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Tu m'as dit que j'étais ton frère : tu ne sais pas à quel point c'est vrai. Je suis sans cesse relié à toi.
Afficher en entierDans le doute, il a toujours été plus dangereux d'admirer un artiste que d'avoir des réserves à son sujet. Ce n'est pas seulement une question de courage : il faut en soi beaucoup de courage pour être capable d'estimer une créateur, a fortiori pour déterminer sans « l'aide » de quiconque s'il est estimable. Or la plupart des gens ne contiennent pas ou peu de substance. C'est pourquoi il a tant de comtempteurs et si peu d'interlocuteurs.
Afficher en entierIl me posa une question que je n'entendis pas, tout à mes ruminations furibondes et à ce postulat d'injustice absolue contre lequel il est impossible de lutter. Un silence inquisiteur me signifia qu'on attendait ma réponse. Je pris la parole au hasard, laissant couler de ma bouche, comme de la bave, les premiers mots qui me vinrent à l'esprit :
— C'est de la pornographie. La pornographie a ceci d'excellent qu'elle est une explication globale de notre époque. Qu'est-ce que la pornographie ? C'est une réponse à l'anorexie généralisée que nous sommes en train de vivre. Nous n'avons plus faim de rien et nous n'avons pas tort, car on voit mal de quoi nous pourrions avoir envie. Nos yeux et nos oreilles sont encore plus gavés que nos estomacs. La pornographie, c'est ce qui survient à susciter un simulacre de désir chez ceux qui ont eu trop de tout. C'est pourquoi, aujourd'hui, l'art dominant est pornographique : il est le seul qui parvient à attirer l'attention, en suscitant un faux appétit. Et nous, comment allons-nous réagir à cela ? Moi, j'ai choisi une forme d'ascèse, à savoir la frigidité avouée. Je n'ai envie de rien parce que je ne ressens rien. Car le public a une responsabilité dans cette pornographie : s'il n'avait pas tant simulé l'orgasme, les artistes ne continueraient pas à faire semblant de croire que ça leur plaît.
Au terme de mon laïus, je me rendis compte qu'Ethel et Xavier me regardaient avec la plus profonde perplexité. Je soupçonnai que ma réponse n'avait pas convenu à la question qui m'avait été posée. Ennuyé, je misai sur la rapidité, le happening : je pris congé brusquement et je sortis en entraînant ma bien-aimée.
— Qu'est-ce qui t'as pris de te lancer dans une discussion philosophique sur la pornographie ?
— Qu'elle question m'avait-il posée ?
— Il nous proposait d'aller manger des huîtres avec lui au restaurant.
Afficher en entier— [...] On choisit de jolies filles et on les porte au pinacle. A la base, je n'ai rien contre ça : ça s'est fait à toute les époques. Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas d'honorer la beauté ni même de procurer aux foules un spectacle agréable. Il s'agit de nous fracasser le crâne avec des menaces : « Vous avez intérêt à trouver ça à votre goût. Sinon, taisez-vous ! » Le beau, qui devrait servir à faire communier les hommes dans l'admiration, sert à exclure. Face à un tel totalitarisme, au lieu de se révolter, les gens sont obéissants et enthousiastes. Ils applaudissent, ils en redemandent. Moi, j'appelle ça du masochisme.
Afficher en entierIl y avait là un mystère : les gens n'aimaient pas manger et cependant ils mangeaient. Pourquoi ? Par faim ? Dans nos sociétés surnourries, personne n'a faim. Alors pourquoi ? Personne ne les y forçait. J'en arrivai à cette conclusion : les gens bouffaient par masochisme.
Afficher en entierJe crois que c'est mon côté Eugénie Grandet : mes illusions sont pour moi tout l'or du monde. Chacun se crée ce dont il manque : ma hideur avait besoin d'un idéal en béton armé pour être supportable. Je me suis inventé une vision du sexe qui me le rend inaccessible : c'est le Graal.
Afficher en entierIl y eut un temps où être puceau à vingt-neuf ans constituait un acte de foi. Aujourd'hui, personne ne pourrait y voir autre chose qu'une pathologie inavouable à due à de sérieux troubles de la personnalité.
Afficher en entier— Toi seule peux me soigner. Tues à la fois la cause et le remède. J'ai besoin de toi comme le désert à besoin d'eau. Quand il pleut sur le Sahara, le sol se recouvre aussitôt d'un tapis de fleurs ravissantes. Pleus sur moi et tu me verras fleurir. J'ai créé pour toi cet impératif qui n'existe pas. Pleus ! Pleus sur moi, Ethel !
— Pauvre Epiphane, tu ne sais pas ce que tu dis. A propos de pluie, tu n'en as aucun besoin. Tu es trempé. Ton lit est comme une soupière. Et rien qu'à l'odeur, on devine combien tu es malade.
— Je pue ?
— C'est le moins qu'on puisse dire.
Ça m'a coupé la chique. On ne peut pas faire une déclaration d'amour quand on pue. Je me suis donc cantonné dans des délires plus classiques : j'ai expliqué à ma bien-aimée que j'étais un cône qui essayait de se transformer en cylindre, que le tram me roulait dessus, que le carré de mon hypoténuse était égal à la somme carré de mes angles droits, que j'étais un dromadaire et que sous le pont Mirabeau coule la Seine, comme l'avait remarqué un poète observateur.
Afficher en entierQuelque part, une fée était agenouillée à côté de moi et me caressait la main : c'était ce que j'avais ressenti au premier jour de ma passion. La bien-aimée par excellence, n'était-ce pas cet ange qui venait se pencher au-dessus de vous et vous susurrer d'impérieuses douceurs ?
Afficher en entierLa fièvre a toujours revêtu pour moi un caractère sacré : on y retrouve les caractéristiques de la transe mystique - ébullition intérieure, visions, torpeur, anorexie, discours incohérents.
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