Extraits

« Chacun de ses coups est absolument dévastateur et annihile la matière dans un amas d’ombre. Définitivement, je n’ai pas envie de me retrouver là-dedans. Dans le genre je te mets en petits morceaux, le type a l’air de se poser. Qu’est-ce qu’elle fout, Trivia ? Elle est censée récupérer son pégase et aussitôt revenir nous chercher. Elle a perdu les clés de son cheval, ou quoi ? Il serait peut-être temps qu’elle se grouille. On ne va pas tenir cent-cinquante ans contre ce machin !

— VOUS. ALLEZ. MOURIR.

— Une fois, pas deux. J’ai déjà eu une existence terrestre mouvementée, ce n’est pas pour me faire tuer par un cosplay de fantôme de fête foraine.

— Putain, ça a l’air de te faire rire !

— Tu préférerais que je sois en train de chialer ?

— Tu es une malade mentale ! »

Je quitte l'académie en retenant mes larmes. Ils seraient bien trop heureux de me voir pleurer ici. Moi, une démone qui laisse éclater ses émotions dans une académie aussi prestigieuse... ça leur ferait bien trop plaisir. Je dois rester digne.

J'avise en passant toutes les statues des grands anges et archanges qui ont façonné notre histoire. Ils sont là, en rangée, à me juger de leurs regards inquisiteurs. Devant eux, je me sens minable. Incapable de trouver ma place dans cet univers. Je devais aussi être une ratée, dans l'Ancien Monde. Une vraie de vraie. Je sais que je me suis fait tuer. Après tout, si je suis devenue une démone, c'est que je ne devais pas être une super bonne personne sur Terre non plus.

Je mérite peut-être tout ce qui m'arrive.

Un long silence s'installe. Et merde, depuis qu'elle est là, je n'ose plus vraiment tricher en essayant d'écouter. Trivia a l'air d'une fille sympa, même si je reste sur mes gardes. On n'est jamais à l'abri d'un coup en douce. Les anges sont fourbes, tout le monde le sait. En tout cas, je suis au courant parce que j'en ai fait les frais.

La porte s'ouvre brusquement sur la silhouette musculeuse de l'ancien candidat. Il me toise du regard. Ses cheveux blonds et argentés retombent légèrement devant ses yeux violets et je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai la vague impression que son air ne présage rien de bon. Il a l'air du genre sale type complètement insupportable.

- Tu te pousses, le diablotin ? J'aimerais passer.

- Auréamis ? C'est toi qui passais juste avant ? demande Trivia.

Ah, ils se connaissent. Je ne pensais pas que tous les anges se connaissaient entre eux. Je me serais même dit que ce serait raciste sur les bords de le croire, mais pourquoi pas, après tout ?

- Vous vous connaissez ?

- C'est mon ex, rétorque ma nouvelle camarade.

- Ton ex ?

Alors là, franchement, je me demande bien l'intérêt. Ça doit être tout pourri. Je sais que les humains s'accouplent pour se reproduire, mais de notre côté, ce n'est pas comme sila population de Centralis était en baisse ou risquait de connaître un tel phénomène démographique. Pour ça, il faudrait que les humains arrêtent de mourir et ça, ça paraît quand même drôlement compliqué. Alors, quel intérêt ?

« Je reçois un coup d’épaule et trébuche.

— Putain, tu ne peux pas regarder où tu vas ? m’agresse un élève.

Je relève la tête et le reconnais immédiatement malgré son uniforme de l’académie. C’est le type d’hier. Il a été reçu.

— Encore toi ? continue-t-il.

— J’allais dire exactement la même chose.

— Tu n’as rien à faire ici. Tu n’as pas un barbecue à allumer avec tes mains ?

— Et toi, tu ne voudrais pas déployer tes ailes de pigeon pour voler ailleurs, que je puisse te tirer à la carabine ? 

Nous nous lançons tous les deux un regard noir et il repart dans sa direction. Ah, ces yeux assassins ! Son air prétentieux ! Je me souviens même très bien de son nom : Auréamis. Ce sale type ne me dit rien qui vaille. Il est clairement du genre à détester les démons. Bon, d’accord, la plupart des gens détestent les démons parce qu’ils n’ont pas confiance en nous. Nous n’avons sûrement pas été des enfants de chœur dans notre vie terrestre alors forcément, on nous craint. Mais dans son cas, c’est particulièrement virulent.

— Ouais, c’est ça, tire-toi, lui crié-je. Va faire une communion des âmes avec ta mère, enfoiré !

Ah, il a le don de me mettre de mauvais poil, celui-là. Deux fois que je le croise et deux fois que j’ai une furieuse envie de lui coller mon poing dans la gueule. C’est simple, à chaque fois qu’il ouvre la bouche, j’ai le sentiment que tout son visage est en train de demander ma main en mariage, et je ne suis pas du genre à lutter contre l’amour. Je laisserais volontiers toutes mes phalanges s’écraser sur sa sale gueule de prétentieux. »

Toute ma vie je n’ai trouvé que des portes fermées, alors je ferai en sorte de les ouvrir pour qu’ils ne puissent plus jamais nier mon existence. Qu’ils soient obligés de m’accepter telle que je suis. Je deviendrai forte. Assez forte pour protéger tous ceux qui m’ont dénigrée.