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«FBI (Federal Bureau of Investigation) et CIA (Central Intelligence Agency) : les deux plus grandes agences de renseignements américaines, qui s'occupent respectivement des renseignements étrangers et de la sécurité nationale (contre-espionnage et contre-terrorisme). [...]

MI6 (Military Intelligence section 6 ou Secret Intelligence Service (SIS) : Service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni, qui a pour but de protéger le pays de toute attaque terroriste extérieure et de diriger des activités d'espionnage à l'extérieur du pays. [...]

SCRS (Service canadien du renseignement de sécurité) : le principal service de renseignements du Canada. [...]

NSA ( National Security Agency) : la troisième plus grande agence de renseignements américaine, qui s'occupe des renseignements électromagnétiques. [...]

KGB : service de renseignements de l'Union soviétique, de 1954 à 1991.»

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CHAPITRE 1

Après une course effrénée, je m’arrête et m’adosse au mur de béton. Dans le couloir que je viens de traverser, la noirceur domine. Seules quelques lampes rouges éclairent faiblement, çà et là. Le bip constant de l’alarme de l’école résonne en sourdine au loin.

Marilou pose soudainement sa main sur mon

épaule. Je sursaute et me retiens de crier. Pendant un moment, j’ai été si concentrée à chercher la sortie que j’ai oublié la présence de mon amie.

Nous nous retournons et observons le corridor, jetant un œil dans la direction d’où nous sommes venues. Tout à coup, j’entends nos poursuivants, au loin. Et zut, ils ont probablement retrouvé notre trace ! Pourquoi ne suis­-je pas surprise ? Il fallait s’y attendre, avec des agents super entraînés.

Marilou et moi prenons la poudre d’escampette, tout en essayant de ne pas faire trop de bruit. Nous arrivons enfin à la porte de sortie. Je pose mon pouce sur le lecteur biométrique qui numérise mon doigt et déverrouille le loquet. Je pousse le battant.

Il résiste. Bon sang, mais qu’est-­ce qui se passe ? La porte s’entrouvre à peine de deux centimètres. Pas moyen de sortir. Quelque chose bloque le chemin.

A­-t-­on idée qu’un souterrain secret soit bloqué par une sortie de secours ?

— Qu’est­-ce qui se passe ? murmure Marilou.

— C’est bloqué. On dirait qu’un objet à l’extérieur barre le chemin.

J’entends les voix de nos poursuivants qui approchent.

Je ne saurais dire où ils se trouvent exactement, mais je sais qu’ils sont plus près de nous que je le désirerais. Marilou et moi appuyons nos épaules contre le battant d’acier, prenons appui au sol avec nos pieds et poussons de toutes nos forces.

Centimètre par centimètre, la porte s’ouvre de plus en plus. Nous continuons de pousser. On y est presque ! J’entends les agents qui doivent être tout près, même si je ne parviens pas à les voir. Allez, un dernier coup !

Enfin, le battant s’ouvre juste assez pour nous laisser passer.

Marilou et moi, nous nous glissons dehors. Juste avant de sortir, j’entends les pas de nos poursuivants qui approchent. Il ne faut pas qu’ils nous attrapent !

Nous nous retrouvons à l’une des sorties de secours secrètes du collège, débouchant sous les ruines abandonnées de l’ancienne usine de Carbone

Carbide Mills, sur l’île Victoria. Nous constatons alors que la sortie était obstruée par un gros tronc d’arbre mort. Vraiment très étrange.

On jurerait que quelqu’un l’y aurait mis pour nous nuire. Tant pis, pas le temps de penser à ça, il y a plus urgent. C’est le soir, et seules quelques lumières extérieures éclairent l’île par endroits. Marilou et moi marchons dans les buissons pour nous éloigner.

Emprunter le chemin pour nous évader nous mettrait

à la vue de tous et ce serait trop risqué. Nous restons donc camouflées dans la végétation, en longeant la route principale, nous menant à coup sûr vers le pont permettant de sortir. Le tout, sans être prises par nos adversaires, qui doivent chercher à nous retrouver en ce moment même.

Nous courons en silence.

Nous nous déplaçons sous le pont du Portage, le lien entre Gatineau et Ottawa, qui passe au­-dessus de l’île, sans s’y arrêter. De l’autre côté de la rivière des Outaouais, j’aperçois les lueurs du Mill Str. Brew

Pub, une vieille taverne sur le bord de l’eau. Il nous reste encore un bon bout de chemin à parcourir avant d’être tirées d’affaire.

