Toutes les séries de Henri Michaux
Présentation de l'éditeur
Ce volume contient : Connaissance par les gouffres. Vents et poussières. Images du monde visionnaire [Carnet de la drogue]. L'espace du dedans (Table de 1966). Les grandes épreuves de l'esprit. Parcours - Façons d'endormi, façons d'éveillé. Emergence-résurgence. En rêvant à partir de peintures énigmatiques. Moments - par la voie des rythmes. Idéogrammes en Chine. Face à ce qui se dérobe. Choix de poèmes (Table) - Saisir. Une voie pour l'insubordination. Poteaux d'angle - affrontements. Comme un ensablement... Chemins cherchés, chemins perdus, transgression. Par des traits - Fille de la montagne. Déplacements, dégagements. Critiques, hommages, déclarations (1960-1984) Textes restés inédits du vivant de Michaux. Entretien avec Robert Bréchon. Textes épars - En marge des recueils (textes écartés).
Tous les livres de Henri Michaux
Publié en 1956 aux éditions du Rocher, Misérable Miracle, sous-titré « La Mescaline », est le premier d'une série d'ouvrages d'Henri Michaux (1899-1984) consacrés aux drogues. Suivront L'Infini turbulent (1957), Connaissances par les gouffres (1961) et Les Grandes Épreuves de l'esprit (1966). Le texte fera l'objet, en 1972, chez Gallimard, d'une nouvelle édition « revue et corrigée », c'est-à-dire pour l'essentiel complétée d'addenda qui constituent à la fois un bilan et un congé donné à l'expérience commencée dans les années 1950. Si les livres sur la drogue occupent, on le voit, une place bien circonscrite dans l'œuvre de l'écrivain, celui-ci avait déjà, à plusieurs reprises, évoqué ou abordé le thème dans ses premières œuvres (allusion à l'éther et à l'opium dans Ecuador en 1929, au haschisch dans La nuit remue, en 1935). Il y reviendra, de loin en loin, jusqu'à la fin de sa vie (« Le Jardin exalté », en 1983). On ne peut donc […]
Michaux a fait de manière assez systématique des expériences de création après avoir absorbé de la mescaline. Ces textes et ces dessins sont le résultat de ces expériences minutieusement relatées. Figure aussi dans ce recueil un appendice rajouté en 1964 par l'auteur sur l'érotisme en rapport avec les drogues hallucinogènes.
Michaux se comporte en véritable ethnographe qui étudie les us et coutumes de peuples plus bizarres les uns que les autres. Ce n’est pas un voyage vers un ailleurs idyllique. Bien au contraire, Michaux se complaît à décrire la cruauté des êtres : description de combats, mise en quarantaine des gens qui se mouchent, élevage d’humains dans des pots….
Plume est un recueil poétique, publié en 1938 par Henri Michaux (bien que la première version ait été écrite en 1930). Il s'agit d'une œuvre originale, composée de treize chapitres se présentant comme des récits très courts (quelques pages au plus), mettant tous en scène le personnage de Plume dans des « aventures » parfois cocasses ou rocambolesques, parfois surréalistes.
Le nom de Plume fait référence à la légèreté du personnage, un personnage sans épaisseur ni volonté affirmée, qui se laisse la plupart du temps porter par les événements.
Plume était l'œuvre préférée de Michaux lui-même.
I. Un homme paisible On vole la maison de Plume, un train tue sa femme, et il est condamné à mort car il se rendort à chaque fois indifférent.
II. Plume au restaurant Il commande une côtelette, ce qui n'est pas sur la carte. Un serveur s'en rend compte, le chef intervient, la police, les pompiers. C'est un scandale et Plume s'en excuse, il dit l'avoir commandée sans y penser, et l'avoir goûtée de même.
III. Plume voyage Lors de ses voyages, les autres passagers sont méprisant envers lui (on s'essuie sur lui, on l'écrase). Il doit descendre du train, il ne peut pas voir le Colisée, et doit se rendre dans la soute du bateau. Il ne s'en plaint pas.
