Extraits

— Tu lui as donné un nom ? demande-t-il. Elle aime les noms puissants. Tu pourrais peut-être essayer de regagner ses faveurs en lui en choisissant un ?

Je me mords la lèvre au souvenir du moment où j’avais révélé le surnom de l’épée à Dee-Dum.

— Heu… Je peux lui en trouver un nouveau surpuissant, fais-je avec un sourire débile.

Raffe semble se préparer au pire.

— Chaque porteur a le droit de la nommer une seule fois. Si tu lui donnes un nom, elle le garde pendant tout le temps où elle reste avec toi.

Ah…

Il me dévisage comme s’il le détestait déjà.

— Alors ? C’est quoi, son nom ?

J’envisage une seconde de mentir, mais à quoi bon ? Je m’éclaircis la voix.

— Nounours…

Raffe reste silencieux si longtemps que je finis par me demander s’il m’a bien entendue.

— Nounours…

— Ce n’était qu’une blague. Je ne savais pas.

— Je t’ai dit que les noms avaient du pouvoir. Est-ce que tu te rends compte que les prochaines fois où elle se battra, elle devra annoncer ce nom-là à l’épée adverse ? Qu’elle devra dire un truc ridicule du genre « bonjour, je suis Nounours, et je suis l’héritière d’une longue lignée d’épées d’archange ». Ou « incline-toi devant Nounours, qui n’a que deux égales à travers les mondes ».

Il secoue la tête.

Aucune lumière n’est allumée, au sein de la flotte. Aucun mouvement et aucun bruit, hormis sur le toit du grand bateau de tête. La réflexion des vagues ondoyantes et de l’éclat de la lune me permet de distinguer la chose ligotée sur le toit.

Un scorpion écrasé…

Quelqu’un se tient penché au-dessus du monstre qui se tord dans tous les sens. Nous nous rapprochons un peu.

Le corps et la queue de la bête sont ligotés. Sa bouche, bâillonnée, émet un sifflement étouffé. Et la créature tente frénétiquement de piquer la femme.

Cette dernière est trop absorbée par son activité, quelle qu’elle soit, pour nous remarquer. Elle dessine quelque chose sur le poitrail de l’animal. Je ne vois pas son visage, de là où je suis, mais il ne peut s’agir que d’une seule personne.

Ma mère est en vie, et indemne.

Deux hommes armés de fusils se tiennent près d’elle. Aux bras musculeux de l’un et au costume de jeune cadre dynamique de l’autre, je dirais qu’il s’agit de Tatouage et Alpha. Maman doit avoir fait forte impression, durant l’évasion, parce qu’ils ne la protègent pas pendant qu’elle dessine sur un scorpion !

Nous passons au-dessus du navire. Mais l’obscurité est trop dense pour que j’arrive à lire ce qu’elle inscrit.

— Elle a tracé un cœur au rouge à lèvres sur son poitrail, et écrit « Penryn et Paige » dedans, me murmure Raffe.

Nous faisons demi-tour vers le quai.

— Maintenant, elle dessine des fleurs sur son abdomen.

Je ne peux m’empêcher de sourire et de secouer la tête.

Je me sens plus légère.

Durant un moment, je m’autorise même à serrer Raffe plus fort.

Mon ton est grinçant . Je plonge ma poignée de céréales dans le beurre de cacahuètes en m'assurant de laisser un peu de céréales à l'intérieur . J'y mets même deux raisins secs pour me faire bonne mesure.

-L'excitation des anges à propos de l'Apocalypse n'a rien à voir avec les humains.

-Sans déconner...

Raffe jette un coup d'oeil dans le pot de beurre de cacahuètes contaminé et m'adresse aussitôt un regard malicieux. Il repose le pot sans se servir.

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Je m'apprête à replonger les doigts dans le pot quand Raffe balnce des céréales à 'lintérieur . Je me retrouve obligée de les manger toutes avant de pouvoir déguster la pâte à tartiner.

Mon opposant s'avance le premier . Il sourit encore, au point qu'on pourrait croire que je lui fait plaisir.

Ce sont tous des mâles . Ils ont l'habitude de se battre entre eux. Ils s'attendent à être attaqués à certains endroits précis, et par un adversaire qui utilise la force du haut de son corps. Ce genre d'adversaire sous -estime toujours les femmes...

Le haut de mon corps n'est pas puissant . Rien de comparable avec la plupart des hommes, en tout cas , alors avec ces types encore moins.

Comme la plupart des combattantes, ma force réside dans mes jambes et mes hanches.

Il plonge vers moi, la main tendu pour attraper mon couteau, certain que je l'attaque immédiatement.

Mais je m'accroupis et le laisse passer au-dessus de moi.

Je bondis à la dernière seconde avec tout la puissance de mes cuisses et de mes mollets, et vais planter ma lame en plein dans son entre-jambe.

Pourquoi s'embêter quand on peut directement viser leurs points faibles?

Il roule sur le sable en position foetale comme n'importe quel mec. Il guerira. Mais il ne brisera aucun tabon avant longtemps...

Un ange est projeté en l'air à côté de moi . Je me tourne pour voir Raffe rouer de coups le dernier. D'autres, attirés par la bagarre, se ruent dans notre direction.

