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Benoît Misère



Description ajoutée par Lilinie 2011-08-15T16:06:44+02:00

Résumé

Le seul roman écrit par l'immense artiste Léo Ferré, publié en 1970 chez Laffont. Une autobiographie romancée de son enfance, où il raconte notamment ses années au pensionnat Saint-Charles de Bordighéra en Italie.

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Classement en biblio - 4 lecteurs

extrait

Extrait ajouté par Lilinie 2011-08-15T16:10:19+02:00

J’ai longtemps cherché l’almanach que ma mère cachait dans l’armoire aux crêpes de la Chandeleur, crêpes farcies de louis d’or et qui – maman le prétendait – nous feraient de l’argent pour toute l’année. Cet almanach où étaient consignées mes vies antérieures, je l’ai ouvert quelquefois dans les arbres immolés, sous leurs gerçures gonflées, dans les rues des villes mortes, la nuit, sur le lisse macadam où luisaient les maisons renversées comme des femmes toutes prêtes, près de la mer, dans les algues reposées, juste avant que n’arrive le flot, au moment où elles vont ne plus respirer et qu’il ne leur reste que des larmes de sel, sous la lampe familière enfin, devant la page qui se salit de ma mémoire, de toutes mes mémoires, au fil tragique de ma machine haletant des équations digitales.

Écrire n’est rien. Oser le faire implique cette mémoire multipliée et mille fois anonyme, cette voix du dedans qui est la voix de mille autres voix qui crient derrière les portes de l’absurde, pour quelques-uns, de l’éternité, pour tant d’autres. La véritable littérature est impersonnelle et consignée partout, hors les livres. Elle nous vient du silence.

Longtemps, j’ai imaginé que penser était noble. Ne plus penser c’est être dieu ; c’est froid, et les bibliothèques ne sont pas des frigidaires. Les livres pourrissent, comme la carne. La syntaxe les indispose et les mots les boursouflent. Il nous faudrait des livres vides, des épures de livres où tous les alphabets invertis de toutes les langues du monde danseraient la Danse devant l’Arche. Le caraïbe et le sanscrit s’y compénétreraient sous l’œil cyclope de l’O voyelle de Monsieur Rimbaud. Des phrases pendues, lubriquement, entre deux étoiles de verbe, le participe passé lisant dans les mains du complément d’objet, la préposition écumant à la porte de l’adverbe, Bossuet vissé à Confucius, siamoisement, Aristote, lunettes ouvertes sur la Série Noire, Monsieur Sartre dans un claque avec Bergson, à mesurer le poids de cogitation d’un clitoris tarifé, France-Soir à la remorque de l’Ecclésiaste, tout, inversé, maudit, contemporain ou non, les choses renaissant de leurs cendres, le néant remontant à la gorge du temps et vomissant le Néant, tout alors, dans les livres vides, aurait le goût de moi, de ma chair, de ma foudre, de ma graine.

Je n’existe que pour mieux m’extasier devant tout ce que j’invente : quand je vois un peuplier, c’est moi qui le fais, à l’instant même, et il meurt dès que je meurs à lui. Cette femme qui est montée tout à l’heure dans la chambre de son amant, à Chicago, n’y est montée que rétroactivement, à l’instant précis où je le veux, sous le ruban que bat mon clavier, maintenant qu’elle ouvre grands ses ciseaux pour tailler dans mon tissu de chair et d’ombre, et l’ambulance qui passe dans la rue au moment où elle crie n’y est pas passée et n’y passera pas : l’homme blessé ne mourra pas. D’ailleurs, il est indemne. La machine qui lui a volé sa main, à l’usine, n’est pas encore en marche. Quand je le voudrai, le courant lui donnera son sang, à cette admirable machine qui m’obéit beaucoup mieux que je ne m’obéis. Le temps des hommes n’existe pas. Il n’y a de vivace que le temps de ma folie.