IV. Dans les appartements de la Reine Cette dernière l'attire de façon peu subtile dans son lit, le fait mettre nu. Elle lui demande de lui parler du Danemark. Le chapitre s'achève sur l'arrivée du roi.
V. La nuit des Bulgares Plume et deux compagnons assassinent sept bulgares dans un train. Il les poussent pour avoir plus de place. Une vieille femme entrent et ils camouflent la mort par un sommeil profond, tout en insistant sur le fait que ces hommes ont froid. Une jeune femme entre à son tour. Ils balancent progressivement les hommes hors du train et fuient à l'arrivée.
VI. Vision de Plume Il rêve de fromage, d'une cavalerie. Soudain, son chef apparait et tombe, entrainé par sa tête.
VII. Plume avait mal au doigt. Il se plaint du doigt, et sa femme lui conseille d'aller voir le médecin. Ce dernier annonce qu'il faut amputer, et trouver un beau doigt artificiel, ce qui ne pose pas de problème car Plume est riche. Il refuse car il souhaite écrire à sa mère, puis y renonce. Il se fait amputer. De retour chez lui, sa femme lui repproche de ne pas l'avoir consulté, car les infirment sont des sadiques, et elle ne veut pas de ça. Plume lui répond qu'il lui reste neuf doigts, et qu'elle changera peut-être de caractère.
VIII. L'arrachage des têtes Deux assassins arrachent des têtes, et les rapportent à un homme qui "ne dit ni oui, ni non". Il lui offrent comme s'ils les avaient trouvées par hasard: une tête de femme, d'homme et de chien.
IX. Une mère de neuf enfants! Plume refuse dans la rue les avances d'une mère de neuf enfants (qui est une prostituée). Un policier passe et lui repproche son ingratitude. Il la suit et cinq femmes se joignent à eux dans un hôtel sordide. Elles le dépouillent, le violent, et le jettent dans les escaliers. Plume s'en souviendra.
X. Plume à Casablanca Il cherche ses priorités, mais n'achève rien : faire des courses, trouver une chambre, aller à la Société Générale, voir une danse du ventre, se restaurer, trouver la prochaine étape, passer devant la douane, prouver sa vitalité aux médecins pour que le laisse monter dans le bateau. Il ne fait finalement que se montrer vigoureux devant la police pour qu'on le laisse monter: il est à présent surveillé.
XI. L'hôte d'honneur du Bren Club Il mange, même un serpent par "politesse". La maîtresse de maison tente d'attirer son attention en dévoilant un sein. Sa voisine s'étouffe avec une langue de mouton. On fait semblant de tenter de la sauver mais on la tue.
XII. Plume au plafond Par innatention, il se retrouve en train de marcher au planfond. Il a peur, car descendre serait mourir. Une équipe du club bren par à sa recherche, le retrouve et le fait descendre du plafond en saluant son courage. Tout le monde est gêné.
XIII. Plume et les culs-de-jatte Un homme l'observe et son visage se décompose. Cela rend Plume rêveur. Il se rend plus loin et tombe sur une réunion de culs-de-jatte dans un arbre, où chacun fait monter un autre culs-de-jatte. Il est rêveur, et finalement, "des culs-de-jatte plein les bras", il pense qu'il n'est pas travailleur. On lui conseille d'acheter un petit chien pour la tombe de son père. Il soupire qu'on ne le lâchera jamais.
J'arrivai pour la première fois dans ce pays, comme il faisait à peu près nuit déjà. Il restait deux heures à faire à cheval. Trois cavaliers allaient m'accompagner. Je m'attendais à trotter. On se mit, au contraire, à descendre dans d'invraisemblables pierres, où bientôt, dans l'ombre épaisse, j'étais comme un aveugle. Le cheval connaissait le chemin. A mesure que l'obscurité se faisait plus pleine, son pas devenait plus prudent et sensé. Je le laissais faire. Il tournait ici, puis là, puis atterrissait à un palier plus bas. Il était le plus lent, je perdais de vue les autres, même la jument blanche de Mortensen. On était obligé de m'attendre.
