Extraits

J’ouvre la porte pour tomber sur un Matthew à genoux, son trousseau à la main, qui s’énerve tout seul après une clé qui n’est même pas celle de l’appart’.

Merde, qu’est-ce qui lui arrive ?

Il a l’air défoncé. Il se relève et s’appuie sur mon épaule, lourdement. Quand il ouvre la bouche, je comprends.

— Ah ah ! Merci, mon pote, je galérais un peu avec ce fichu trou.

Il explose de rire avant de me dévisager, niais.

— Alors qu’en général je suis le roi des trous, pas vrai ?

Je me pince l’arête du nez et souffle pour me calmer.

— Putain, mais t’es bourré ? Il est à peine dix-huit heures, Matt ! Où est-ce que t’as traîné, encore ?

Il me fixe, les yeux déconnectés.

— Ouais, je me suis un peu égaré en chemin, mais je jure que je me suis ressaisi à temps.

Il me tapote la joue, fier de lui, pendant que je l’aide à se maintenir debout pour refermer la porte tant bien que mal.

— Et tu t’es paumé à quel point ?

La voix froide qui nous parvient derrière nous le fait se figer instantanément. Il me lâche et se retourne vers une Adixia, appuyée contre la porte du salon, droite comme un piquet, les bras croisés, qui lui lance un regard à faire geler le Sahara.

« Il ignore beaucoup trop de trucs de mon histoire avec elle pour se permettre ce genre de remarques. J’ai passé volontairement sous silence certains épisodes, je n’ai pas envie de me sentir humilié. Et puis, j’ai raison, Samuel n’a rien de spécial, je ne conçois pas comment elle a pu accepter de sortir avec lui. En général, elle les choisit beaux et vifs d’esprit. Histoire qu’ils aient des choses à se dire. Ça dure un temps, puis ils se séparent. Toujours de son fait. Elle ne se fait en aucun cas larguer, non, c’est elle qui les dégage. Lui, il est peut-être mignon, mais intelligent… j’ai comme un doute. Josh ne peut pas dire le contraire, ou alors il ne la connaît pas du tout. 

Jamais elle ne lui dira ce qu'il a tant besoin d'entendre. Elle l'aime, malgré elle. Il ne le saura jamais, malgré lui

— T’es en train de me dire qu’après avoir une fois de plus joué les enfoirés hier soir avec elle, t’as été lui demander un coup de main ?

Il hoche vivement la tête comme si tout était normal, et qu’il n’y avait rien d’étrange dans son comportement. Les yeux levés au ciel, je ne peux m’empêcher de jurer. 

— Seigneur, donne-moi la patience, parce que si tu me donnes la force, je lui éclate la gueule, bordel !

Matthew se marre bêtement avant de me répondre.

— T’es athée, mec.

 — Tu ne dis rien ? Ça ne te gêne pas qu’il les traite comme de la merde ? Il n’y a pas une sorte de solidarité féminine ou je ne sais pas quoi ?

Sa dernière question n’était pas une réponse, elle ne m’était même pas destinée. Non, il s’adresse à elle comme si elle y pouvait quelque chose.

— Pas avec ce genre de nana, non. Je n’y suis pour rien si elles sont assez connes pour croire qu’il changera pour elles. Matthew Taylor ne change pas. Pour personne. Pas vrai, Matt ?

OK, celle-là, je ne m’y attendais pas. »

J’essaie de cacher mon trouble, elle ne croit pas si bien dire. Si je les choisis comme ça, c’est précisément parce qu’elles sont effectivement son opposé. Physiquement, mais surtout mentalement. Avec ce genre de filles, je ne risque rien. Pas moyen que j’aie le moindre sentiment pour elles, même amical. Je ne suis pas pote avec les nanas, jamais. Summers est l’exception. Elle l’a toujours été.

Quand ses fossettes apparaissent et que mon palpitant loupe un battement, je sais que je suis dans la merde. Il se pourrait que cette journée me change définitivement. Mon cœur se serre à l’idée qu’elle aussi ne soit plus jamais la même

— Wanna play, Tay ? Deal ! On va jouer.

Tay ?!

Je recule, pris de court, je ne m’attendais pas à ça. L’entendre prononcer le surnom qu’elle n’a plus utilisé depuis deux ans me perturbe plus que cela ne le devrait. Je ne contrôle plus le cours des choses et elle le sait. En m’éloignant d’elle, j’ai lâché ma prise sur ses hanches. Pourtant, elle se rapproche de moi. Je finis adossé contre le bar. La situation l’amuse, je le vois. Elle pose une main sur ma ceinture et me tire vers elle pour me chuchoter quelque chose à l’oreille.

— On parie combien que je peux te faire bander sans te toucher ?

Elle me scrute, un sourcil arqué en attendant ma réponse. Et moi, je la contemple la bouche ouverte, comme un con. Je ne sais pas ce qui lui prend d’un coup, mais je m’en tape. Ou plutôt, mon corps s’en moque. Elle ne me quitte pas des yeux, patientant toujours devant mon silence, et il est temps que je reprenne mes esprits. J’ai besoin d’un semblant de maîtrise sur cette situation qui m’échappe totalement.

Avril, 7 ans plus tôt.

— Espèce d’enfoiré.

Je vois rouge, il le sait, tous nos potes le savent. Pourtant Loïc tente une approche.

— Calme-toi, Matt.

Mais à quoi il joue ? C’est aussi son amie à ce que je sache !

En un regard, je le dissuade de faire quoi que ce soit pour m’en empêcher. Un sourire narquois apparaît sur le visage de Nathan.

— Tu vas me frapper, capitaine ? T’as besoin de moi pour remporter le tournoi inter-lycées, tu ne peux pas me faire de mal.

Son ton fait davantage bouillir ma haine.

— T’as besoin de tes bras et de tes jambes pour jouer, ta belle gueule ne te sert à rien. Et comme tu l’as si bien dit, c’est toi qui seras en fac de sport, pas moi. C’est pas sur mon CV que ce tournoi changera quelque chose, sur le tien en revanche…

Je m’apprête à lui foutre mon poing dans la gueule quand il me bouscule assez fort et me met un coup de coude dans la mâchoire qui m’ouvre la lèvre. Il ne fait qu’aggraver sa situation déjà bien pourrie. Je le repousse violemment, l’attrape et lui fais une clé de bras. J’appuie sa tête contre le carrelage du mur.

— T’aurais pas dû faire ça, Nate.

Il grimace de douleur, sa joue écrasée sur la faïence est déformée. Il a même des difficultés à s’exprimer sans baver, c’est à mourir de rire tellement il est lamentable.

— Tu… Tu peux pas me faire ça, Matt, je suis ton meilleur ami.

— Mon meilleur ami était quelqu’un de loyal et de fidèle à la fille qu’il aimait, toi, je ne te connais pas.