Tous les livres de Vincent Borel
Antoine et Isabelle. Quand ils se rencontrent à Barcelone en 1925, Antonio et Isabel ont en commun une belle jeunesse et le désir de se construire une vie libre et neuve, à l’image des utopies du temps. Isabel, dont la famille a fui la misère de l’Andalousie, travaille dans un atelier de couture. Antonio, lui, a gravi les échelons au grand hôtel Oriente : affecté au service d’étage, il met à profit ce poste privilégié pour observer les grands de ce monde. Et c’est là, avec ses camarades de rang, qu’il se forge les convictions politiques qui vont infléchir son destin. Il ne jouit que peu de temps en effet de sa nouvelle situation d’homme marié, bientôt père de deux petites filles. L’engagement du côté de la jeune République espagnole a tôt fait de l’entraîner à marche forcée dans le tourbillon de l’histoire : le départ précipité en France avec la troupe en déroute, les retrouvailles avec sa famille dans un camp de réfugiés près de Gap, la Résistance et le maquis, l’arrestation par les Allemands et puis l’extradition dans un camp nazi, tels sont les épisodes de la vie d’un homme somme toute ordinaire auxquels s’attache l’auteur en consacrant une part importante de son livre au portrait de l’individu vaillant et opiniâtre que fut son grand-père. Vincent Borel, en effet, dans un prologue écrit à la première personne, ne cache pas son intention : rendre justice à ceux qui, en s’installant en France, devinrent Antoine et Isabelle. Mais en s’appropriant la mémoire des siens, le romancier prend la pleine mesure de la nécessité pour la littérature de témoigner. C’est ainsi que, se démarquant de la saga familiale, il entreprend d’inscrire le destin de ses proches dans l’épopée du vingtième siècle. L’histoire exemplaire de ses grands-parents, et ce dès le début du livre, il la met en regard avec celle non moins exemplaire d’une famille d’industriels lyonnais qui firent dans la tourmente de l’histoire de tout autres choix. L’écrivain mêle ici avec brio plusieurs registres narratifs : le « je » du prologue, s’indignant devant quelques héritiers des beaux quartiers de leur discours flirtant avec le révisionnisme (conversation ici relatée et qui mit en branle la machine romanesque), reprend la plume au moment de conclure pour consigner, en guise de réfutation, le témoignage brut qu’Antoine rapporta de Mauthausen. Dans l’intervalle, il aura imposé une verve épique pour tisser en parallèle le destin des siens, gens de peu, en opposition avec celui des nantis lyonnais. Car de cet Edmond Gillet aperçu par Antonio quand il était dans la claque à l’opéra de Barcelone, et de sa famille, le romancier retrace brillamment les tribulations : donnant chair et corps au monde des possédants, il s’immisce dans les mariages arrangés et les alliances stratégiques, dépeint avec une ironie certaine la fibre sociale des dames du beau monde, accompagne les capitaines d’industrie dans la course aux brevets, suit les sautes souvent fatales des cours de la bourse, bref retrace l’histoire du monde capitaliste en marche vers la deuxième guerre mondiale. Et rend ainsi lisibles les décisions qui furent prises au moment où la guerre éclata. Il s’agit bel et bien de sauver un empire, et on est loin des idéaux de la Résistance. Le tour de force de Vincent Borel dans ce grand et virtuose roman mêlant destins individuels et histoire collective est l’intelligence de ses personnages : ballotés par le vent de l’histoire, chacun ici a fait des choix que le romancier ne s’arroge pas le droit de juger. Il s’agirait plutôt de dire haut et fort le pouvoir des mots pour comprendre le monde.
1687. Monsieur de Lully vient de mourir. Depuis le Parnasse, celui qu'on a toujours appelé Baptiste entame le récit de sa vie.
Vincent Borel, auteur chez Actes Sud d'Un ruban noir et de Vie et mort d'ion crabe, tous deux textes d'inspiration très contemporaine, fait mine ici d'abandonner l'autofiction pour se glisser dans la peau du fils de meunier italien devenu grand ordonnateur des plaisirs de Louis XIV.
Le récit commence sur les bords de l'Arno, en 1632. Giambattista, le petit bouffon déluré trouve très vite en la personne de frère Bonaventure un maître de musique et un parfait initiateur au vice... italien. Remarquablement doué pour le violon, et sans grandes inhibitions, le jeune Baptiste se lance un jour de fête au Palais Pitti dans une brillante chaconne improvisée, qui lui valut d'être remarqué par un français de passage, chevalier de Malte et chargé par la Grande Mademoiselle de lui trouver un page qui lui apprendrait l'italien.
