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La cabane de Marra était située à mi-hauteur d'un frêne gigantesque. Ebloui par le jour, je contemplai pour la première fois cette vielle forêt infestée par les fées: des arbres centenaires au parfum piquant de sève brune, un sous-bois aux teintes vert sombre, piqueté çà et là de fleurs sauvages aux couleurs vives. L'air bruissait du bourdonnement lointain des insectes et du froissement des feuilles caressées par le vent.
La cabane n'était pas faite de planches et de clous comme un ouvrage humain, elle n'avait aucune ligne droite, aucun angle, aucune surface polie: elle avait poussé dans l'arbre lui-même comme un énorme fruit, une sorte de coque ronde aux murs recouverts d'écorce et de lichen. J'en vis au moins deux autres aux alentours, l'une blottie dans un chêne vert, l'autre dans un érable: les fées, semblait-il, savaient aussi charmer les arbres pour les tordre dans leur chair selon leurs désirs.
L'Etalon, Paul Beorn
Afficher en entierLe plus frappant, c'est le silence. La nuit presque totale. Et les fenêtres brisées, hagardes, ouvertes sur le néant comme des orbites vides. Les racines ont scarifié le bitume, distordu les avenues, déchiré les carrefours, et le sol sous mes pieds a des relents d'ivresse. Il s'est mis à neiger.
-T'as pas froid?
La voix de Keiran, éraillée par l'alcool, la drogue et la clope, sonne comme un vieux diesel sur une route de montagne.
-Non. Mais je ne reconnais rien.
Rien. Pas même cet immeuble dont la rotonde est étrangement intacte, ni la bouche de métro envahie par les barbelés. La rouille a dévoré ce quartier comme une lèpre de métal, effritant les grilles, rongeant les réverbères. Il n'en reste que des façades aveugles, des rideaux de fer tordus, des carcasses de voitures brûlées et des squats sans lumière où les derniers rats du Seize tentent d'affronter l'hiver. Moi qui m'attendais à la Cour des miracles, cet endroit n'est qu'un tombeau.
Magie de Noël, Gabriel Katz
Afficher en entierElle tire sur son fume-cigarette. Elle se détend. Contre le mur lépreux de la ruelle, dans les vapeurs d'alcool qui s'infiltrent sous la porte, elle prend la pose, les yeux mi-clos. Le rouge du couchant souligne son profil. Elle penche la tête en arrière, ses cheveux courts volètent contre sa nuque, leur cuivre étincelant assombri par la sueur. Les volutes de fumée s'étirent vers la bande de ciel, s'enroulent en longs rubans flous entre les façades aveugles. Dans un soupir, Cynthia s'imagine à la MGM, que les briques des immeubles sont des feuilles de décor, qu'une équipe technique au complet la filme depuis le fond de la ruelle. Et le dernier rai de soleil effleure comme un projecteur la modelé de ses joues.
Smoke & Mirrors, Estelle Faye
Afficher en entierPlus rien n'avait d'importance, que d'aller vite et de semer le monde. D'autres menaces avaient tonné, appuyées de balles tirées vers un ciel qu'on fabulait d'aimer, mais aucune ne l'avait foudroyée. Nadjia avait couru dans les rues dévastées, bondi contre les véhicules, évité les soldats qui se battaient d'un côté ou de l'autre. Les dangers lui tenaillèrent le cœur comme autant de promesses, mais elle els ignora. A force de détours, elle retrouva son chemin jusqu'à l'immeuble en ruine qu'on avait interdit aux enfants de la ville, et où ceux-là craignaient de toute façon d'aller.
Al'Ankabût, Nabil Ouali
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