Tout à coup, je perçois vaguement un bruissement dans les feuilles, tout près de nous. Est-­ce qu’on nous a repérées ? À moins que ce ne soit un animal, tout simplement ?

Un quart de seconde plus tard, une grande silhouette surgit de derrière un bosquet et fond littéralement sur Marilou et moi. Mon cœur s’arrête.

Même dans l’obscurité, cet homme, je le reconnaîtrais entre mille. La forme de ses épaules, sa coupe de cheveux, sa façon de bouger, et même l’odeur de sa lotion après-rasage.

Sa simple vue me pétrifie maintenant de terreur, mon sang ne fait qu’un tour dans mes veines, mon estomac se tord et je fige comme une statue. Et dire que je croyais pourtant m’être bien préparée à

l’affronter de nouveau !

Vincent Larochelle…

Avant même que Marilou et moi ayons pu réagir, il nous saisit chacune le bras de sa poigne d’acier habituelle et nous tient à sa merci. Inutile de nous débattre ou de réagir. Dans une véritable situation de danger, Marilou et moi aurions déjà été neutralisées et peut-­être même éliminées. Nous avons perdu.

J’ai l’impression que le contact de la main de

Vincent sur mon bras me chauffe comme un fer rouge et je sens un frisson me parcourir le corps.

Je n’ai qu’une envie : tirer mon bras de toutes mes forces pour me dégager et m’éloigner de lui.

Je prends une grande respiration et me retiens de justesse pour éviter une réaction trop vive. Mon malaise ne doit pas transparaître.

Après tout, Vincent ne se souvient pas de m’avoir déclaré qu’il m’aimait, alors qu’il était gravement blessé et délirant!

. C’était il y a deux mois et demi, en juin dernier, et pourtant, je m’en souviens comme si c’était hier. Je le revois, étendu sur le sol, le chandail couvert de sang, alors qu’il venait de prendre une balle en plein ventre pour me protéger.

Les paroles qu’il a prononcées alors sont restées gravées dans mon esprit comme dans de la pierre.

« Je t’aime tellement, si tu savais… pardonne-moi…»

Je me secoue intérieurement. Je dois refouler tout

ça, oublier, reléguer cette histoire dans les profondeurs de mon esprit.

À part Laurence à qui j’ai tout raconté, personne n’est au courant. Et personne ne doit savoir. Jamais.

Un enseignant amoureux d’une de ses élèves ? Pas besoin d’être un génie pour savoir que le collège n’approuverait pas. Bonjour les conflits d’intérêts et les problèmes d’éthique. Sans compter que j’ai 17 ans et lui, 21. Déjà, savoir une personne amoureuse de soi alors qu’on ne l’aime pas, ça a quelque chose d’un peu gênant. C’est comme essayer d’ignorer un gros

éléphant rose à pois verts dansant la polka dans une pièce. Mais quand, en plus, cette personne doit vous enseigner et vous évaluer, ça complique les choses.

Je n’apprécie pas vraiment Vincent Larochelle et il a probablement autant de sensibilité qu’une roche, mais je ne veux pas lui causer de problème. Si on soupçonne qu’il n’est pas neutre à mon égard comme il le devrait, ce serait peut-­être suffisant pour qu’il perde son emploi au collège. Pourtant, il demeure un excellent espion et un bon prof au dossier sans tache. Et je n’ai pas oublié qu’il m’a quand même sauvé la vie.

D’ailleurs, je n’ai toujours pas saisi comment un

être comme lui a pu tomber amoureux de moi. J’ai encore du mal à le croire, même si sa confession n’est pas le fruit de mon imagination et qu’il n’avait aucune raison de mentir dans l’état où il se trouvait.

Je réprime immédiatement un frisson. Depuis toujours, le contact de Vincent m’a attirée autant qu’un poisson froid, mais avec cette histoire « d’amour » en plus, ça me gêne davantage. Je reprends contenance.

En tout cas, le peu qu’il m’en reste.

Au même instant, Vincent souffle de toutes ses forces – et Dieu sait qu’il en a beaucoup – dans le sifflet qu’il tenait dans sa bouche. Une seconde plus tard, un autre sifflement lui répond au loin.

Le code pour annoncer aux autres enseignants qu’il a réussi à capturer des élèves.

— C’est bon, vous avez gagné, dis­-je. Je crois que vous pouvez nous lâcher, maintenant.