Raffe regarde le couteau ensanglanté dans ma main.

- Si je me demandais encore si c'est bien toi, je n'ai plus le moindre doute.

Il fait un geste pour désigner mon assaillant roulé en boule par terre les mains sur sa blessure.

-Il aurait du se montrer poli et nous laisser passer, fais-je.

-Ca lui apprendra le respect , c'est sûr. J'ai toujours revé de rencontrer une fille qui se batte à la déloyale .

-Je ne me bats pas à la déloyale. 'est de l'autodéfense.

Il se vexe.

-Je ne sais pas si je dois avoir pitié de lui ou te respecter.

-Allez viens. Celui-là ne devrait pas trop poser probleme.

Il me sourit. Son regard me fait fondre.

Son corps fort et chaud me donne l’impression d’un foyer. Nos visages se frôlent au moment où l’essaim vire de bord. Je sens son souffle balayer ma joue.

Ce dernier contemple son arme déguisée durant une seconde.

— Tu sais le nombre de morts que cette épée a à son actif ?

— C’est un déguisement, Raffe.

— Cette lame n’est pas une simple épée d’ange. C’est une épée d’archange. Meilleure qu’une épée d’ange, au cas où ces choses-là ne seraient pas claires pour toi. Elle est censée intimider les autres épées angéliques.

— Quoi, tu veux dire que les autres épées tremblent dans leur fourreau lorsqu’elles la voient ?

Je me dirige vers la pile d’objets déposés par les passagers du ferry.

— Parfaitement, insiste-t-il en me suivant. Elle a été créée pour inspirer le respect. Comment veux-tu qu’elle le fasse déguisée en ours en peluche lui-même vêtu d’une robe de mariée ?

— Ce n’est pas une robe de mariée. C’est une jupe pour son fourreau. Et c’est mignon.

— Cette lame a horreur de ce qui est mignon. Elle veut mutiler et couvrir de cicatrices tout ce qui est mignon.

— Je ne connais pas une seule personne qui ait horreur de ce qui est mignon.

— Moi. Et les épées d’ange.

— Je révoque ton statut de guerrière, déclare-t-il sans lâcher du regard Clara et sa famille.

— Ah, parce que j’avais un statut de guerrière ?

— Oui. Pendant trente secondes.

— Et quel crime odieux ai-je bien pu commettre pour perdre ce glorieux statut ?

— Un vrai guerrier aurait récupéré son épée avant de s’occuper de ses affaires personnelles.

— Je ne m’occupe que de mes affaires personnelles, en ce moment. Chaque bataille que je mène est personnelle.

[...]

— Mmm… Bonne réponse. Tu pourras peut-être regagner ton statut.

— Je trépigne d’impatience…

— Ton monde est bien différent du mien. Vous n’avez donc rien en commun avec nous, les humains ?

Il me lance alors un regard qui me scotche sur place. Ce visage parfait, ce corps d’Adonis…

— Rien de flagrant.

— Et il n’y a aucun moyen que ça change, hein ? Nous sommes des ennemis mortels, et je devrais essayer de te tuer toi et tous ceux de ton espèce…

Il se penche vers moi, puis pose en douceur son front contre le mien avant de fermer les yeux.

— Oui.

Son souffle effleure mes lèvres. Je ferme les yeux à mon tour, et me laisse envahir par la chaleur de son front contre le mien.

Ce qui avait l’air d’un sweat aux couleurs sourdes à la lueur de la bougie est un magnifique pull à motif léopard. Et comme il est beaucoup trop grand pour moi, il plisse et pend partout. Ce que j’avais pris pour une écharpe foncée est en réalité une cravate rouge, et je porte une chaussette rose et une violette.

— Pourquoi tous les autres auraient le droit de s’habiller comme des chasseurs de zombies et pas moi ?

Il continue de ricaner.

— On dirait un Shar-Peï à robe léopard.

Il doit parler de ces petits chiens à la truffe écrasée noyés sous les plis.

— Heu… Tu me fais flipper. Non, franchement. Tu sais que ça pourrait me hanter toute ma vie d’être comparée à un petit chien tout ridé alors que je n’ai que dix-sept ans ?

— Ah ! Cette chère Penryn. Je te reconnais bien là. Si sensible…

La lumière des flammes adoucit ses traits et réchauffe sa peau.

— Mais si je devais booster un peu ton hypersensibilité, je te dirais que tu étais superbe, avec des ailes.

Il me sourit. Son regard me fait fondre. Quelque chose de subtil et que je ne cerne pas tout à fait passe entre nous. Je détourne les yeux la première. Puis glisse le couteau dans la bande de caoutchouc de mon bas. S’il est assez serré pour tenir lorsque je me bats, alors il devrait maintenir la lame sans problème. Au final ces trucs sont bien utiles.

Je lève la tête. Raffe me regarde. J’ai une sensation bizarre, tout à coup. Il m’attrape par la taille et me soulève dans ses bras comme dans un vieux film. Par réflexe je passe les miens autour de son cou. Durant un moment, je suis troublée. Les pensées les plus bêtes me viennent en tête.

— Ne me lâche pas, murmure-t-il.