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Extrait ajouté par siegrid 2010-08-30T09:59:42+02:00

1

Lee's Ferry

Mile 0

À Lee's Ferry, la veille du départ, JT s'assit sur le boudin latéral de son raft, ouvrit une canette de bière, et tenta de se souvenir du nombre exact de fois où il s'était retourné dans Hermit.

Au cœur de Inner Gorge, à quatre-vingt-quinze miles en aval de Lee's Ferry, le Colorado heurtait l'éboulis de Hermit Creek pour créer l'une des plus longues séries de montagnes russes du canyon. Une vague après l'autre, on était charrié de creux en crête, dans une folie d'écume. La cinquième vague, en particulier, avait tendance à s'incurver, ce qui pouvait facilement faire chavirer une embarcation. Le but de JT était toujours de foncer droit à travers les rapides, pour offrir à ses passagers le frisson attendu, mais sans courir de risques inutiles. Le problème, c'est que parfois, le raft prenait un peu trop de vitesse, et que JT attaquait cette cinquième vague avec peut-être un peu trop de poids à l'arrière. Soudain, le raft décollait, restait suspendu dans les airs au milieu des rapides grondants, et JT pesait de tout son poids sur les pagaies alors même qu'il sentait que le retournement se produisait : happée par les tourbillons écumeux, l'embarcation était aspirée par le fond avant d'émerger de nouveau à la lumière. Et lui était toujours désorienté, jusqu'au moment où il repérait le dessous blanc du raft, en général tout près de lui. Il en avait été ainsi bon nombre de fois dans sa vie de guide, et même si ce n'était pas une expérience positive pour tout le monde, l'expression des autres passagers quand il les hissait sur le ventre retourné du raft en valait la peine — choc, adrénaline, joie, peur, joie, excitation, ou encore joie. Parce que, en général, c'était de la joie, l'exultation pure d'avoir survécu à un plongeon dans un des fleuves les plus puissants de l'hémisphère Nord.

JT compta les fois où il avait chaviré. Cinq en tout, si sa mémoire était bonne.

Il vida sa bière d'un trait et jeta la canette vide sur une bâche déployée sur la plage, puis plongea la main dans le filet accroché à l'extérieur du raft pour en prendre une autre. Le soleil était encore haut dans le ciel, l'eau vert foncé cruellement froide si on y laissait le pied plus de quelques secondes. De l'autre côté du fleuve, vers l'est, s'élevaient des collines brunes où poussaient ici et là des pins pignons, des buissons de sauge et des genévriers ; en aval, des falaises saumon clair marquaient l'entrée de Marble Canyon.

En tant que guide-chef de ce raid, JT devait prendre toutes les décisions importantes du quotidien : où s'arrêter déjeuner, quelles randonnées faire, décréter ou non une journée de repos. Si l'un des participants se révélait difficile, JT devait le remettre à sa place ; si quelqu'un était blessé, JT décidait ou non d'évacuer. Deux descentes par saison à ce poste lui suffisaient amplement ; car si on gagnait un peu plus, on ne dormait jamais vraiment.

Là-haut sur la plage, Dixie et Abo, ses adjoints, fourraient une par une des tentes dans un gros sac en caoutchouc. JT avait faim, il était fatigué, et il rêva brièvement qu'ils lui préparaient un bon dîner. Après une longue matinée passée à charger le camion au dépôt de Flagstaff, il leur avait fallu trois heures de route pour gagner Lee's Ferry, et ils avaient consacré tout l'après-midi à préparer leurs rafts sous le soleil brûlant du désert. Cette plage, le seul endroit de mise à l'eau sur le fleuve, était encombrée de gens et d'embarcations : deux gros rafts motorisés, environ une douzaine de solides rafts de six mètres, et une flottille de kayaks de couleurs vives. Et une telle quantité de matériel — caissons cabossés, sacs étanches, gourdes, rames, pagaies, gilets de sauvetage — qu'on aurait dit une brocante pour amateurs de sports en eau vive. Pourtant, malgré le chaos, tout le monde semblait savoir qui possédait quoi et pour quoi faire et JT savait qu'avant dix heures le lendemain matin, chaque chose serait rangée à la place qui lui revenait sur chacun des bateaux.

Haut dans le ciel, un urubu à tête rouge décrivait des cercles lents, ses ailes à bout blanc largement déployées. Les occupants du raft motorisé avaient installé des pliants et ouvert des parasols mais personne n'était assis ; il y avait trop à faire, même si l'on s'affairait une bière à la main. Sur la plage, Abo, le barreur, réparait un livre à l'aide de rouleau adhésif, tandis que Dixie, qui ramerait dans le troisième raft, préparait leur pique-nique du jour. Elle portait un maillot de bain jaune et un sarong bleu noué autour de ses hanches ; des tresses mouillées rebiquaient sur ses épaules.

— Comment ça se fait qu'il n'y ait que cinq sandwiches ?

— Quatre pour moi, un à partager entre vous deux, répondit Abo.

— Très drôle, Abo. L'un de nous va rester sur sa faim, observa Dixie, et ça ne sera pas moi.