Ces trois recueils composés entre 1936 et 1946, petits contes ou songes philosophiques dans la grande tradition de Zadig, des Lettres persanes ou des Voyages de Gulliver, quoique recouvrant une des périodes les plus tragiques de notre Histoire, offrent une liberté de ton et une vivacité paradoxales : plus que jamais Michaux semble s'être retranché dans un ailleurs souterrain et, s'il évoque sans relâche folie, sauvagerie et cruauté, c'est avec une sobriété, une réserve dénuées de tout pathos. Car la langue de Michaux s'imprègne ici d'un classicisme rigoureux. Le style est d'une élégance rare, le vocabulaire d'une inventivité permanente. Ce monde absurde où les images, comme les idées, se retrouvent subverties et retournées, il en grave les lignes à l'acide. Et ne nous livre aucune clé. Moraliste, mais poète d'abord, accumulant les tours de passe-passe il oeuvre en magicien, sourcier patient de songes et de fictions savantes qui nous invitent à dormir les yeux grands ouverts. --Scarbo
À force de regarder et d'écouter le monde, il devient mystérieux et étrange, d'une couleur inconnue avec laquelle un poète se met à composer. Est-ce que ses mots éclairent l'opacité de nos alentours ? Oui, peut-être : « Il est bien difficile de dormir. D'abord les couvertures ont toujours un poids formidable et, pour ne parler que des draps de lit, c'est comme de la tôle. » Mais pas toujours : « J'étais donc à Honfleur et je m'y ennuyais. Alors résolument j'y mis du chameau. » La nuit aidant, le réel se teinte d'une autre vérité : venez rêver avec Michaux.
L'accompagnement critique retrace le contexte, aussi bien historique qu'artistique, dans et contre lequel Henri Michaux a écrit. Plusieurs points esthétiques sont présentés, notamment le fragment, le fantastique, la question de la représentation. Les thématiques à l’œuvre dans l'ensemble des textes éclairent la cohérence du recueil. Recueil de poèmes en prose (XXe siècle) recommandé pour les classes de lycée. Texte intégral.
Cette recherche montre une pluralisation de la cartographie de l œuvre de Michaux. Les questions sont : comment Michaux a-t-il essayé de surmonter la coupure, symptomatique pour l Occident (et non pour l Orient), entre ce qui est écrit et ce qui est dessiné ? Qu est-ce qui se passe entre les diverses zones de la création chez Michaux (celles de poèmes, celles des textes de composition différente, celles de peintures) ?
Au moment de la publication de ce recueil, en 1954, l'activité graphique et artistique de Michaux ne cesse de croître. Il ne publie plus que des textes courts accompagnés de dessins, ou plutôt des dessins commentés par quelques lignes.
Ensemble de poèmes et de dessins faits par l'auteur. En effet, il y a 9 dessins de l'auteur dans Vents et Poussières
Poème précédé de dessins suivis de la signification des dessins, au sujet de Paix dans les brisements.
«Je voudrais dévoiler le "normal", le méconnu, l'insoupçonné, l'incroyable, l'énorme normal. L'anormal me l'a fait connaître. Ce qui se passe, le nombre prodigieux d'opérations que dans l'heure la plus détendue, le plus ordinaire des hommes accomplit, ne s'en doutant guère, n'y prêtant attention aucune, travail de routine, dont le rendement seul l'intéresse et non ses mécanismes pourtant merveilleux, bien plus que ses idées, à quoi il tient tant, si médiocres souvent, communes, indignes de l'appareil hors ligne qui les découvre et les manie. Je voudrais dévoiler les mécanismes complexes, qui font de l'homme avant tout un opérateur.»