Au même moment, Vincent desserre son étreinte sans dire un mot. Je me sens un peu soulagée de récupérer mon bras. Marilou aussi se frotte le bras, sûrement heureuse d’être libérée. Quelques instants plus tard, madame Duval, l’enseignante de combat et d’arts martiaux au physique androgyne, se pointe.

— Pas trop mal comme performance pour un début d’année, commente­-t-­elle en prenant des notes sur son iPad. Vous avez bien retenu les notions enseignées lors de votre entraînement de première année, on dirait. Aujourd’hui, vous êtes le dernier duo que nous avons attrapé.

Je soupire. Savoir que Marilou et moi avons été

les derniers élèves capturés est une consolation, mais nous n’avons pas atteint notre objectif pour cette simulation.

Sur ce, madame Duval tourne les talons et retourne vers l’école, l’air satisfait. Vincent, Marilou et moi la suivons, en marchant sur le chemin principal, cette fois. Notre exercice est terminé, ce sera bientôt l’heure du couvre-­feu. Nous aurons sans doute droit aux commentaires des enseignants sur notre performance au cours de la semaine prochaine.

— Dites, le tronc d’arbre devant la porte de secours, c’était prévu ? demande Marilou.

— Bien sûr, répond madame Duval. Nous n’allions quand même pas vous faciliter la tâche. Dans les vraies missions, il y a souvent des obstacles inattendus.

Votre travail consiste à composer avec l’imprévu.

Sans compter que ce n’est pas sûrement pas demain la veille que des élèves parviendront à avoir le dessus sur leurs professeurs super expérimentés.

Le combat est inégal, nous n’avions sans doute presque aucune chance. Évidemment, madame Duval remarque aussitôt ma déception.

— Vous êtes déçue, mademoiselle Laforce ?

demande­-t-­elle. Si cela peut vous remonter le moral, depuis que nous faisons passer ce test, aucun élève n’est parvenu à atteindre sa cible. Le but est avant tout de voir votre capacité à faire appel à vos connaissances rapidement. Même monsieur Larochelle, quand il

était étudiant et a fait cet exercice, l’a échoué, ajoute-t-­elle en lui lançant un sourire moqueur.

Même Vincent ? Lui, si perfectionniste, qui ne tolère pas l’échec ? Marilou et moi lui jetons un coup d’œil. Ce dernier soupire légèrement et lève les yeux au ciel, sûrement agacé de se faire rappeler cet épisode.

— Cependant, c’est lui et sa coéquipière qui sont parvenus le plus loin, ajoute madame Duval.

Précisément au pont de la rue Eddy, presque au musée quand nous les avons rattrapés. Aucun élève n’avait encore réussi à aller jusque-­là.

J’ai souvent tendance à oublier qu’il n’y a pas si longtemps, Vincent n’était qu’un élève au collège, comme moi. Il est si doué et expérimenté, malgré

son âge, qu’on l’imagine mal assis sur les mêmes bancs que nous, à prendre des notes.

Nous étions de retour au collège depuis à peine deux jours que déjà, en ce début de septembre, nos professeurs nous plongeaient dans un bain d’immersion assez brusque, bain de nous tester immédiatement. Dès le premier jour, monsieur

Frost, notre directeur, nous a assigné un exercice :

la simulation d’une invasion de l’école par des forces terroristes, incarnées par nos professeurs eux­-mêmes. L’objectif des élèves, formés en duos,

était de s’évader du collège, de sortir de l’île et de rejoindre un hypothétique agent du SCRS, à

l’entrée du Musée de la guerre, afin de l’informer de la situation et d’appeler du renfort.

Avec à peine une journée pour nous préparer et réviser les notions acquises l’an dernier, après deux mois et demi de vacances, c’est un retour un peu brutal. Bien sûr, ce n’est pas une excuse pour être

« rouillé ».

Selon le collège, un bon espion doit constamment

être en mesure de faire appel à ses connaissances, même s’il ne les a pas utilisées depuis des mois, voire des années. Pas de place pour la complaisance.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est le principal service de renseignements du Canada. Il chapeaute les programmes de formation du collège.

Bref, notre deuxième année commence plutôt raide.

— Il ne faut pas oublier une chose, mesdemoiselles, ajoute madame Duval. Cet exercice est presque impossible à accomplir, étant donné la différence de compétences entre les étudiants et les professeurs.

Cela, nous le savons d’avance.

— Mais alors, pourquoi un tel test ? que je demande.