Baptiste fait l'affaire, et à quatorze ans le voilà en route pour Paris. Toujours enclin à des fantaisies peu goûtées par les musiciens en place, Italien de surcroît à une époque où il n'était pas bon de l'être en France, il ne tarde guère à être pris en grippe par les violons du roi. Commence pour lui une longue quête de l'intégration: il apprend le français, s'initie aux arcanes de la cour, fait profil bas, sert toujours la Grande Mademoiselle tout en louant son violon dans un Paris où se lève la Fronde. Son seul ami, et véritable mentor, qui deviendra son beau-père, est le musicien Michel Lambert. C'est pendant cette période que Baptiste rencontre l'amour en la personne du ténébreux Louis Couperin, en même temps que la débauche avec Tristan l'Hermite, d'Assoucy ou Saint-Amant, poètes impénitents qui officient au Singe en baptiste, le bien nommé cabaret. Après la représentation de l'Orfeo de Luigi Rossi au Palais-Royal, en 1647, Lully se faufile dans une somptueuse réception donnée chez Mazarin, et là encore tune brillante improvisation lui vaut pour longtemps la protection du cardinal.
Après la Fronde, le jeune page quitte sa maîtresse. Commence alors pour lui la conquête des honneurs, et du pouvoir. Maître à danser du roi pour le Ballet de la Nuit, le premier d'une longue série de divertissements, il obtient très vite, et très jeune - il a vingt et un ans an 1653 -, la charge de la musique instrumentale. De plus en plus proche du roi, toujours amoureux de Louis, il s'adonne à sa nouvelle vie d'aisance, achète une maison avec la tribu Lambert, obtient sa naturalisation et toutes les faveurs.
C'est avec la mort accidentelle de Louis Couperin que son destin va se radicaliser. Pour conjurer son immense peine, il se lance à corps perdu dans la musique et... la quête du pouvoir: après un mariage de convenance, il accumule les créations, les charges, l'argent, les ennemis. C'est pour aller toujours plus haut qu'il se brouille avec Molière, désireux comme lui d'obtenir le privilège de l'opéra. Lully en devient titulaire, et rien n'arrête sa course effrénée... jusqu'à ce que les intrigues, la fatigue, la maladie, et le tournant du règne, marqué par l'arrivée de la Maintenon, éloigne le souverain adulé des plaisirs mis en scène par le brillant Lully.
Ce parcours d'un enfant du siècle, le grand, Vincent Borel le met en scène avec fougue, avec verve, avec humour, et quand tombent les perruques, on ne peut s'empêcher de penser que c'est aussi de notre époque, et un peu de lui, qu'il nous parle.
En ce soir de juin 1865, au Hoftheater de Munich, la magie opère dès que s'élèvent les premières notes de Tristan. Le très jeune Louis II de Bavière est subjugué. Wagner, à cinquante-deux ans passés, a enfin trouvé un protecteur. Les années d'errance et de misère sont derrière lui, il va pouvoir donner forme à ses rêves d'un théâtre entièrement nouveau et mettre en oeuvre la conception de sa fresque révolutionnaire, L'Anneau du Nibelung. Comme sa carrière, l'intimité du compositeur est bouleversée en cette année faste : son mariage avec Minna, jeune actrice conformiste, peu encline à partager ses fulgurances, battait de l'aile. Il vient de rencontrer l'âme soeur, Cosima, la fille de Liszt, qui encre ses partitions. Pour lui, elle va divorcer de Hans von Bülow, le chef d'orchestre tout dévoué à Wagner. Vincent Borel, toujours au plus près de l'émotion d'un fou d'opéra, nous plonge dans le creuset de l'oeuvre, là où vie et création se mêlent. Les combats menés avec Bakounine sur les barricades de Dresde en 1849, les conversations avec Nietzsche au moment de La Naissance de la tragédie sont une puissante source d'inspiration, de même que les fréquentes escapades dans une nature complice. En Suisse où Richard et Cosima ont trouvé refuge avec leurs enfants, Isolde, Eva et Siegfried, la musique du maître, élémentaire et cosmique, est le centre de leur vie, et leur vie, au coeur de sa musique. Ce roman-portrait est un voyage à l'intérieur du corps de Richard Wagner, de ses humeurs, de ses intuitions et de son tumulte. Par-delà le "cas Wagner", Vincent Borel livre une éblouissante plongée dans le mystère de la création artistique. Son aisance épargne toute dévotion et nous dévoile un homme bien éloigné du mythe qu'a construit la postérité.
