Extraits

— Tu m’apprends ?

— Tu ne sais pas siphonner une voiture ? fis-je d’un air sceptique.

— Non, dit-elle en secouant la tête lentement sans me quitter des yeux.

— Viens, essayons celle-ci, proposai-je en me plantant devant celle qui se trouvait devant ce qui avait été ma maison.

Je fis de mon mieux pour concentrer mon regard sur Grace. Elle attendit pendant que je retirais mon sac à dos, dont je sortis un tube en plastique et un chiffon.

— O.K., tu peux ouvrir le réservoir.

— Bien, et après ? demanda-t-elle.

— Glisse le tube dans le réservoir et bourre le chiffon dans l’ouverture, dis-je en observant ses gestes.

Je me penchai pour placer un jerrycan vide sous l’autre extrémité du tuyau.

— Comme ça ? dit-elle en plissant les yeux.

Elle avait fait un nœud au chiffon, scellant parfaitement le réservoir. J’acquiesçai d’un mouvement de la tête.

— Maintenant souffle dans le tube. Ça va augmenter la pression de l’air dans le réservoir et faire sortir l’essence, expliquai-je en montrant l’extrémité du tuyau souple dans sa main. Et mets le bout rapidement dans le jerrycan, sinon tu vas avaler de l’essence.

— O.K.

Elle posa les lèvres sur le tuyau, souffla longuement dedans, puis l’inséra dans le jerrycan. Un flux d’essence se mit aussitôt à couler. Elle sourit fièrement. Je trouvai qu’elle avait réussi la manip un peu trop facilement.

— Quelque chose me dit que tu as déjà fait ça, observai-je d’une voix égale.

Elle me lança un sourire coupable et haussa les épaules.

— Peut-être bien.

(...)

— Évidemment que je sais siphonner une voiture, dit-elle en gloussant d’un rire moqueur.

Je poussai un petit soupir en riant sous cape tandis qu’elle vidait le reste du réservoir.

— Ça m’aurait gêné pour toi que tu ne saches pas le faire, la taquinai-je.

— Ça te convient ? Je ne sais pas si tu aimes que ce soit organisé d’une manière spécifique…

Elle haussa les sourcils, dans l’expectative.

— Oui, c’est parfait, dis-je en contemplant les duvets séparés.

J’en avais emporté deux avec l’espoir que je parviendrais à lui résister, mais je ne pouvais nier le secret désir que nous terminions l’un contre l’autre comme la nuit dernière. À présent que la sensation m’était familière, je ne voulais plus dormir seul.

— Tu as bien meilleure mine, observai-je.

— Sans toi, je ne serais pas ici. Docc m’a raconté ce que tu as fait. Je te dois une fière chandelle.

C’est la première fois que Kit se montrait si avenant.

— Je t’en prie, répondis-je avec un sourire.

— Et je suis désolé. De m’être comporté comme un connard avec toi. J’ai un peu de mal à faire confiance à l’ennemi, tu vois ?

— Je comprends.

Moi aussi j’avais été élevée comme ça.

— D’ailleurs, je ne te fais toujours pas confiance, fit-il avec un léger rire. Mais je me dis que tu n’as probablement pas l’intention de nous tuer tout de suite.

J’accueillis ses mots avec un petit rire. Sans doute plaisantait-il, mais avec lui on ne savait jamais.

— Partons là-dessus, acquiesçai-je.

Je jetai un œil vers la porte en question, surprise de constater qu’elle était légèrement entrouverte. Une infime portion de peau glissa furtivement dans l’ouverture tandis que le dos trempé de Hayden se mouvait sous une douche de fortune. Je tendis le cou en rougissant, bien qu’il ne m’ait pas surprise en train de l’espionner.

Pourquoi ce type passait-il son temps à me tourner autour torse nu ? C’était déjà suffisamment déroutant de le voir se déshabiller sans arrêt, inutile de l’apercevoir en tenue d’Adam ! Il aurait pu fermer la porte, non ?

Harnachés de nos sacs à dos et de nos fusils, nous saisîmes chacun une lampe torche avant de prendre congé de Jett et de l’homme en faction.

Le jour était déjà tombé et je voulais traverser la forêt au plus vite. Sous la voûte des arbres, il faisait déjà sombre et le faisceau d’une lampe nous guidant entre les troncs n’aurait pas manqué de trahir notre présence.

Mon rôle au sein du trio semblait varier selon l’objet et le lieu de nos interventions. Je couvrais tous les domaines : technologies, communications, combats, surveillance, reconnaissance, la totale. C’était une des raisons pour lesquelles mon ascension avait été fulgurante, même si ce n’était pas mon intention à l’époque ; j’essayais seulement de rester en vie, loin de moi l’idée de diriger tout un camp. Je n’avais jamais demandé une telle responsabilité, mais elle m’incombait à présent, et je m’en acquittais corps et âme.

- Allez, c’est parti ! claironna soudain une voix qui résonna derrière moi dans le bâtiment exigu.

Je détachai mes yeux du visage dépité de Jett pour les poser sur Dax et Kit en train de franchir la porte. Dax, comme à son habitude, était aux anges à la perspective de partir en maraude, tandis que Kit ne se départait pas de son air imperturbablement sérieux. Ils avaient à peu près le même âge que moi, et tout les opposait, mais jamais de la vie je ne serais parti en expédition sans eux.

Si personne ne prenait garde à l’arme à feu arrimée à mon épaule, les gens, tous âges confondus, posaient sur moi des regards d’admiration mêlée de crainte. Ma relative précocité rendait mon accession au sommet particulièrement impressionnante. J’avais à peine vingt et un ans, et je me trouvais à la tête de toutes ces personnes, de toute une population, des plus jeunes aux plus anciens. J’étais chargé de leur protection et de leurs moyens de subsistance. Et d’une mission : assurer leur survie.

D’un mouvement des épaules, je réajustai l’épaisse bretelle du fusil d’assaut qui taraudait mes muscles à chacun de mes pas. Le métal de la carabine, échauffé par son utilisation récente, me brûlait la peau à travers le tissu léger de mon T-shirt. Sur mon passage, personne ne prêtait attention à l’arme ; les gens avaient l’habitude.