— Pour vous préparer à une autre chose à laquelle vous devrez faire face, tôt ou tard, en tant qu’agents :

l’échec.

Je m’arrête de marcher un instant. Marilou me regarde, avec les mêmes points d’interrogation dans le regard.

— Eh oui, même les espions les mieux entraînés ne réussissent pas toujours, ajoute notre enseignante, tout en continuant de marcher. Et ce, même si leur cause est juste. La noblesse d’une mission ne lui assure pas le succès. Ce n’est pas un film de James

Bond, c’est la vraie vie. Or dans la vraie vie, des missions échouent, des informations sont perdues

à jamais, des gens meurent parfois. Vous aurez à

composer avec cela un jour et à l’accepter. Nous avons tous vécu cette situation, à un moment ou à

un autre.

Madame Duval jette à nouveau un regard appuyé

à Vincent, mais sans air moqueur, cette fois. Ce dernier semble se renfrogner, les yeux rivés au sol.

Presque honteux. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ces dernières paroles étaient loin d’être gratuites ou innocentes.

Clairement, madame Duval en a profité pour tenter de passer un message à Vincent et les deux savent pertinemment de quoi il retourne ici.

Mais de quoi parle­-t-­elle ? L’année dernière, lorsque j’avais attrapé une conversation privée entre

Vincent et monsieur Marsolais, ce dernier avait aussi fait référence à une bévue que Vincent avait commise et qui le mettait fort mal à l’aise. Est-­ce

également de cela qu’il s’agit ici ?

***

Une semaine plus tard, les cours vont bon train.

Nos études ont repris leur rythme de croisière. Les cours de deuxième année semblent déjà un peu plus corsés. Il faut dire que dans notre école, la deuxième année, c’est l’équivalent de la première année de cégep – au Québec, en tout cas. Les cours de base ne sont pas les mêmes et les exigences non plus.

Nous avons peut-­être des cours de décryptage de codes secrets ou d’armes à feu, mais nous devons

également maîtriser les mêmes notions de base comme le font les autres élèves du pays.

De plus, nous avons perdu quelques élèves après les examens de juin dernier, et nous sommes donc un peu moins nombreux. Comme on nous l’avait dit lors de notre arrivée l’an dernier, le nombre d’élèves qui finissent par décrocher un diplôme et par être recrutés par le gouvernement est faible, les exigences du programme étant très élevées. À peine dix pour cent d’entre nous seront choisis au final. Les autres seront renvoyés chez eux les uns après les autres.

Comme toujours, nous aurons deux tests importants par année, à Noël et en juin, au cours desquels près d’une vingtaine d’élèves, qui auront eu les moins bons résultats, seront renvoyés. Sur les 135

élèves qui sont arrivés l’an dernier, il en reste 95. À la in, nous ne serons qu’une quinzaine. En tout cas, ça faisait drôle, cette année, de voir les visages ébahis des nouveaux élèves de première année, alors qu’on leur faisait visiter les lieux et qu’ils découvraient cette école si spéciale. 

Nous avons commencé par les cours sur l’utilisation des armes dites « traditionnelles » avec monsieur Stewart.

Cet homme est véritablement un être à part.

Adepte de philosophie et de poésie en plus de son amour pour les armes, il a le tour de nous surprendre régulièrement. C’est sûrement le seul homme qui peut parler avec émotion des lames à

simple ou double tranchant, décrire leur pouvoir de perforation avec des termes presque lyriques, dépeindre la symétrie de la pointe comme il parlerait de La Joconde, ou s’extasier sur la qualité du métal comme un critique d’art.

« La plupart des dagues, même si elles sont assez peu utilisées de nos jours, servaient surtout à l’estoc lors d’un combat à courte distance, explique­-t-­il en faisant des moulinets à une vitesse impressionnante avec une dague de combat Fairbairn­Sykes. C’est­-à­-dire qu’on l’utilisait surtout pour blesser ou tuer en se servant uniquement de la pointe. Les tranchants servaient peu. Le fait d’utiliser la taille, ou de frapper avec le tranchant de l’arme si vous préférez, faisait des entailles impressionnantes. Mais l’estoc permettait d’atteindre plus aisément les organes vitaux en combat rapproché. »

Pour appuyer ses dires, monsieur Stewart s’élance vers un mannequin à côté du tableau qui lui sert de victime pour ses démonstrations. En un quart de seconde, il plante trois fois son couteau en plein dans les côtes, si vite que nous voyons à peine la lame entrer et sortir. Si ç’avait été un véritable humain, nul doute qu’il serait mort sur le coup. Aussi appelée 7

« couteau FS », cette dague a été créée en 1941 par les capitaines Fairbairn et Sykes. Elle fut surtout utilisée par les commandos britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle est encore en usage de nos jours.