"Au matin tu peux dire le nom de qui t'habite et monte ainsi à ton assaut avec ses remugles d'eau stérile et ses cheveux froids : c'est la mort." Le crabe, on l'aura compris, c'est la maladie. Ce qu'on appelle sa vie, c'est la montée lente et inexorable du dérèglement pendant un drôle de printemps sec et impitoyable. Sa mort, c'est "trithérapie, chimiothérapie puis radiothérapie". Lyrique et incantatoire parfois, le récit invente la vie, la vraie, celle des mots rédempteurs et des forces arrachées au royaume des songes. Cynique, souvent désopilant, il règle quelques comptes, rappelle quelques vérités, et convainc bien vite que Vincent Borel, trente-cinq ans, écrivain et journaliste, n'a rien perdu de sa verve et de son talent depuis Un ruban noir.
" Il n'y a qu'à cueillir goûter dévorer permanent orgasme ! Te voilà devenu pile et réacteur, le feu monte en toi, rien au monde, ni flics, ni curés ne peuvent plus t'empêcher de résister à l'appel de la nuit, de l'autre, de ton autre, délices des corps et noces des cœurs.
" André cohabite avec le Doc et le Déjanté à Paris, où il promène son corps entre les bars du Marais et les backrooms des boîtes homo. André est séropositif et décide, un jour, de partir à Barcelone, pour oublier. Et il oublie de dire l'incurable maladie qui le détruit. Pendant vingt-quatre jours, il fait l'amour avec Miguel, à coups d'ecstasy, de coke et de tequila. Le poids du temps s'estompe, les portes de la perception s'ouvrent.
Résumé éditeur:
À la barbe des dieux, trois hommes s’échappent des galères grâce à un naufrage. Nicolas le chantre castré, le graveur Sodimo et le Turc Garatafas croient retrouver la liberté. S’ils ne sont plus ballottés par les flots, ils sont toujours le jouet des caprices divins. Des Flandres à l’Espagne, leur périple terrestre a des allures picaresques. Au ciel, Yahvé, Allah et Dieu le Père ripaillent...
En cette nuit du 18 juin, sur le mont Valérien, l’Ifon 11 du jeune François-Joseph de la Fistinière est fin prêt à filmer son propriétaire dans une position attentatoire à l’honneur de sa famille de militaires. Afin d’enrayer la propagation virale de la vidéo, le patriarche appelle au secours son fils illégitime, patron de la firme Opié, elle-même conceptrice de l’Ifon et numéro un européen de l’énergie. À La Défense, la tour Opié s’éveille : Samia, l’hôtesse d’accueil, prend son poste au rez-de-chaussée ; au trente-sixième étage, le technocadre Kevin Klein convoque toute son habileté informatique pour maquiller la baisse dangereuse des stocks de tantale nécessaires au grand dessein de l’entreprise.
À l’autre bout de la planète, en Iamalie, d’étranges aurores boréales plongent dans l’inquiétude une tribu de Kètes. À Cuzco, Pérou, on inaugure l’Horloge du Sud : il s’agit d’en finir avec l’impérialisme occidental et de s’approprier le temps qui, à l’image des saisons, s’égrènera désormais à l’inverse de l’hémisphère nord.
Plutôt que de se lamenter sur ce monde qui va à sa perte, sur fond de course effrénée au profit, d’inégalités sociales vertigineuses et de désastres écologiques, le romancier s’invente démiurge. Décidant, lui aussi, d’inverser le processus, il embarque son lecteur éberlué dans une ébouriffante utopie.
Les victimes d’hier se réapproprient leur destin : tandis que, dans les Andes, les terres minières reverdissent, deux licenciés d’Opié (dont notre Franjo), ayant rejoint la ZAD de Cadarache, trouvent le moyen de faire imploser la toute-puissance capitaliste ; la vie de Samia, elle, a changé depuis sa rencontre, lors de la Gay Pride, avec Yaqut, dont la défense d’un islam de paix et de lumière l’a convaincue de s’engager à ses côtés dans un djihad… de l’amour ; quant à Tyapsa, la seule survivante de la tribu de Kètes, on la retrouvera, après bien des tribulations, figure centrale d’un final libertaire, burlesque et transgressif.
