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La compagnie d'assurances qui m'employait à cette époque pratiquait des horaires à la carte. J'avais choisi de commencer tôt pour pouvoir terminer vers 16 h 30. Pourquoi 16 h 30 ? Car cela me renvoyait à l'enfance, à cette heure douce et bienveillante, cette heure à couettes-de-Sheila qui symbolisait la fin de la journée scolaire. Sauf pour ceux qui allaient à l'étude qui, eux, rempilaient pour une heure et repassaient leurs leçons au côté de l'enseignant.
Cette année-là, l'été s'éteignait doucement, comme un souffle. C'était presque l'automne. Le ciel était d'étain mais il faisait doux. Une douceur étrange, un peu molle qui avait l'air de se demander ce qu'elle venait faire dans cette lumière fade, grisonnante, qui plombait les mines des passants et alourdissait leur marche.
Mon travail ne m'intéressait guère. On ne s'intéresse pas au travail quand on a vingt ans, que la Nature vous a doté d'un physique agréable et d'un tempérament de feu. Oui, je ne pensais qu'à courir les filles, qu'à me faufiler entre leurs draps, entre leurs cuisses, entre leurs reins, entre leurs lèvres. À ne rien faire pendant des heures, caressé par le soleil de l'été. À m'enivrer de vins fins et de bières de bonne qualité quand mes économies me le permettaient. Très souvent, le commerce de mes contemporains m'ennuyait, surtout celui des mâles. Alors, j'aimais prendre la tangente et me réfugier dans le coeur doux et chaud, duveteux, d'une histoire : je dévorais les livres comme peut le faire un autodidacte. Avec urgence, passion et désordre, et me jetais sur toutes les pages qui passaient à ma portée avec la même gourmandise qui me conduisait à retirer les strings de mes conquêtes. Je n'avais pas d'école, ne fréquentais aucune chapelle littéraire, passant de Diderot à Sartre, naviguant sur la frêle embarcation de Larbaud avant de sauter dans l'océan de Balzac, picorant chez Jacques Perret avant de bâfrer chez Maupassant.
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