Tous les élèves restent bouche bée devant l’habileté, la souplesse et la célérité de ce cinquantenaire, pourtant petit et bedonnant. Tout le monde sait que monsieur Stewart est un ancien tireur d’élite, membre d’une escouade tactique. Mais des rumeurs courent à son sujet : il aurait aussi une formation de ninja, reçue au Japon d’un grand maître, descendant d’une école secrète de ninjutsu, fondée il y a plus de mille ans et aujourd’hui disparue. Certains racontent que dans les années 1970, monsieur Stewart a participé à des dizaines de missions ultrasecrètes internationales lors desquelles il aurait éliminé des membres influents de groupes terroristes autant que de formations politiques alors considérées comme dangereuses.

Considérant qu’en plus, il possède dans son bureau une collection d’armes japonaises telles que des sabres wakisashis ou katanas ainsi que des dagues tantôt, ça valide drôlement cette théorie.

Sans même se soucier de nos airs ébahis, monsieur

Stewart poursuit son cours.

— Et si jamais votre adversaire est trop loin, mais que vous n’avez aucun autre moyen de défense sous la main…

Alors, d’un simple mouvement du poignet, il lance la dague dans les airs, au­-dessus de nos têtes !

La lame aboutit en plein centre d’une cible en haut du mur, au fond de la classe. Tout le monde est encore plus impressionné et nos mentons doivent frôler nos pupitres.

— Si ce gars-­là n’est pas un ancien ninja, moi je suis la fée des dents, murmure mon copain

Guillaume à mon oreille.

Au même moment, mon cellulaire, que je dois garder allumé en tout temps – ordre particulier donné à tous les élèves – se met à vibrer. Un texto vient d’entrer. C’est madame Albert, l’adjointe de monsieur Frost.

Code jaune.

Rendez-vous avec monsieur Frost, salle de chauffage et chaudières, deuxième sous-sol, à

la sortie du cours.

Code jaune, une urgence d’importance moyenne.

Hum… une rencontre à la salle de chauffage et chaudières ? Drôle d’endroit pour un rendez-­vous.

Pourquoi pas dans le bureau du directeur, comme les autres fois ? S’agit-­il une nouvelle mission ? Je le saurai bien assez vite.

***

Une demi-­heure plus tard, je me retrouve avec

Kevin, Vincent et Marilou dans la fameuse salle des chaudières de l’école. Visiblement, si je pars en mission, ils seront avec moi. Je suis heureuse à l’idée d’être avec Kevin et Marilou, avec qui je m’entends à

merveille et avec qui j’ai déjà fait des missions. Cela dit, la perspective de travailler encore avec Vincent me sourit beaucoup moins. J’ai beau essayer de contrôler mes émotions, quand je le vois, j’ai encore beaucoup de mal à faire semblant de rien.

J’ai pourtant passé tout l’été à faire des exercices de méditation et de respiration que Vincent lui-même m’a enseignés l’an dernier, pour éviter d’être contrôlée par mes sentiments et de les manifester. Ça ne marche qu’à moitié. Je tente de me calmer, mais la vue et la proximité de Vincent font invariablement monter ma tension artérielle et le rouge me monte aux joues. J’ai encore de la difficulté à ne pas tenir compte des sentiments de Vincent envers moi. Et avec ma peau blanche de rouquine, ça n’aide pas beaucoup. Contrôle-­toi et pense à autre chose, Ariel.

Je dévie mon regard sur la salle où nous nous trouvons. Nous sommes entourés de machines, de tuyaux, de cadrans de toutes sortes et le bruit est plutôt assourdissant. De plus, il fait chaud comme dans une bouilloire. Mais pourquoi diable nous faire venir ici ?

Je sais pertinemment que poser la question à

Vincent ne servirait à rien ; il restera muet comme un coffre fermé à double tour. Comme d’habitude.

Au moment où ces pensées traversent mon esprit, monsieur Frost, notre directeur, entre dans la pièce.

— Bonjour à tous, dit­-il, sans expliquer le contexte bizarre de notre rencontre, comme si c’était normal d’avoir une réunion à côté de systèmes de chauffage géants.

