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Quoi d’autre, quoi d’autre, quoi d’autre. Est-ce que nos mères se ressemblent physiquement ? I don’t think so. Ich glaube nicht. Diria que no. Je ne crois pas. Sont-elles un modèle de beauté partagé, toutes ensemble, ou bien le puzzle perfectionniste d’un cerveau malade, celui de notre père ? Ni l’un ni l’autre, mais il faut dire que lorsque nous leur annonçons notre projet de les réunir un jour, les quatre mères réagissent avec le même manque d’enthousiasme. Mireille fait une grimace et dit que ça aurait l’air d’une réunion des Abandonnées Anonymes. Sigrun exige que le sommet soit subventionné par l’Union européenne. Rita compare ça à une réunion de fans décadents – « Elvis est vivant, Elvis est vivant ! ». Sarah fait une proposition : si nous devons nous rencontrer, pourquoi ne pas monter ensemble une version scénique des Six femmes d’Henri VIII ? Nous ne sommes que quatre ? Ce n’est pas grave. En cherchant bien, nous en trouverons sûrement deux autres !Cette causticité partagée par les quatre veuves potentielles doit être un mécanisme de défense. Beaucoup d’années ont passé, mais peut-être que leurs histoires d’amour se ressemblent trop pour que maintenant, d’un seul coup, elles aient envie de les exhiber. De l’extérieur, on est tenté d’imaginer quatre femmes qui se réunissent pour mettre en pièces la mémoire de l’homme qui les a laissées un beau jour, sans prévenir, seules et désemparées avec un enfant à élever. Elles boivent et elles parlent. Peu à peu, elles partagent une liste de reproches et cette mémoire les unit. Le tourment est si loin que le temps en a ôté le venin et qu’il est maintenant aussi inoffensif qu’un animal empaillé. Plus qu’une thérapie, la rencontre devient un exorcisme. Elles boivent et elles rient. Mais peu à peu, en dedans, chacune commence à penser que les autres ne l’ont pas compris, et de cette façon, en le justifiant par le souvenir, toutes font reluire leur amour. Le leur était le bon, l’authentique. Une fausse note, une plaisanterie qui tombe à plat, et cette alliance dans la douleur s’évanouira. On pourrait dire qu’elles sont à un doigt de se tirer les cheveux.C’est qu’il y a un détail qui complique tout : au jour d’aujourd’hui, nous ne pouvons pas dire que notre père soit mort. Seulement qu’il a disparu il y a plus d’un an.
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