Quatrième de couverture
«Rêves : amas de faits-divers, des petits faits-divers de la personne répétés en vrac en vitesse, faits-divers qui renvoient à d'autres faits de toute date, de faits passés où l'on trouva à redire, par quoi on fut attaqué, troublé. Rêve-réponse qui renvoie la balle. Alors pourquoi vouloir à tout prix interpréter ? Un sage arabe répond : "Un rêve non interprété ressemble à un oiseau qui plane au-dessus de la maison, sans se poser".»
S'est-il jamais senti de ce monde ? A-t-il jamais perçu une appartenance, une parenté, une filiation ? Henri Michaux semble être né par mégarde et l'existence lui fut souvent à charge. Entre lui et les choses, entre lui et les êtres : un abîme. Un abîme qui déborde d'un bric-à-brac de peurs, de sursauts, de cris, de hantises, de rires cruels, de scalps, d'insomnies. Henri Michaux est singulier parce qu'il est radicalement seul, abandonné, retranché, exclu. Abandonné volontaire, retranché volontaire, exclu volontaire. S'il ne fuit pas systématiquement les autres, s'il se trouve des compagnies, il a en lui ce surcroît de lucidité ou d'alarme qui maintient la distance, ce tranchant de l'intelligence qui coupe jusqu'à l'air du temps. Aussi, quand il aborde un genre littéraire a priori peu fait pour lui, celui très noble des «Pensées», il s'emploie à le détourner, le dévoyer, le mettre en péril et en perdition. Les Poteaux d'angle d'Henri Michaux apparaissent comme les plus égarants et les plus réjouissants poteaux indicateurs jamais offerts au balisage de la raison, de la conscience et de nos comportements grégaires. Ce sont des aphorismes pour vivre à l'écart, des préceptes pour ne pas se laisser faire, des réflexions à contre-norme, des conseils qui n'ont pas de conseils à vous donner.
4ème de couverture:
Pour tous les lecteurs d'Henri Michaux, ce livre vient après une longue attente. Il propose tous les textes du poète publiés avant 1928 et que l'auteur n'avait voulu ni rassembler ni rééditer, à l'exception de six poèmes repris dans L'espace du dedans, dont les célèbres «Glu et Gli» et «Le grand combat». L'étonnement, d'emblée, tient à cette réticence de Michaux vis à vis d'écrits où il est pourtant déjà tout entier, avec sa voix propre et toutes ses hantises.Car s'est-il jamais senti de ce monde ? A-t-il jamais perçu une appartenance, une parenté, une filiation ? Henri Michaux semble être né par mégarde et l'existence lui fut souvent à charge. Entre lui et les choses, entre lui et les êtres : un abîme. Un abîme qui déborde d'un bric-à-brac de peurs, de sursauts, de cris, de rires cruels, de scalps, d'insomnies.L'œuvre d'Henri Michaux est immense. Mais dès les premiers textes, c'est une œuvre de pionnier, de découvreur. Œuvre en alerte constante. Œuvre des confins de l'être et des gouffres, à l'ironie vive et qui progresse d'écart en écart, de décalage en chausse-trappe. Avec Michaux, l'esprit, le corps, les réflexes ne sont jamais en sécurité. Il sape les bases, efface les certitudes, déplace les jeux et les enjeux. Il porte ailleurs, plus loin, à côté, il déporte les pensées, décentre les actes, exile les habitudes, apprend à désapprendre et même, de a à z, invente le monde dont il se sent privé, renaît à la vie dont il se sent floué.
Dès que j’écris, c’est pour commencer à inventer. A peine est-ce sorti, voilà que je me mets de tous côtés à lui présenter des barreaux de réalité, et ce nouvel ensemble obtenu, à lui en présenter de nouveaux encore plus réels, et ainsi, de compromis en compromis, j’arrive, eh bien j’arrive à ce que j’écris qui est de l’invention saisie à la gorge et à qui on n’a pas donné la belle existence qui lui semblait promise.