Aussitôt, il se dirige vers l’une des immenses chaudières, au fond du local. À l’aide d’une clé, il ouvre une boîte métallique vissée au mur. Un lecteur biométrique est caché à l’intérieur de la boîte. Évidemment, j’aurais dû y songer.

Monsieur Frost appuie son pouce sur ce dernier pour en faire la lecture. Quelques secondes plus tard, une porte située derrière un gros chauffage est déverrouillée. Nous suivons monsieur Frost dans une nouvelle salle.

C’est alors que nous entrons dans une sorte de bunker en béton, équipé d’une salle de conférence, d’une grande table avec des chaises, d’écrans radars, de postes de télévision et d’appareils radio. Le tout semble presque dater de la Seconde Guerre mondiale.

C’est une véritable chambre secrète fortifiée…

— Eh… ça n’apparaît nulle part sur les plans que nous avons reçus de l’école l’an dernier, remarque

Marilou, qui connaît la structure du collège sur le bout de ses doigts.

— En effet, répond monsieur Frost. Nous gardons encore certains renseignements confidentiels, y compris pour nos élèves. C’est à la fois pour la protection de l’institution que de celle de nos jeunes. Pendant la Seconde Guerre, on craignait que le ministère de la Défense nationale puisse être attaqué, et on avait besoin d’un endroit où se réfugier et créer un second quartier général en cas d’assaut.

C’est pour cela que les souterrains ont été créés, mais nous avons d’autres atouts dans notre manche.

Cet endroit est à la fois protégé contre les bombardements, et imperméables aux ondes. En revanche, des antennes externes permettent à nos appareils de communiquer malgré tout avec l’extérieur. Tout ce qui est dit ici ne peut donc être écouté par des oreilles indiscrètes.

L’école craint­-elle davantage les invasions que l’an dernier ? Impossible à savoir, les explications s’arrêtent là. Visiblement, nous en savons assez à

son goût. Encore un mystère que je n’éluciderai qu’avec le temps. Monsieur Frost nous désigne alors d’un mouvement de la main la grande table ovale de la salle de conférence où nous nous installons.

4 Ministère chargé d’assurer la défense du territoire canadien.

Il est aussi responsable des Forces canadiennes, qui comprennent l’Armée canadienne.

— Comme d’habitude, dit-­il, je dois vous rappeler que ce qui est dit dans cette pièce ne doit en sortir sous aucun prétexte. Pas le moindre mot à vos camarades ni à vos familles. Il n’y a que moi, ainsi que monsieur Larochelle, à qui vous pourrez parler de cette mission. Pour tous les autres, y compris les enseignants et ma secrétaire, c’est top secret. Vos coéquipiers et professeurs seront informés que vous

êtes en mission, rien de plus. Si vous devez parler de ce travail entre vous, prenez les mesures de sécurité

habituelles. Vous vous isolez dans une pièce fermée et vous vous assurez que personne ne peut vous

écouter. Compris ?

Tout le monde acquiesce d’un seul mouvement de tête.

Monsieur Frost ouvre alors un grand dossier qu’il

étale sur la table pour nous en montrer le contenu.

Des photos de satellites et des feuilles de données techniques que je ne saisis pas vraiment apparaissent devant nous.

— Nous avons une nouvelle mission du SCRS, explique notre directeur.

Cette fois, nous aurons quelque chose de plutôt particulier à chercher.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est le principal service de renseignements du Canada. Il chapeaute les programmes de formation du collège.

Il nous montre alors les clichés d’un satellite fait en longueur, et muni de nombreuses soucoupes

équipées de panneaux solaires, flottant en orbite autour de la Terre.

— La NASA et l’armée américaine travaillent depuis plusieurs années avec le Canada sur le projet ultrasecret Y­38C. Il s’agit d’une centrale solaire en orbite, alimentée par des panneaux. De plus, un équipement nucléaire lui permet d’envoyer de l’énergie au sol, sous forme de puissantes émissions d’ondes électromagnétiques ou, si vous préférez, de micro-­ondes. Un tel faisceau concentré peut occasionner des dangers sérieux pour les autres satellites en orbites basses, les avions et même les volatiles évoluant dans l’atmosphère. Précision :

on parle ici d’un rayon maser. C’est exactement le même principe qu’un rayon laser, mais fonctionnant avec des micro­-ondes plutôt qu’avec de la lumière. De plus, il peut constituer une arme redoutable si le faisceau de micro-­ondes est dévié, volontairement ou non, sur une zone peuplée d’êtres vivants, humains ou autres. Cela demeure

également un excellent moyen d’expédier une généreuse quantité d’énergie sur un champ de bataille, par exemple, pour semer la pagaille dans le matériel électronique de l’ennemi ou même pour alimenter les troupes.