J’ai été cheval avec une voix de mezzo-soprano et je n’aimais que le chant grégorien. J’ai été paquet de cigarettes dans un compartiment de non-fumeurs, à mesurer mes chances. Être mégot, c’était là ma folie : qu’il reste quelque chose de moi, pas seulement de la fumée, non, un cadavre étiqueté, reconnu. Je suis mégot pour l’éternité. J’ai été source, avec des idées champêtres et les goûts sédentaires... mais les hommes n’ont pas voulu de ma sagesse, ils m’ont engrossée et me voilà perdue dans l’Atlantique, perdue, ridicule, mais vivante. Je m’appelle Source. J’ai été tramway et j’ai sombré dans la ferraille, moi qui n’avais de perche que pour la tendre aux amoureux, au terminus, quand on leur crie justement : Terminus ! J’ai été laine sur un mouton et finis mes jours en un matelas d’un admirable artiste qui fait l’amour deux, trois, dix fois par jour, jamais avec la même femme, toujours avec moi. Au moment où les étoiles ne se comptent plus, tellement il y faudrait de mathématiciens avertis, quand les corps plient sous la rage et que la fille gueule dans la seule langue du monde possible, lorsque s’ouvrent, béantes, les seules portes de secours qui ne grincent jamais, alors je me repose dans ma petite laine.

J’ai été papier d’emballage. J’avais un faible pour les paquets rectangulaires, pas trop importants, pour me laisser les coudées franches, avec de la corde me tenant bien de tous les côtés, comme une femme tient ses bas, très haut, sans que cela la blesse. Peu m’importait de me préoccuper de ce que j’avais à contenir : tout m’était bon... Mais, se sentir adorablement coincé, pris au piège du chanvre ou de la soie, c’était là mon souci, le seul. J’ai été la Une d’un grand quotidien du soir, avec tout ce que cela comporte d’inattendu, de provocant. J’ai annoncé la guerre de 14, l’arrestation de Monsieur Landru, la dévaluation de Monsieur Poincaré, bref, j’en passe. Ce qu’il y avait de notable, dans mon cas, c’était l’abstraction que je personnifiais, pas le marbre, ni le papier bien sûr, mais uniquement le concept. Je suis d’ailleurs encore la Une. Je viole, sans être. Ça, c’est intéressant. J’ai été Rockefeller, tous les Rockefeller, du reste ; j’étais déjà Rockefeller sous le règne d’Hammourabi, étant bien entendu que sans code, je n’eusse jamais été Rockefeller. J’ai été rail de chemin de fer, des premiers, de ceux qui regardaient passer les vaches. J’avais le sens de la parallèle et quelques kilomètres à défendre tout seul. Depuis, je suis parti, un beau matin, bras dessus, bras dessous, avec Monsieur Lobatchevski et je suis devenu la géométrie non euclidienne. J’ai été maquerelle dans un bobinard d’Alger, et sur la croix plantée tel un membre, dans le no life’s land, on peut lire : « CI-GÎT MADAME DUCOUDRAIT, RAVIE A L’AFFECTION DES SIENS... PRIEZ POUR ELLE ! »

J’ai été, j’ai été... je suis tout... Je suis toi, passant du boulevard des Italiens, avec la néphrite qui te travaille. Je suis vous, mademoiselle du Café de la Place, vous dont j’invente la jarretière patiemment arrimée ce matin quand, pressée, vous mîtes une pièce de vingt sous pour tendre le bas sur votre jambe frileuse, car le bouton de votre minutieux appareil avait cédé. Je suis toi, mendiant des supplices, avec ta gamelle à sonnaille. Je suis toi, monsieur le ministre du travail qui sues, la nuit, je ne sais quel humide remords qui te rend fat, précis et malheureux. Je suis toi, soldat-musette, je suis toi, le chien d’aveugle, toi le chien de riche. Je suis aveugle et riche et me crève ce qu’il me reste d’yeux dans la bouche, dans le nez, dans les oreilles et dans les mains... et je ne suis plus qu’un écrivain qui écrit.

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Benoît Misère

  • France : 2001-05-25 - Poche (Français)

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