Yoko Tawada
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Note moyenne : 7/10Nombre d'évaluations : 3
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Ce livre me faisait de l’œil depuis un moment, perché sur son étagère de la bibliothèque de mon petit village. Nulle ostentation, pourtant, sur sa couverture, hormis peut être cette couleur flamboyante qui accroche le regard et le conduit vers le nom de l'auteur et ce titre à lui seul promesse de poésie asiatique...
Ce ne sont pourtant pas des poèmes qui sont livrés ici, mais bien des "leçons de poétiques", et j'avoue que même après les avoir lues deux fois, je ne sais toujours pas ce que sont des "leçons de poétique". Et pourtant, il est bien question de poésie, comme toujours avec cette langue et cet esprit japonais si particulier, qui procède par effleurements, par itérations, pour nous conduire où la pensée mène l'auteur. Les choses à dire ne sont pas dites, elles sont évoquées, parfois en parlant d'autre chose.
"Je m'aperçus que nombre de mes préjugés me venaient de l'histoire japonaise", confie Yoko Tawada dans sa deuxième leçon (p. 43), et nous sommes conviés nous aussi à choquer, parfois, nos préjugés contre les siens pour en voir surgir des étincelles, comme des visions de Vérité.
Ce petit ouvrage lance une véritable invitation à l'empathie culturelle : et si nous envisagions les évènements non pas à l'aune de notre propre histoire, ou plus exactement, de ce qu'on nous a appris à l'école, mais plutôt d'un point de vue simplement humain, détaché de la notion d'altérité? L'auteur en fait l'expérience au travers des relations entretenues par le Japon avec tout d'abord les portugais, puis ensuite les Néerlandais et enfin les Anglo-saxons, placé face au miroir opposé de ces pays avec l'Afrique en particulier l'Afrique du Sud. Le tsunami, qui a déversé son eau à Fukushima au moment où l'auteur composait ces trois "leçons", apparaît de temps en temps comme pour nettoyer ces folies humaines.
A lire sous un arbre.
Afficher en entierC'est une dystopie particulièrement intéressant que nous livre l'auteur.
Afficher en entierDédicaces de Yoko Tawada
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Biographie
« Issu d’une famille de commerçants ruinée par les bombardements, le père de Yoko Tawada s’installe à Tokyo juste après la guerre avec un baluchon pour seul bagage. De lui, sa famille dit qu’il est "contaminé par le mal rouge" – l’un des premiers mots dont s’étonne sa petite fille, née en 1960. Comment la peau de son père peut-elle être rouge tout en ne l’étant pas ? Elle n’aura pas fini de s’interroger sur la peau et les mots…
Yoko Tawada raconte également dans Narrateurs sans âmes le très beau petit livre qui la révéla en France (Verdier, 2001) – comment la triple invocation "À Moscou, à Moscou, à Moscou !" était devenue, en famille, l’image de l’inaccessible. Ses parents avaient entendu l’appel lors d’une représentation des Trois sœurs de Tchekhov. Pour les trois femmes, c’est la ville de leurs chimères. Elles ne s’y rendront jamais. Pour les parents de Yoko, frappés par le chômage, Moscou sonnait comme une formule magique. Ils l’évoquaient en riant de leurs propres illusions. "À Moscou !" Le père n’en poursuivait pas moins son projet "irréaliste" de fonder une maison d’édition.
On pouvait le prévoir. Yoko Tawada commence par étudier le russe, envisageant de se spécialiser en slavistique. À 19 ans, elle part vers la ville mythique où se résume, pour elle, l’objet fabuleux nommé "Europe". Ce voyage, la Japonaise le fera en train, son mode de transport favori. Elle s’en explique dans Narrateurs sans âmes et dans les treize courts récits – treize "voitures", dit-elle – de Train de nuit avec suspects.
"J’ai lu dans un livre sur les Indiens que l’âme ne peut pas voler plus vite qu’un avion. C’est pourquoi on perd son âme quand on voyage en avion, et on arrive à destination mentalement absent. Même le Transsibérien roule plus vite qu’une âme peut voler. Lors de ma première venue en Europe, par le Transsibérien, j’ai perdu mon âme. Quand je suis repartie par le train, mon âme était encore en route vers l’Europe. Je n’ai pas pu l’attraper. Lorsque je suis revenue en Europe, elle était en route vers le Japon […]. Je ne sais plus du tout où mon âme se trouve."
Toute russophone qu’elle soit, et fascinée par la France, comme en témoigne le roman L’Œil nu – autre nouveauté de cette rentrée –, Yoko Tawada choisit néanmoins l’Allemagne. C’est le pays de Peter Schlemil, l’homme qui perdit son ombre.
Pendant que le corps écrit du côté de Hambourg – là où Yoko Tawada s’est installée –, l’âme poursuit ses voyages à la fois chamaniques, fantaisistes et pleins d’ironique sagesse. Yoko examine avec perplexité les situations où se trouve Tawada. « Le doute, par ribambelles, enfante des ogres », lit-on dans Train de nuit. Faut-il s’étonner que la jeune femme, devenue germanophone, ait consacré sa thèse (en allemand) au thème de l’automate et des poupées parlantes, particulièrement cher à Hoffmann : "Jouet et magie verbale dans la littérature européenne."
Nous n’en sommes pas là, toutefois, quand Yoko Tawada s’installe à Hambourg, en 1982. Venue faire un stage en librairie, elle travaille d’abord dans une société d’exportation et de distribution de livres – réalisant ainsi le rêve paternel. Après avoir parachevé ses études de littérature allemande, elle se consacre à ses propres livres. Elle écrit alternativement en japonais et dans sa nouvelle langue : poésie, théâtre, textes courts, romans.
D’abord publiée en Allemagne, Yoko Tawada trouve un éditeur au Japon. Dès lors, elle poursuit son œuvre double mais évite de traduire elle-même ses textes japonais en allemand, alors qu’il lui arrive de se traduire de l’allemand en japonais, voire de mêler dans un même livre des textes en japonais, leur traduction allemande et des textes rédigés en allemand.
Son traducteur français, Bernard Banoun, résume en une belle formule ce rapport aux idéogrammes et à l’alphabet latin, qui est un rapport aux signes : "Allemand et japonais : ce sont deux systèmes de pensée, deux œuvres différentes à thèmes communs. Yoko le dit souvent : lorsqu’elle parle l’anglais, elle se traduit de l’allemand, alors qu’elle ne se traduit pas du japonais lorsqu’elle parle l’allemand." Et c’est avec une certaine malice que la Japonaise évoque Catherine Deneuve dans L’Œil nu – Catherine Deneuve, figure onirique pour une jeune Vietnamienne venue de RDA, seule à Paris en 1988, ignorant tout du français et plongée dans les films où joue l’actrice. Jeu de lettres aussi : le caractère C, disséminé dans le texte, pose plus d’un problème à la langue allemande dont on connaît la prédilection pour le K.
Juvénile, attentive, mobile, Yoko Tawada est d’une incroyable souplesse. Elle se veut d’une "disponibilité totale, mentale et sensorielle", une caisse de résonance pour des voix polyphoniques. Elle aime s’associer d’autres formes d’expression, alliant texte, piano et danse. »
Jean-Maurice de Montremy, Livres Hebdo, juin 2005
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