C’est pourtant dans cette honnêteté tardive mais rigoureuse et par degrés, et puis plus rigoureuse encore mais toujours plus tardive que je trouve une des joies et un des supplices d’écrire.
Les premiers lecteurs de Michaux s'écrièrent que " ce n'était pas là de la poésie ". Ils avaient raison, à leur manière : l'oeuvre de ce poète (nous sommes bien obligés de l'appeler ainsi) est sans doute celle qui accuse la rupture la plus totale avec certaine définition de la poésie traditionnelle - sa complaisance au sentiment, sa tendance au chant - et son éclatement dans toutes les directions possibles. A partir de cette rupture et de cette volonté d'explorer des domaines nouveaux s'est élaborée pourtant une poésie, en même temps qu'une écriture : toutes d'expérience, d'invention, de création personnelle. " Il y a mon terrain et moi ; puis il y a l'étranger ", est-il dit dans Mes propriétés. Sur ce terrain exclusif, par l'effet d'un étonnant phénomène d'autogenèse, les mots de tous les jours, les plus concrets en général, comme pour la première fois ont été assemblés - prenant le plus souvent allure de conte ou d'apologue, à mi-chemin entre la chronique et la confidence, explosant soudain parfois pour l'éclat d'un cri où le métaphysique s'identifie au cénesthésique ; mais assemblés avant tout, ces mots, pour rendre compte d'un événement : d'un événement de la vie intérieure, ici douée d'une plasticité, d'un dynamisme et d'une efficacité exceptionnels et dont les pouvoirs, il faut l'ajouter, sont toujours contrôlés par l'intelligence critique la plus aiguë, animée d'un humour et d'une fantaisie non moins aigus. Car à travers ces " interventions ", ces " projections ", ces " passages ", ces " magies ", ces " exorcismes ", à travers les descriptions de situations, de pays et de paysages, de moeurs et de coutumes manifestement insolites, que nous propose l'auteur de La Nuit remue, il s'agit toujours non pas d'inventer un fantastique gratuit, mais de nous communiquer ce qui lui arrive ou ce qui lui est arrivé - ce qui pourrait nous arriver. C'est sans doute pour cela que le prodige s'impose avec l'évidence de la réalité la plus familière. Finalement, cette oeuvre si riche, si diverse en ses formes et ses directions - cette oeuvre inépuisable, dont ces pages choisies contiennent quelques-uns des jalons essentiels -, nous apparaît comme une épopée - celle de l'esprit qui en est le héros, de ses faits et gestes, de ses entreprises et de ses travaux, de ses jeux aussi. C'est de cette épopée qu'est né, avec Henri Michaux, un pathétique nouveau : celui justement de l'esprit aux prises avec lui-même, pour une aventure qui consiste a reculer sans cesse ses limites, à expérimenter sans cesse ses possibilités. Pathétique fort différent, il est vrai, de celui du lyrisme traditionnel, mais qui répond pourtant avec une étrange exactitude au sens premier du mot " poésie ". Le titre même de ce recueil le dit : il n'est ici que poésie, puisqu'il n'est ici qu'effort admirable pour élargir aux dimensions de l'" espace ", en principe infini, ce réduit ténébreux et secret qu'est le " dedans " de chacun d'entre nous.
Faisant suite à son voyage en Amérique du Sud de l'année 1928, Henri Michaux, qui a pourtant la santé fragile, se rend en Asie en 1931. De ce voyage qui le mène aux Indes, en Chine, en Malaisie, au Japon et en Indonésie, il publie un carnet de route. C'est l'un des textes les plus "objectifs" de ce poète wallon, lui qui fut influencé par le surréalisme et les paradis artificiels. Un barbare en Asie est ainsi un formidable compte rendu de ses pérégrinations asiatiques. Il observe les paysages, les moeurs, la vie quotidienne des gens qu'il rencontre. C'est moins ce quotidien, social et économique, qui l'intéresse que la spiritualité et la culture, contrairement à son contemporain britannique Somerset Maugham qui visite lui la péninsule indochinoise. Cette écriture concrète, en opposition à la description de mondes imaginaires, de rêves inventés et de visions hallucinées, donne à ce récit un aspect documentaire. Mais il ne faut pas s'y tromper, il est avant tout poétique.