Je savais qu’on pouvait utiliser les micro-­ondes de manière dangereuse, voire létale, mais je ne soupçonnais pas que l’on pouvait faire cela à de telles distances. Si c’est bien le cas, il n’y a plus de limites à ce que l’on peut accomplir sur la planète. Les frontières géographiques viennent pratiquement d’être abolies et aussi bien dire qu’on pourrait attaquer n’importe qui, n’importe où, sans que les personnes au sol aient la moindre possibilité de se défendre ou de contre-­attaquer. À condition que le satellite ait la possibilité de viser adéquatement ses cibles, bien sûr. Mais avec la technologie d’aujourd’hui, je ne serais pas surprise que l’on parvienne à isoler de l’espace même une grange en Alaska au milieu d’un champ de patates arctiques. Or, sommes­-nous en sécurité dans notre propre collège ? Les bardeaux du toit sont faits d’un matériau spécial qui réagit aux écarts de température, de manière à être vert l’été et blanc l’hiver, ce qui rend les bâtiments quasi indétectables des satellites. Tout de même, ça ne me rassure qu’à moitié. Évidemment, l’école doit être répertoriée quelque part de manière officielle ; est-elle pour autant protégée contre ce genre d’attaque de l’espace ? Monsieur Frost poursuit :

— Comme vous vous en doutez, il s’agit là d’une arme très puissante qui ne devrait pas tomber entre n’importe quelles mains. Un prototype de format plus petit que la version finale a été envoyé et mis en service il y a quelques mois pour effectuer des tests dans l’espace. Son existence était parfaitement confidentielle… jusqu’à tout récemment.

Nous y voilà. Je me doutais bien que cette longue mise en contexte allait nous mener vers quelque chose de plus croustillant.

— Il y a six mois, les Nord­-Coréens ont lancé, dans le plus grand secret, des satellites dans l’espace.

Cependant, leur objectif n’était pas d’imiter ou de concurrencer le projet Y­38C. Selon quelques sources secrètes mais officielles des services diploma- tiques et militaires, un communiqué précise que ces satellites sont utilisés pour l’observation des débris spatiaux et la réalisation d’expériences scientifiques dans les techniques d’entretien de l’espace.  C’est que parmi ces appareils, l’un d’eux serait muni de bras mécaniques et sa mission serait supposément de collecter des débris spatiaux. Or, peu de temps après que ces satellites nord­-coréens ont été repérés par les Américains à proximité du satellite ultrasecret Y­38C, ce dernier a justement disparu des écrans radars !

— Quoi ? On l’a dérobé directement dans l’atmosphère

! ? s’exclame Kevin.

J’admets que c’est assez hallucinant. Comment un tel appareil peut-­il disparaître comme ça ?

— Il est presque certain que le Y­38C a été

pris par l’un des appareils équipés des bras mécaniques appartenant aux Nord­-Coréens, répond monsieur Frost. Pour eux, ce serait un jeu d’enfant de procéder de la sorte, en téléguidant leur propre satellite.

Les services de renseignements américains ont pu retracer le signal du satellite de manière intermittente, ce qui indique qu’il n’a pas été détruit, mais ils ont perdu sa trace en basse altitude. La dernière fois qu’ils ont eu une position, il semblerait que l’engin n’était plus dans l’atmosphère et se déplaçait à basse vitesse, ce qui laisse croire qu’il était au sol et probablement transporté dans un véhicule comme un camion.

— Dans quel but ? demande Marilou.

— Le Comité coréen de la technologie spatiale a lancé plusieurs satellites depuis 2009, répond

Vincent. Cela dans un but, selon ce Comité, « de construction économique et d’amélioration du niveau de vie de la population ». Mais le Conseil de sécurité des Nations Unies considère ces tirs comme une menace directe pour les États-­Unis. Ils ont dénoncé un acte « hautement provocateur » en infraction avec les résolutions de l’ONU qui leur interdisent toute activité nucléaire ou balistique. Le vol d’un satellite serait la suite logique des activités déjà entreprises jusqu’à présent.

Incroyable, tout de même. Ils ont du culot, ces

Nord-­Coréens. Voler un appareil de la sorte, c’est un sacré coup de maître. Et que vont-­ils faire avec

ça ? Sûrement pas compter les pâquerettes poussant au bord du fleuve Saint-­Laurent.