JT sourit par-devers lui. Il était content d'avoir ces deux-là dans son équipe. Abo, sur qui on pouvait toujours compter pour détendre l'atmosphère, avait trente-cinq ans. Grand, dégingandé, il avait des cheveux châtains aux pointes décolorées et des yeux d'un bleu limpide. Personne ne connaissait son vrai nom. Issu d'une famille d'agriculteurs du Midwest, il était venu à l'université de l'Arizona étudier la géologie. Au terme d'une descente du fleuve, il n'avait jamais repris ses études. L'hiver, il construisait des maisons et se dégotait de petits boulots dans les stations de ski du coin. D'après la rumeur, il avait eu un fils avec une productrice de cinéma californienne rencontrée lors d'un raid. Aux yeux de JT, c'était un bon guide ; non seulement il savait faire rire leurs clients, mais en tant que géologue amateur, il connaissait mieux que personne les couches rocheuses du canyon.

Dixie, dont le nom complet était Dixie Ann Gillis, avait vingt-sept ans. C'était une nouvelle recrue, et JT n'avait fait qu'un seul autre raid avec elle, mais il avait été impressionné en la voyant porter secours à un descendeur en difficulté dans le Rock Garden, au-dessous de Crystal Rapid. Elle avait des idées bien arrêtées sur pas mal de choses, et cela plaisait à JT. Si on l'avait pris par surprise, il aurait peut-être admis qu'il était à moitié amoureux de Dixie, mais elle avait un petit ami à Tucson dont elle gardait la photo scotchée à l'intérieur de sa caisse d'effets personnels, et JT n'était pas homme à gâcher le bonheur d'un autre. D'ailleurs, au bout de cent vingt-cinq descentes, JT savait comment les choses se passaient, et qu'on pouvait tomber amoureux en un clin d'œil — littéralement — avant même d'être sorti de Marble Canyon. Un guide passait sa vie à tomber amoureux, il le savait ; il avait connu sa part d'aventures ; mais s'il y avait une chose qu'il comprenait à présent, c'était qu'il valait mieux prendre du recul et ne pas attacher trop d'importance aux choses, descente après descente après descente.

JT ouvrit le caisson à ses pieds, sortit la liste de passagers et parcourut les noms et les notes qui leur étaient associés. Il aurait dû y en avoir quatorze pour ce raid, mais un couple avait annulé à la dernière minute, ce qui signifiait qu'il allait devoir jongler avec les placements pour équilibrer les rafts. Il y avait deux végétariens, trois personnes qui ne consommaient pas de produits laitiers, et une qui « adorait la viande rouge ». La plupart n'avaient aucune expérience du rafting, ce qui n'était pas surprenant, mais un participant ne savait pas nager, ce qui l'était. Et la présence de deux gamins le réjouit ; ces derniers avaient généralement un humour un peu dingue, absent chez les adultes, qui souffraient souvent d'un respect excessif pour les merveilles de la nature. Il se promit d'assigner une tâche aux garçons — celle d'écraser les canettes, peut-être —, de sorte qu'ils puissent se sentir utiles et indépendants de leurs parents.

Il continua à lire la liste. Y figurait un couple du Wyoming, Mitchell et Lena ; Lena, remarqua-t-il, était allergique aux cacahuètes, aux animaux à poil, à l'herbe et au pollen. Eh bien, il fallait espérer qu'elle emporterait un stock de Benadryl et un Epipen ou deux. Il y avait une mère et sa fille, Susan et Amy. Celui qui ne savait pas nager était un jeune homme de l'Ohio, Peter, vingt-sept ans, qui voyageait en solo.

JT nota son âge et jeta machinalement un coup d'œil à Dixie, qui renouait son sarong. N'y pense même pas, s'entendit-il dire à Peter. N'essaie même pas.

Ce soir-là, alors que le ciel commençait à s'assombrir, tous les descendeurs se réunirent et firent circuler une bouteille de whisky, partageant de vieilles anecdotes, en inventant de nouvelles, racontant des blagues. Vers vingt et une heures trente, JT, qui avait refusé la deuxième tournée de whisky, regagna son raft. Il se brossa les dents, puis déroula son sac de couchage sur la longue glacière à viande qui occupait le centre de l'embarcation.

La nuit était tombée, mais les parois du canyon continuaient à irradier la chaleur de la journée. JT mit sa lampe frontale, s'assit et s'essuya les pieds, méthodiquement, avec soin. Il les massa avec du baume à la cire d'abeille puis enfila une paire de chaussettes propres afin d'empêcher la peau de se craqueler. Enfin, il s'allongea sur le sac de couchage. Les bras repliés sous la tête, il contempla les étoiles éparpillées au-dessus de lui. Une brise chaude lui caressait la peau. Il reconnut la Grande Ourse, et Cassiopée.

Sur la plage, un éclat de rire jaillit parmi les fêtards, mais ses yeux avaient commencé à se fermer et sa vue à se brouiller. Il lutta en vain pour les garder ouverts afin d'admirer encore un peu le spectacle étoilé. Quelques minutes plus tard, il dormait profondément.

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