Ajouter un extrait
Liste des extraits
Albert notait scrupuleusement le nombre d’injections et les quantités sur un papier avec les jours, les heures, les doses pour aider Édouard à maîtriser sa consommation et il lui faisait la morale à sa manière, ce qui n’avait pas beaucoup d’effet. Mais, du moins, à ce moment-là, Édouard allait mieux. Il pleurait moins, même s’il ne dessinait plus malgré tous les carnets et les crayons qu’Albert lui avait apportés. On aurait dit qu’il passait tout son temps allongé sur le divan de récupération à bayer aux corneilles. Après quoi, à la fin de septembre, le stock s’était trouvé épuisé et Édouard aucunement sevré. En juin, il était à 60 mg par jour et à 90, trois mois plus tard. Albert n’en voyait pas le bout. Édouard vivait toujours reclus, s’exprimait peu. Albert, lui, ne cessait de courir après l’argent de la morphine que pour courir après celui du loyer, des repas, du charbon ; les vêtements, c’était hors de question, beaucoup trop cher. L’argent fondait à une vitesse vertigineuse
Afficher en entierAlbert s'est engagé dans une guerre stendhalienne et il s'est retrouvé dans une tuerie prosaïque et barbare qui a provoqué mille morts par jour pendant cinquante mois. [soit 1,5 millions].
p. 29, Livre de poche.
Ps :
"Les pertes humaines de la Première Guerre mondiale s'élèvent à environ 18,6 millions de morts. Ce nombre inclut 9,7 millions de morts pour les militaires et 8,9 millions pour les civils. - Pour la France, 1,4 M de soldats morts." (Source Wikipedia).
Afficher en entierAlbert connaissait le mot "neurasthénie", il se renseigna, posa des questions ici et là, recueillit encore "mélancolie", "dépression", "lypémanie", tout cela ne lui fut pas d'une grande utilité, l'essentiel était sous ses yeux : Édouard attendait la mort et, quel que soit le temps qu'elle mettrait pour venir, c'était la seule issue possible, moins qu'un changement, la simple transition d'un état à un autre, acceptée avec une patience résignée, comme ces vieillards silencieux et impotents qu'on finit par ne plus voir et qui ne surprennent plus que le jour où ils meurent.
Afficher en entierAlbert le voyait bien, M. Péricourt avait une manière de vous transpercer du regard, de conserver sa main dans la vôtre une fraction de seconde supplémentaire, et même de sourire... Rien d'habituel dans tout cela, il devait être en acier, une assurance hors du commun, c'est parmi ces êtres-là que se recrutaient les responsables du monde, par eux que venaient les guerres. Albert prit peur, il ne voyait pas comment il parviendrait à mentir à un homme pareil.
Afficher en entierPerdre, c'est être humain.
Afficher en entierC'est ainsi dans les vieux couples, on se dit des choses par habitude sans se rendre compte de la portée qu'elles auraient si on les écoutait vraiment.
Afficher en entierElle arriva derrière lui, il ne la sentit pas venir, juste sa main, là, froide encore, dans son caleçon, parfaitement ciblée, flatteuse, langoureuse, insistante, et sa tête collée contre son dos, Madeleine disant, d'un ton enamouré, délicieusement crapuleux :
- Chéri, tu exagères ! Le maréchal Foch, quand même...
Afficher en entierLes pleurs reviennent.
Je pleure des larmes sèches, se dit-il, je suis un homme sec. Il aurait voulu disparaître, lui aussi. Pour la première fois de sa vie, il préférait quelqu'un d'autre à lui-même.
Afficher en entierOn aurait dit qu'il laissait filer l'existence comme le sang d'une blessure.
Afficher en entier...et, soudain, il venait, avec une incroyable exactitude, de retrouver, intact, le regard d'Edouard dans celui de son père.
Afficher en entier