Extraits

« Il m’arrive de regretter de ne pouvoir mettre en garde les gens des choix qu’ils font. De regretter les vies que je prends trop jeunes ou alors celles entourées de gens qui ne sont pas prêts à les voir partir. On me hait et on me craint plus que quiconque et quoi que ce soit dans ce monde. Alors parfois oui, c’est triste. Mais c’est qui je suis. Et il y a de bons côtés également. Je suis la première personne que les gens voient quand ils poussent leur dernier soupir. Je suis le messager qui les ramène à ceux qui leur ont manqué. C’est moi qui leur garantis qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir, ou qui assène une mort rapide à ceux qui ne sont pas les bienvenus dans la vie après la mort. Je suis beaucoup de choses, mais je n’en ai pas honte.

— Vous devez vous sentir bien seul, en revanche », dit-elle, une douleur à la poitrine se manifestant à cette idée. Ce sentiment ne lui était que trop familier.

« Oui, avoua-t-il. Pendant des années j’étais seul, forcé de passer mes journées à regarder la vie des humains, incapable de la moindre interaction.

— Mais vous pouvez interagir avec moi.

— Ah, dit-il, tu comprends maintenant pourquoi j’aime à te taquiner. Je me sens moins seul à présent, Petit Oiseau. Plus si seul du tout. »

Qu’as-tu ressenti, lui demanda-t-il soudain, quand tu t’es servie de mes pouvoirs hier soir ? As-tu aimé ressentir sa brûlure sur ta peau ? As-tu trouvé du réconfort dans l’obscurité et les ténèbres ? »

Elle avait ressenti tout ça, mais c’était une vérité qu’elle n’avait pas encore admise elle-même. Toute sa vie, elle avait détesté l’ange de la Mort. Et pourtant, elle avait passé des années à lui courir après comme un papillon de nuit attiré par les flammes. Il lui avait rendu la vie difficile, et elle aurait dû le mépriser. Alors pourquoi chaque fois qu’elle se trouvait en sa présence, quelque chose la brûlait de l’intérieur, plein d’ardeur ?

Elle aurait dû trembler devant l’ange de la Mort. Elle aurait dû avoir peur. Et pourtant, plus elle passait de temps avec lui, plus la peur laissait place à une curiosité grandissante.

Elle ne le détestait pas, pas vraiment. Et mon Dieu, quelle imbécile cela faisait d’elle.

Peut-être, dit-elle, sa voix à peine un murmure, mais je ne crois pas que la mort en soit moins cruelle pour autant.

— Et pourquoi dites-vous cela ?

Elle posa les mains sur ses genoux, faisant au mieux pour ne pas laisser poindre l’amertume dans sa voix.

— Parce que la mort n’est un répit que pour les morts, M. Thorly. Elle se moque bien de ceux qu’elle laisse derrière elle.

Mon Dieu. Je ne savais pas qu’une femme pouvait transpirer aussi abondamment. »

Si Signa avait réellement été une sorcière, elle l’aurait peut-être ébouillanté vivant. « Je ne serais pas en sueur si vous n’aviez pas décidé de partir en courant sans moi, monsieur. »

Là-dessus, Sylas émit un rire étouffé de mépris. Un bruit infect et repoussant. « J’aurais dû me douter que vous ne m’écoutiez pas. Si vous ne vous étiez pas laissée aller à la distraction, vous m’auriez entendu dire que je partais devant pour m’assurer que notre compartiment était en ordre. »

Signa se mordit la langue. Maintenant qu’il lui faisait la remarque, oui, elle se rappelait bien que Sylas lui avait dit quelque chose et que, oui, elle avait bien acquiescé. Cela dit, il aurait pu le clamer plus fort. 

Dis-moi, Signa, commença l’ange de la Mort comme s’il n’avait pas entendu sa question, as-tu peur de moi ? » Ses ténèbres se resserrèrent jusqu’à ce que sa forme se fasse plus petite, moins imposante. « La plupart des gens ont peur de la mort. Ils en ont peur toute leur vie, même s’ils ne me voient que lors de leur dernier soupir. Une poignée d’humains a l’œil plus aiguisé, bien sûr. Ceux qui passent leur vie à essayer de créer un pont entre les vivants et les morts, et qui entraperçoivent ce qui se passe derrière le voile. Mais quand je me tiens devant eux, même eux sont assez sages pour avoir peur de moi. Pourtant tu m’as appelé à maintes reprises. Tu m’as interrogé. Tu es même allée jusqu’à essayer de m’assassiner. » Même si ses propos étaient sombres, Signa ne manqua pas la pointe d’humour dans sa voix. Elle éveilla une terrible colère en elle.

« Est-ce que je vous amuse, monsieur ? » Elle serra les dents en regardant les ténèbres danser parmi les arbres.

« Parfois. » Sa voix était à peine un murmure dans le vent rugissant, mais elle l’entendait aussi clairement que si elle émanait de ses propres pensées. « Et parfois tu m’agaces profondément. En revanche, tu me fascines toujours. »

L’ange de la Mort n’attendait pas à distance cette fois, mais se pencha sur elle comme un vautour sur sa proie, les ténèbres dansant autour de lui. Signa leva les yeux vers l’abîme d’obscurité sans fin, et même si cela lui piquait les yeux, elle refusa de détourner le regard.

« Je préférerais que tu ne m’invoques pas chaque fois que l’envie t’en prend. » Ce n’était pas la voix à laquelle elle s’attendait. Elle n’était pas glaciale, ou rocailleuse, mais comme de l’eau dans une prairie : elle glissait sur sa peau et l’invitait à un bain de minuit. « Je n’ai pas que ça à faire, tu sais.

Signa avait appris quelque chose ce jour-là : comment forcer l’ange de la Mort à sortir de sa cachette. Sachant cela, elle refusait de le laisser s’y dissimuler une minute de plus.

De la même façon que la nuit avait commencé par les pleurs d’un bébé, elle finit dans les pleurs. Mais cette fois, personne n’était là pour l’entendre.

La plupart des gens ont peur de la mort. Ils en ont peur toute leur vie, même s'ils ne me voient que lors de leur dernier soupir. Une poignée d'humains à l'œil plus aiguisé bien sûr. Ceux qui passent leur vie à essayer de créer un pont entre les vivants et les morts, et qui entraperçoivent ce qui se passe derrière le voile. Mais quand je me tiens devant eux, même eux sont assez sages pour avoir peur de moi.

Je sais que la société nous apprend à être douces et dociles, mais je vous interdis de le devenir, vous m'entendez ? Ne changez pas ce que vous aimez en vous pour mettre les autres à l'aise. N'essayez pas de vous façonner pour correspondre à des standards que d'autres ont fixés pour nous.