-je, du tac au tac.

Il se lève de son fauteuil, me serre la main puis se rassied à son bureau. D’un geste, il m’invite à m’installer sur un siège, en face de lui. Je m’enquiers :

— Il y a du nouveau ?

— Oui, pas mal… Le Mexique, tu connais ?

— Non. Pourquoi ?

— Alors, tu ne vas pas tarder à faire sa connaissance.

J’écrase mon mégot dans le cendrier et allume une autre cigarette.

— Voyons, dis-je, le Mexique… Le pays des sombreros, de mañana, de la tequila et des señoritas. (Je frise, ce disant, les pointes d’une imaginaire moustache.) señor, ça vous dirait d’acheter un mulet ? Pas cher du tout… Ou des cartes transparentes, peut-être ? Si le señor le désire, j’ai aussi une ravissante petite sœur qui…

Le patron me regarde d’un air navré.

— En dix-huit mois, j’avais oublié ton humour si… juvénile, pour ne pas dire pis. Mais passons ! Est-ce que tu connais Janet Loos ?

— Non.

— Alors tu vas faire aussi sa connaissance. Tout au moins, je l’espère.

L’entretien prend une tournure qui commence à m’impatienter.