Extraits

Il avait pensé la déposer et la laisser vaquer à ses occupations, mais bon sang… Si Tessa était dans son élément sur le marché, elle était une reine absolue en cuisine, et il ne fallut pas attendre longtemps avant que les cinq métas vivant dans la propriété, dont cette tronche morose de Silas et le tigre ermite avec lequel ils s’étaient acoquinés, ne se trouvent réunis autour d’elle, à la contempler.. Babas d’admiration.

— Waouh ! Voilà quelqu’un qui aime vraiment cuisiner, murmura Boone.

Kai se demanda ce que Tessa aimait faire d’autre avec un tel appétit. Comment pourrait-il parvenir à déchaîner la magie dans son âme ?

— C’est une pro, convint Hunter.

Très vite, elle confia une tâche à chacun. Kai insista pour laver les légumes, parce qu’ainsi, il se retrouverait tout près d’elle. Hunter aiguisa les couteaux et Boone…

— Je suis vraiment obligé d’émincer les oignons ? protesta le loup en essuyant une larme au coin de son œil.

Tessa demanda à Silas de dresser la table, ce qu’il fit en mettant une nappe et tout le tralala, parce qu’ils avaient vraiment l’impression que c’était une occasion spéciale, même si aucun d’entre eux n’aurait su dire laquelle. Même Cruz rôda autour de l’akule hale pour humer les effluves de la cuisine de Tessa.

Les humains aussi ont de la magie en eux, avait coutume de répéter Georgia Mae. Alors que Kai ne l’avait jamais vraiment crue jusqu’à présent, il devait désormais bel et bien se rendre à l’évidence.

Le soleil se couchait et ses rayons dorés, qui entraient dans la cuisine, illuminaient les cheveux de Tessa. Si de petites mèches bouclaient sur son front, le reste ondulait comme un rideau de soie. Elle mélangeait une salade et, quand elle inclina la tête vers son épaule pour repousser ses cheveux, Kai faillit tendre la main pour les caresser. L’odeur du charbon de bois emplit l’air, pourtant son nez, comme le reste de ses sens, n’était focalisé que sur elle. Il se pencha encore et tout commença à disparaître, à l’exception du parfum affriolant de Tessa. Plus près… plus près…

— Tu pourrais m’ouvrir ça, s’il te plaît ? demanda-t-elle après avoir bataillé obstinément avec un bocal pendant une bonne minute.

Il revint brusquement à lui. Quand il se saisit du récipient récalcitrant, quelque chose en lui soupira face au naturel de cette scène domestique. Il pourrait passer sa vie à regarder Tessa sans jamais s’en lasser.

— Une cheffe privée, donc ? gloussa Boone.

Oui, en effet. Le dragon intérieur de Kai se gonfla de fierté.

Il avait vu un jour la vidéo d’un artiste célèbre qui jetait de la peinture sur une toile, avant de la transformer en chef-d’œuvre en deux mouvements de poignet. Il en allait de même avec Tessa. Quand elle jeta six steaks marinés sur le barbecue, tous les métas grognèrent.

— Bon sang, ce que ça sent bon ! murmura Boone.

Kai inhala une profonde bouffée… de Tessa qui se tenait juste à côté de lui et murmura :

— Tu m’étonnes.

— Encore quelques minutes et on est parés, déclara-t-elle sans se douter le moins du monde de l’effet qu’elle avait sur lui.

Ses yeux brillaient de joie et non de peur ; elle souriait pendant qu’elle travaillait.

Une goutte d’huile l’éclaboussa, ce qui l’obligea à retirer prestement sa main. Kai faillit s’en saisir pour la frotter, mais elle lui montra sa peau intacte.

— Je ne me brûle jamais. C’est pratique pour un chef, non ?

— Pratique, murmura-t-il, même si une partie de lui aurait secrètement voulu avoir une excuse pour lui caresser la peau.

Kai s’obligea à reculer d’un pas et trouva les autres gars qui souriaient eux aussi. Ils souriaient et s’écartaient tous pour regarder un maître à l’œuvre. Enfin, tous sauf Silas. Même Cruz, qui dissimula son sourire en se passant la langue sur les lèvres à l’instant où il surprit Kai en train de le regarder.

Ce dernier prit une profonde inspiration et balaya son environnement du regard. Le soleil se couchait sur le Pacifique. Les palmiers ondulaient. Ses camarades souriaient. Ils avaient quitté l’armée depuis quelques mois, mais ils ne s’étaient pas vraiment détendus depuis. Cuisiner faisait en général partie des corvées, comme patrouiller ou effectuer les petits travaux dont ils se chargeaient. Mais là…

On vit de nouveau. Son dragon souriait.

Il examina Tessa. Était-ce la cuisine ou bien Tessa elle-même qui avait réintroduit un peu de gaieté dans leurs existences ?

Kai surprit alors le regard noir que Silas posait sur lui, et il effaça aussitôt le sourire idiot qui s’était dessiné sur son visage. Ce n’était pas le paradis. Ce n’était pas sa compagne. Et toute magie qui se fraierait un chemin jusqu’à leur coin meurtri du monde ne saurait durer longtemps.