La séance de sac Je crache sur ma vie. Je m'en désolidarise. Qui ne fait mieux que sa vie ? Cela commença quand j'étais enfant. Il y avait un grand adulte encombrant. Comment me venger de lui ? Je le mis dans un sac. Là je pouvais le battre à mon aise. Il criait, mais je ne l'écoutais pas. Il n'était pas intéressant. Cette habitude de mon enfance, je l'ai sagement gardée. Les possibilités d'intervention qu'on acquiert en devenant adulte, outre qu'elles ne vont pas loin, je m'en méfiais. À qui est au lit, on n'offre pas une chaise. Cette habitude, dis-je, je l'ai justement gardée, et jusqu'aujourd'hui gardée secrète. C'était plus sûr. Son inconvénient - car il y en a un - c'est que grâce à elle, je supporte trop facilement des gens impossibles. Je sais que je les attends au sac. Voilà qui donne une merveilleuse patience.
Son humour est redoutable, sa lucidité foudroyante. Animé par la passion de l'exhaustif, Henri Michaux crée un univers poétique d'une originalité absolue.
Les poèmes de Michaux sont recommandés par le ministère de l'Éducation nationale en classe de 3e.
« Il serait bien extraordinaire que des milliers d'événements qui surviennent chaque année résultât une harmonie parfaite. Il y en a toujours qui ne passent pas, et qu'on garde en soi, blessants.
Une des choses à faire : l'exorcisme.
Toute situation est dépendance et centaines de dépendances. Il serait inouï qu'il en résultât une satisfaction sans ombre ou qu'un homme pût, si actif fût-il, les combattre toutes efficacement, dans la réalité.
Une des choses à faire : l'exorcisme.
L'exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier.
Dans le lieu même de la souffrance et de l'idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque - état merveilleux !
[...]
Pour qui l'a compris, les poèmes du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de cela, mais pour se délivrer d'emprises.
La plupart des textes qui suivent sont en quelque sorte des exorcismes par ruse. Leur raison d'être : tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile. »
Henri Michaux.
Les drogues nous ennuient avec leur paradis.
Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir.
Nous ne sommes pas un siècle à paradis.
Toute drogue modifie vos appuis. L'appui que vous preniez sur vos sens, l'appui que vos sens prenaient sur le monde, l'appui que vous preniez sur votre impression générale d'être.
Ils cèdent. Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tout bizarre, une complexe, continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici, et davantage là. Où "ici" ? Où "là" ? Dans des dizaines d'"ici", dans des dizaines de "là", que vous ne connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas. Zones obscures qui étaient claires. Zones légères qui étaient lourdes. Ce n'est plus à vous que vous aboutissez, et la réalité, les objets même, perdant leur masse et leur raideur, cessent d'opposer une résistance sérieuse à l'omniprésente mobilité transformatrice.
Des abandons paraissent, de petits (la drogue vous chatouille d'abandons), de grands aussi. Certaines s'y plaisent. Paradis, c'est-à-dire abandon. Vous subissez de multiples, de différentes invitations à lâcher... Voilà ce que les drogues fortes ont en commun et aussi que c'est toujours le cerveau qui prend les coups, qui observe ses coulisses, ses ficelles, qui joue petit et grand jeu, et qui, ensuite, prend du recul, un singulier recul.
