Ajouter un extrait
Liste des extraits
C'est vrai, je suis devenu égoïste, c'est vrai je peux voir un mourant et passer près de lui sans m'arrêter. Parce que j'ai compris que pour le venger il me faut vivre, à tout prix. Et pour vivre, il faut que j'apprenne à ne pas m'arrêter, que je sache le regarder mourir.
Mon égoïsme c'est ce qu'ils m'ont laissé comme arme, je m'en suis saisi, contre eux. Au nom de tous les miens.
Afficher en entierC'est Treblinka.
Ici, commence un autre temps.
Ici, il me faudrait une autre voix, d'autres mots. Ici, il faudrait que chaque lettre d'un mot dise toute la beauté d'une vie, de milliers de vie qui vont disparaître. Il faudrait que je dise le regard de ma mère, et les doigts de mes frères qui s'accrochent à moi et les cheveux de Rivka que j'aperçois loin déjà dans une colonne de femmes et d'enfants qui se forme sous les coups : là-bas est ma mère et sont mes frères et Rivka. Adieu les miens.
Ici commence un autre temps. De Treblinka je ne sais que ce nom mais je sais que les miens vont y mourir.
Afficher en entierIl faut rester debout.
Afficher en entierNos vies avaient la résistance de la pierre et nos pierres l'éternité de la vie.
Afficher en entierJe ne sais pas si je dois me dire croyant.
Je ne puis dire : je crois en Dieu.
Je ne puis dire non plus : je crois…
Ce que je sais seulement,
C’est que la mort ne détruit pas l’amour que l’on portait à ceux qui ne sont plus.
Je le sais, parce que tous les jours je vis avec les miens…
Afficher en entierMon brassard était dans la poche, le tramway filait vers l'ouest de Varsovie; bien sûr, j'étais en danger de mort mais j'étais libre parce que j'avais violé leurs règlements. S'ils me tuaient ils me tueraient libre et cela changeait tout.
Afficher en entierLe 2 octobre la veille de l’incendie, ils couraient vers moi lançant leur cartable par-dessus leur tête........
J'ai pris une photo ce jour-là. Elle est là, devant moi .Le lendemain, il n'y avait plus rien de ma vie : ma femme et mes enfants étaient morts ; au- dessus du Tanneron s'effilochait une fumée noire. Je n'avais pas vu de flammes si hautes depuis le temps où brûlait le ghetto de Varsovie.
Alors aussi j'étais resté seul: de ma vie, alors aussi, il n'y avait plus rien, que moi vivant.
J'étais sorti des champs de ruines, j’étais sorti des égouts, j'étais sorti de Treblinka et tous les miens avaient disparus .Mais j'avais vingt ans, une arme au poing, les forêts de Pologne étaient profondes et ma haine comme un ressort me poussait jour après jour à vivre pour tuer.
Puis pour moi, après la solitude, semblait venu le temps de la paix: ma femme, mes enfants.
Afficher en entierCe n'étaient que des bêtes. Mais quand un soldat a versé de l'essence sur l'autobus, quand le feu bleu et jaune a jailli, que les hommes se sont mis à hurler poussant contre les tôles, que les soldats brusquement silencieux regardaient ces hommes mourir, j'ai bondi, je me suis mis à gesticuler, secouant les uns après les autres ces jeunes Russes fascinés, sentant qu'ils étaient en train d'être contaminés eux aussi par la guerre, qu'ils allaient devenir des bêtes aux visages d'homme comme ces SS.
Afficher en entierNous ne vivions qu'avec des morts et des tueurs. Et pourtant je voulais vivre. Dans la baraque elle aussi entourée de fils de fer barbelés, prison dans un camp entouré d'un camp, les suicides se succédaient et chaque soir j'essayais de les empêcher. Car j'avais vu les fosses, les corps entassés et je savais que nous étions devenus des témoins. Ma voix serait forte de ces milliers de voix étouffées par le gaz et le sable jaune; ma vengeance serait celle de ces corps que les prisonniers rangeait au fond des fosses, côte à côte.
Afficher en entierJ'ai compris qu'il est des hommes, peut être la plupart des hommes, pour qui il n'est pire tourment que la vérité.
Afficher en entier