C’est un vibrant éloge au pouvoir de la fiction que cet éblouissant roman-monde, mené tambour battant par un écrivain qui jamais ne doute de la capacité de ses personnages d’aller au bout de leurs désirs.
« Anton Bruckner a livré huit symphonies, neuf si l’on compte celle dont la maladie lui rend l’accomplissement plus éprouvant que le rocher de Sisyphe. Il n’aura composé ni opéras ni concertos ; il s’est concentré sur ses symphonies, cathédrales de sons, longues, vastes, emplies des échos des grands ancêtres et qu’il renvoie au monde d’une façon que son temps peine encore à entendre. Ce sont des monolithes d’obsession… » V. B.
Troublé par la musique répétitive, puissante et complexe que composa cet organiste de génie, Vincent Borel livre un portrait bref, syncopé et plein d’esprit d’Anton Bruckner (1824-1896). Sa vie, plutôt méconnue, cache des traits surprenants : solitaire, méprisé et peu sociable, Bruckner était atteint de nombreuses manies. S’il comptait inlassablement toutes les fenêtres et les façades du Ring, ou les feuilles de la vigne courant sur sa résidence du Belvédère, il avait également été surpris à vider le Danube à la cuillère. Élevé dans le catholicisme autoritaire du monastère de Saint-Florian, où il fut nourri d’un paternalisme rigoriste, il avoua lui-même, dans ses derniers jours, qu’il mourait puceau.
Précurseur de la modernité viennoise et adulé de ses disciples Gustav Mahler et Hugo Wolf, Bruckner n’a guère entendu ses symphonies. Conspué par Brahms et d’influents critiques, il a pourtant persévéré.
Interrogeant de manière poignante sa ténacité face à l’échec, mais aussi son lyrisme éperdu, l’écrivain parvient à lever le voile sur la genèse d’une œuvre se révélant comme la production sublimée de qui n’a jamais connu l’amour ni les plaisirs de la chair. Être opaque et décalé, Bruckner devient ici un objet romanesque singulier et fascinant.
Lully est l'inventeur et l'organisateur de l'opéra dans la France de Louis XIV, dont il sera l'ami et le serviteur. Cette rencontre entre le Roi Soleil et ce « Fils de meunier florentin », deux hommes que six années seulement séparent, est l'une des plus inattendues et passionnantes de l'histoire esthétique européenne.
Et leur héritage, aussi sensuel que brillant, a trop longtemps été oublié. Vincent Borel lui rend sa vraie place, essentielle, au moment où cette musique à nul autre pareil est enfin redécouverte.
Un soir de décembre 1889, sur les quais de Cadix, la silhouette d’un petit homme entre deux âges, coiffé d’un feutre fatigué, attire les regards. Charles Sanois se prétend négociant en vin, il a fui Paris, le deuil de sa mère et l’épidémie de grippe asiatique se propageant dans le monde entier. Il s’apprête à embarquer, rêvant d’azur et de paix.
Pendant ce temps, la panique gagne à l’Opéra de Paris : le compositeur d’Ascanio, le célébrissime Camille Saint-Saëns, a disparu. On est à quelques semaines de la première et les répétitions virent au cauchemar.
Sur la Grande Canarie, Sanois – alias Saint-Saëns – panse ses blessures : la mort de sa mère adorée a ravivé le chagrin d’autres pertes, notamment le suicide de son mentor et très cher ami Albert Libon. Ici, le musicien au faîte de sa gloire, dont l’absence suscite dans son pays les rumeurs les plus folles, savoure les joies simples d’une vie anonyme.
Quand, dans une rue de Las Palmas, il entend jouer sa Danse macabre, il n’y résiste pas et fait irruption dans la riche demeure d’où s’élève la mélodie au piano. Sa brève rencontre avec le jeune portier va changer le rythme de ses jours.
Jonay dès lors lui sert de guide, lui dévoilant la puissance tellurique de son île. Le quotidien solitaire de l’artiste en mal de consolation se transforme alors en un exaltant pas de deux entre ces êtres que tout semble séparer…
Et si, trois mois après son arrivée, Saint-Saëns, reconnu par une touriste, est forcé de mettre un terme à son échappée, il aura vécu au grand jour une parenthèse solaire et sensuelle, inimaginable sous sa véritable identité.
Il en résulte, sous la plume allègre et inspirée de Vincent Borel, un somptueux portrait de l’artiste renaissant à lui-même sous l’intense lumière de l’Atlantique.