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Le labyrinthe fut aussi pour moi une belle aventure. Tous les labyrinthes dont j'avais eu connaissance, et j'avais entre les mains la splendide étude de Santarcangeli, étaient des labyrinthes à ciel ouvert. Ils pouvaient être très compliqués et pleins de circonvolutions. Mais moi, j'avais besoin d'un labyrinthe fermé (a-t-on jamais vu une bibliothèque à ciel ouvert ?) et s'il était trop compliqué, avec beaucoup de couloirs et de salles internes, il n'y avait plus une aération suffisante. Et une bonne aération était nécessaire pour alimenter l'incendie (que l'édifice dût brûler à la fin, cela était très clair pour moi, pour des raisons cosmologico-historiques : au moyen-âge, les cathédrales et les couvents brûlaient tels des fétus de paille ; imaginer une histoire médiévale sans incendie, c'est comme imaginer un film de guerre dans le pacifique sans un avion de chasse en flammes qui tombe en piqué). C'est pourquoi j'ai travaillé deux ou trois mois à la construction d'un labyrinthe adapté, et à la fin j'ai dû y ajouter des meurtrières, sinon l'air aurait toujours été insuffisant
Afficher en entierJ’ai retrouvé – deux ans après avoir écrit le roman – des notes datées de 1953.
« Horace et son ami font appel au comte de P. pour résoudre le mystère du spectre. Comte de P., gentilhomme excentrique et flegmatique. En revanche, un jeune capitaine des gardes danoises qui use de méthodes américaines. Développement normal de l’action selon les lignes de la tragédie. Au dernier acte, le comte de P., ayant réuni sa famille, explique le mystère : l’assassin est Hamlet. Trop tard, Hamlet meurt. »
Des années après, j’ai découvert que Chesterton avait eu quelque part une idée de ce genre. Il paraît que le groupe de l’Oulipo a récemment construit une matrice de toutes les situations policières possibles et a trouvé qu’il reste à écrire un livre : celui où l’assassin serait le lecteur.
Morale : il existe des idées obsédantes, elles ne sont jamais personnelles, les livres parlent entre eux, et une véritable enquête policière doit prouver que les coupables, c’est nous.
Afficher en entierJ’ai écrit un roman parce que l’envie m’en est venue. Je pense que c’est une raison suffisante pour se mettre à raconter. L’homme est un animal fabulateur par nature. J’ai commencé à écrire en mars 1978, mû par une idée séminale. J’avais envie d’empoisonner un moine.
Je crois qu’un roman peut naître d’une idée de ce genre, le reste est chair que l’on ajoute, chemin faisant. Cette idée devait être plus ancienne. J’ai retrouvé un cahier daté de 1975 où j’avais inscrit une liste de moines vivant dans un vague couvent. Rien d’autre. Au début, je me suis mis à lire Le Traité des poisons d’Orfila – que j’avais acheté il y a vingt ans chez un bouquiniste de Paris, pour de simples raisons de fidélité à Huysmans (Là-bas).
Afficher en entierRaconter comment on a écrit ne signifie pas prouver que l’on a « bien » écrit. Poe disait que « l’effet de l’œuvre est une chose et la connaissance du processus en est une autre ». Quand Kandinsky ou Klee nous racontent comment ils peignent, ils ne nous disent pas si l’un des deux est meilleur que l’autre. Quand Michel-Ange nous dit que sculpter signifie libérer de son oppression la figure déjà inscrite dans la pierre, il ne nous dit pas si la Pietà du Vatican est plus belle que la Pietà Rondanini. Il arrive que les pages les plus lumineuses sur les processus artistiques aient été écrites par des artistes mineurs qui réalisaient des effets modestes mais savaient bien réfléchir sur leurs propres processus : Vasari, Horatio Greenough, Aaron Copland…
Afficher en entierDepuis que j’ai écrit Le Nom de la rose, je reçois de nombreuses lettres de lecteurs, la plupart pour me demander ce que signifie l’hexamètre latin final1 et comment il a engendré le titre. Invariablement, je réponds qu’il s’agit d’un vers tiré du De contemptu mundi de Bernard de Morlaix, un bénédictin du XIIe siècle, qui s’est livré à des variations sur le thème de l’ubi sunt (d’où a dérivé par la suite le mais où sont les neiges d’antan de Villon) et a rajouté au topos courant (les grands de jadis, les villes célèbres, les belles princesses, le néant où tout finit par s’évanouir) l’idée que, bien que toutes les choses disparaissent, nous conservons d’elles de purs noms. Je rappelle aussi qu’Abélard utilisait l’exemple de l’énoncé nulla rosa est pour montrer à quel point le langage pouvait tout autant parler des choses abolies que des choses inexistantes. Après quoi, je laisse le lecteur tirer ses conclusions, considérant qu’un narrateur n’a pas à fournir d’interprétations à son œuvre, sinon ce ne serait pas la peine d’écrire des romans, étant donné qu’ils sont, par excellence, des machines à générer de l’interprétation. Seulement voilà, tous ces beaux propos pleins de virtuosité achoppent sur un obstacle incontournable : un roman doit avoir un titre.
Afficher en entier"L'auteur devrait mourir après avoir écrit. Pour ne pas gêner le cheminement du texte".
Afficher en entier"Un grand roman, c'est celui où l'auteur sait toujours à quel moment accélérer, freiner, comment doser ces coups de frein ou d'accélérateur dans le cadre d'un rythme de fond qui reste constant".
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