«Qu'il décrive ses expériences avec les hallucinogènes ou, plus récemment, qu'il s'attache à élucider les problèmes du rêve, Henri Michaux a publié, surtout depuis dix ou quinze ans, des livres d'analyse, de connaissance. Moments vient nous rappeler qu'à travers cette vaste entreprise expérimentale, la vocation poétique de l'auteur de La nuit remue s'est poursuivie, merveilleusement fidèle à elle-même. Ces longs et beaux poèmes disent tous, malgré leur diversité de ton, certains états, certains "moments" d'effusion, d'extase, de visions. Poèmes-rêveries d'après la drogue pour la plupart, il est vrai, où flotte encore parfois comme une odeur de drogue.»
«Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non.» Cette imploration, presque désespérée, résume à elle seule les lettres de Henri Michaux réunies par Jean-Luc Outers. Il n’y est question que de refus : les demandes d’interviews, les adaptations scéniques de ses textes, les anthologies, les colloques ou les numéros de revues qui lui sont consacrés, les rééditions, y compris en livre de poche ou dans la Bibliothèque de la Pléiade, les conférences et commémorations, les prix littéraires, les publications de photos…
C’est à tout cela, qui n’est plus la littérature mais son institution sinon son décorum ou le carnaval médiatique qui l’agite, que Henri Michaux n’a cessé de s’opposer sa vie durant. Alors qu’on le poursuit sans répit, il cherche l’ombre, il se cache. Il part en croisade contre la «vedettomanie», multipliant les lettres dont la production s’intensifie à mesure que s’accroît la notoriété. «Du moins que je ne finisse pas gavé de mon propre nom», écrira celui qui n’éprouvait que dégoût pour toute forme de reconnaissance. Plutôt qu’une litanie monocorde de refus, ces lettres frappent par leur singularité et leur style souvent cinglant et drôle : elles instaurent, à leur manière, une philosophie du non.
(Source : Gallimard)
C'est peut-être le recueil où apparaît avec le plus d'ampleur le thème essentiel de l'œuvre d'Henri Michaux : le refus de la réalité quotidienne - « sa défaite : le quotidien » - et la revendication d'« autre chose ». Cet autre chose souvent proposé, on le sait, sous la forme de situations imaginaires qui témoignent chez le poète du constant besoin d'inventer. Tantôt avec les couleurs apparemment légères de l'humour, tantôt avec celles d'une angoisse existentielle que l'humour ne parvient plus à cacher. Toujours, il est vrai, d'un « lointain intérieur », c'est-à-dire de ces confins du subconscient que Michaux ne se lasse pas d'explorer.
Henri Michaux se réservait chaque semaine un jour de silence consacré à la méditation. De ces jours sont nés les neuf poèmes de ce recueil. Il y explore des voies aussi récurrentes dans son œuvre graphique : expérience du vide, du silence, de l’ailleurs ; rupture avec la parole pour atteindre une autre parole.
"Henri Michaux est singulier parce qu'il est radicalement seul, abandonné, retranché, exclu. Abandonné volontaire, retranché volontaire, exclu volontaire. S'il ne fuit pas systématiquement les autres, s'il se trouve des compagnies, il ne renonce en aucun cas à ce surcroît de lucidité ou d'alarme qui préserve un rien d'éloignement, une sorte d'intervalle. Et son intelligence paraît si affûtée qu'elle coupe jusqu'à l'air du temps.
Poète de l'affrontement, de l'expérimentation, de la connaissance intérieure, il ne se connaît pas de repos. Chaque respiration, chaque vision, chaque rêve remémoré lui sont autant de combats. Il est l'homme des nuits sans fond, des fureurs muettes, des ravages absolus, minuscules ou bouffons, des révoltes murées entre mémoire et cœur. Mémoire violente et cœur affolé.»
André Velter.
Henri Michaux rend un vibrant hommage à la peinture de Paul Klee, à ses menues modulations de couleurs, au réseau labyrinthique des lignes qui construisent ses tableaux, dans lesquels pour entrer «il suffit d’être l’élu, d’avoir gardé soi-même la conscience de vivre dans un monde d’énigmes, auquel, c’est en énigmes aussi qu’il convient le mieux de répondre.»