Extraits

Lorsque je ressors, je m’assure de la présence du bad boy. Ouf, il est là! Puis j’aperçois ma sacoche, que j’ai abandonnée sur une chaise: ouf, elle est là aussi, tête de linotte!

Je consulte de nouveau le menu, de mon air le plus désinvolte. Lorsque la serveuse revient avec le verre d’eau, je lui commande des nachos avec une sangria. Pourquoi pas? C’est encore un peu l’été, il fait beau, la compagnie est charmante…

Il tient un verre de bière d’une main, son autre bras pendant derrière le dossier de la chaise, chaise qui se balance en équilibre sur les deux pattes arrière. Un de ses pieds repose par terre, l’autre prend appui sur son genou. Il a des cheveux assez courts, foncés, tout échevelés. Il porte un jeans amoché, un t-shirt noir, une veste de cuir grande ouverte, des lunettes de soleil et le plus magnifique sourire du monde.

Il est tout à fait mon genre: grand mais pas trop, allure détendue et pleine d’assurance, genre bad boy au grand cœur: «Tu penses que j’ai oublié notre rendez-vous pendant deux heures, mais, en fait, je te préparais une surprise à t’en couper le souffle.» De l’excitation garantie!

Nous nous retournons pour refaire un bout de chemin en sens inverse. J’ai le cœur qui bat dans ma gorge, ça m’empêche de penser à la douleur.

«Tu t’es salement cognée! T’as pas vu que c’était en plein dans ton chemin? Ah là là!»

Nouvel arrêt cardiaque pendant que Sasha se lance joyeusement dans l’énumération de mes gaffes les plus mémorables (elle adore ça, parce qu’il ne lui arrive jamais de trucs aussi gênants). La fois où j’ai marché jusqu’à l’école, la jupe coincée dans la culotte (un classique…); la fois où mon jus est ressorti par mes narines tellement je m’étais esclaffée fort, éclaboussant par le fait même mon kick de secondaire 2 (on n’est jamais sortis ensemble, finalement); la fois où mes menstruations ont commencé pendant un road trip raté et où il a fallu que j’enfile le pantalon de son cousin dans une halte routière répugnante…

Nous prenons la petite rue transversale, je fouille dans ma sacoche pour trouver ma carte de métro. Sasha ne sortira la sienne qu’à la dernière minute: elle est toujours au même endroit caché, sécuritaire et accessible à la fois. Un modèle d’efficacité.

Quelle belle journée! Je remonte la rue Saint-Denis avec ma meilleure amie, Sasha. Je viens d’emménager dans le quartier Rosemont, il y a quelques semaines, et, avec la frénésie de la nouvelle job et du dépaquetage, je n’ai pas encore eu l’occasion de profiter de la métropole. Mais aujourd’hui, j’avais enfin du temps, et le soleil est au rendez-vous, alors on a parcouru Saint-Denis de bas en haut, avec un petit détour sur Mont-Royal pour profiter du grand air. Nous sommes maintenant sur le chemin du retour, les pieds en compote, mais le sourire aux lèvres.

«Là, c’est un super bar, mais juste les jeudis. Là, salon de coiffure école, pas cher; pas fort, mais ça dépanne, des fois. Oh! Il faut que je t’amène au Candy Nail Bar! C’est juste trop!»

J’adore Sasha. C’est un vrai moulin à paroles, mais elle a un cœur en or et elle est ma moitié depuis l’école primaire. Je dis «ma moitié» parce que c’est plus que ma meilleure amie, plus que ma sœur. On se complète parfaitement l’une l’autre: je suis rêveuse et optimiste, elle est terre-à-terre et réaliste; je suis assez petite et blonde, elle est grande et brune; je voltige de désastre amoureux en désastre amoureux et elle a les deux pieds bien ancrés dans le célibat.

« Comme tu dis, tant pis ! s’exclame-t-elle finalement. Qu’est-ce que tu fais ce soir ?

— Des corrections… »

Je tourne lâchement le dos à la pile bleue et blanche. Mes crayons ne sont même pas sortis.

« O.K., et pour vrai, qu’est-ce que tu fais ?

— Je niaisais sur Facebook. Avec un verre de vin.

— Beurk, Caro !

— C’est pas le meilleur vin, mais…

— Facebook ! »

Sasha n’aime pas Facebook. Elle s’en méfie depuis qu’ont commencé à paraître des histoires de cyberintimidation et de jeunes filles harcelées. Je me dis que ce genre d’aventures a malheureusement toujours existé, et que seul le contexte change, mais Sasha a pris les réseaux sociaux en grippe et considère avec méfiance ma facilité à les utiliser.

« Qui tu stalkes, cette fois ?

— Sasha !

— Caro ! »