— Que doit-­on faire, maintenant ? demande

Marilou, déjà impatiente de connaître les détails de l’enquête.

— Eh bien, nous avons réussi à repérer de manière presque certaine l’emplacement du satellite ;

il serait maintenant au Canada, plus précisément à

Montréal.

À Montréal ? Voilà qui est étonnant. De tous les endroits où les Nord-­Coréens auraient pu aller, pourquoi cette ville ? Quoique… Montréal est une plaque tournante pour le transport maritime, bien que le port ne soit plus ce qu’il était il y a plusieurs décennies. Et pourquoi pas utiliser un aéroport presque désaffecté tel que Mirabel pour faire transiter le tout à l’étranger sans soupçon ?

Finalement, Montréal n’est peut-­être pas un si mauvais choix.

— Selon nos sources, il est à peu près certain que le satellite serait caché dans un centre commercial de l’Ouest-­de-­l’Île. Dans un magasin d’électronique,

La Source du futur, plus précisément.

Quoi ? En voilà, une drôle d’idée !

— Mais pourquoi dissimuler un satellite dans un magasin d’électronique ? dis-­je. Ce n’est pas un endroit sécurisé, ni même discret. Il y a beaucoup de monde qui y circule : le personnel, les clients. Ça en fait un lieu à risques pour dissimuler un objet, surtout de cette taille-­là. Pourquoi ne pas avoir opté

pour un entrepôt isolé sous haute surveillance ?

C’est un choix bizarre.

— Au contraire, cela est plutôt ingénieux, rétorque

Vincent.

Marilou, Kevin et moi­-même le regardons,

étonnés.

— Tout d’abord, qui penserait à chercher là ? dit-il.

Un endroit presque public et rempli d’employés paraît hors de tout soupçon. Ensuite, ce genre de magasin possède de grands entrepôts remplis de boîtes, de cartons et de matériel électronique divers.

Parfait pour dissimuler un satellite, surtout que notre prototype, avec neuf mètres de longueur sur quatre mètres et demi de largeur et une masse totale de cinq tonnes et demie, est de petite taille – pour un tel engin, du moins. De plus, notre ou nos responsables ont de bonnes chances d’être des pros de l’électronique. Être employé dans un tel commerce est la couverture parfaite pour éviter d’être repéré.

Encore une fois, Vincent fait preuve d’un jugement sans faille. Comment fait­-il pour établir des liens aussi rapidement. Peut­-être connaissait-­il déjà tous les détails de l’affaire ?

— Bref, conclut notre directeur, mademoiselle

Laforce, monsieur Swann, mademoiselle Dubois et monsieur Larochelle, vous allez être engagés par le magasin La Source du futur, afin de mener l’enquête, trouver notre agent et mettre la main sur ce satellite Y­38C. Ça tombe bien, le début de l’année scolaire est synonyme de changement de personnel et il y a alors des embauches massives. Nous devrions pouvoir vous faire engager sans avoir besoin de complices sur place. Les noms de codes pour désigner l’agent et le satellite seront « le technicien » et

« le four à micro-­ondes ». Nous allons vous faire parvenir les dossiers des suspects sous peu et mettre les choses en œuvre pour que vous fassiez la navette entre Gatineau et Montréal afin de continuer vos cours le plus normalement possible. Vous aurez vos horaires de travail et vos uniformes bientôt.

Et un satellite à aller chercher dans un magasin d’électronique ! En attendant, je vais devoir vendre des haut-­parleurs et des imprimantes, on dirait.

Ce n’est pas très excitant comme couverture, mais pour avoir l’honneur de chercher le prototype d’une arme dangereuse, c’est un petit prix à payer.

Dommage que Guillaume ne soit pas de la partie, cette fois.

En tout cas, des gens parvenant à dérober un tel engin dans l’atmosphère et à le dissimuler ne sont pas des amateurs. Néanmoins, j’ai confiance. Mes coéquipiers sont super talentueux, je les ai vus à

l’œuvre dans mes missions précédentes. Je suis sûre qu’on va y arriver, même si la tâche n’est pas simple.

Surtout avec Kevin Swann, un gringalet mais geek fini et surdoué qui parviendrait à décrypter le dernier code secret de la CIA tout en prenant son petit-­déjeuner. Et puis, ça doit quand même être facile à dénicher, un satellite, non ?

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