Ajouter un extrait
Liste des extraits
À l’horizon du sud s’étendait le haut pays de Storrvan. Depuis le pied des murailles la forêt s’étendait en demi-cercle jusqu’aux limites extrêmes de la vue ; c’était une forêt triste et sauvage, un bois dormant, dont la tranquillité absolue étreignait l’âme avec violence. Elle enserrait le château comme les anneaux d’un serpent pesamment immobile, dont la peau marbrée eût été alors assez bien figurée par les taches sombres des nuages, qui couraient sur sa surface ridée. Ces nuages du ciel, blancs et plats, paraissaient planer au-dessus du gouffre vert à une énorme hauteur. À regarder cette mer verte on ressentait un obscur malaise. Il semblait bizarrement à Albert que cette forêt dût être animée et que, semblable à une forêt de conte ou de rêve, elle n’eût pas dit son premier mot. Vers l’ouest de hautes barres rocheuses, envahies jusqu’au sommet par les arbres, s’alignaient parallèlement ; une rivière coulait à pleins bords dans ces vallées profondes ; la risée qui courait alors hérissait sa surface comme celle d’une peau transie de froid et, tout à coup, des milliers de facettes brillantes réfléchirent le soleil aveuglant avec un éclat curieusement immobile. Mais les arbres restèrent muets et menaçants jusqu’aux hauteurs bleuâtres de l’horizon.
Afficher en entierEt le salon entier avec la fin du jour s’emplissait de l’ombre des branches, de leur foisonnement ténébreux, et plongeait avec eux au cœur de la forêt dans un silence qui ne les défendait plus de son étreinte envahissante, et les taches jaunes et brillantes du soleil glissant au travers des vitraux sur les murs paraissaient à l’œil envouté indiquer non plus l’heure à chaque instant plus avancée du jour, mais au contraire à la façon d’un niveau minutieux les oscillations bouleversantes de l’entière masse du château engagé comme un navire en détresse au travers des houles puissantes de la forêt.
Afficher en entierLa lune baignait tout le paysage avec une capiteuse douceur. La nuit dispensait ses trésors. Dans le ciel chaque étoile avait pris sa place avec la même exactitude que dans une carte sidérale et présentait une image tellement probante de la nuit telle qu’on la connaissait de toujours et qu’on pouvait à bon droit l’attendre, que le cœur était touché devant cette scrupuleuse, naïve et presque enfantine reconstitution comme devant l’acte d’une bonté insondable. La nuit dispensait ses trésors.
Afficher en entierQuant aux machines de guerre qui dans ce récit sont mises en œuvre ça et là, destinées à faire mouvoir les ressorts toujours malaisément maniables de la terreur, un soin particulier a été apporté à ce qu’elles ne fussent, et surtout ne parussent pas inédites, et pussent par conséquent jouer du plus loin possible le rôle d’un signal avertisseur. Le répertoire toujours prenant des châteaux branlants, des sons, des lumières, des spectres dans la nuit et des rêves, nous enchantant surtout par sa complète familiarité, et donnant au sentiment du malaise sa virulence indispensable en prévenant d’avance que l’on va trembler, na pas semblé pouvoir être laissé de côté sans que fût commise une faute de goût des plus grossières. De même que les stratagèmes de guerre ne se renouvellent qu’en se copiant les uns les autres, et nous font éprouver ce sentiment tout à la fois d’étourdissement créateur, de gloire et de mélancolie qui nous saisit à la pensée que la bataille de Friedland c’est Cannes et que Rossbach répète Leuctres, il semble décidément ratifié que l’écrivain ne puisse vaincre que sous ces signes consacrés, mais indéfiniment multipliables. Puissent ici être mobilisées les puissantes merveilles des Mystères d’Udolphe, du château d’Otrante, et de la maison Usher pour communiquer à ces faibles syllabes un peu de la force d’envoûtement qu’ont gardée leurs chaînes, leurs fantômes, et leurs cercueils : l’auteur ne fera que leur rendre un hommage à dessein explicite pour l’enchantement qu’elles ont toujours inépuisablement versé sur lui. (Avis au lecteur)
Afficher en entier