Extraits

Ils s’étaient revus avant cette sortie, bien entendu. Theo avait passé la pleine lune à hurler sous la fenêtre de Zeki, jusqu’à ce que celui-ci lui dise de rentrer, une tendre exaspération filtrant dans le ton de sa voix. Mais ce genre de chose ne pouvait décemment pas être considérée comme un premier rendez-vous, du moins selon les commérages en ville.

Theo gémit, fit un caramel en pensant à sa peau, ajouta des noix et de la cannelle en pensant à son odeur, du café pour l’endroit où ils s’étaient rencontrés, et du cacao pour le contact de leurs mains. L’air sentait le brownie, mais le plateau avait plutôt l’air d’être recouvert d’un riche drap de gâteau, sombre, pas tout à fait sucré, avec du craquant et de la texture.

Zeki contemplait l’affiche du Festival du Printemps dans un silence perplexe. Il prit note de la date ainsi que de la liste des réjouissances, tout comme des montagnes dessinées derrière. Celles-ci étaient associées au festival et ce, depuis sa création sans doute. Et bien des activités proposées restaient les mêmes que celles de ses souvenirs d’enfance. Ce qui l’avait perturbé, c’était ces petits cœurs étincelants en bordure, et les paillettes sur les lettrines. Ça donnait l’impression qu’une fée enfant s’était défoulée sur le papier avec de la colle et un pot de paillettes. Cette affiche était mignonne. Rose. En somme, ça ressemblait à tout, sauf aux publicités qu’il avait pu voir pour ce rassemblement la dernière fois qu’il avait été à Wolf’s Paw.

— Oh, il n'est pas là, murmura une des louves, déçue, comme si Zeki était responsable de lui avoir ruiné son spectacle. Theo n'était pas là pour distraire cette louve.

Zeki la fusilla du regard, puis reporta son attention de l'autre côté de la rue. Il n'aurait pas dû partir comme ça. Il devait aller voir Theo pour lui parler.

— Vous savez où il est ?

Sa nouvelle meilleure amie se tourna vers lui, visiblement inquiète.

— Tu veux qu'on le traque pour toi ?

— C'est tellement romantique...

Il n'y avait donc aucune fin à ces commentaires ! Zeki ignora les autres et se concentra sur la meneuse de la petite meute de la terrasse.

— Vous sous-estimez sérieusement mon pouvoir. Je pourrais le trouver, même s'il était à l'autre bout du pays. Je peux trouver Theo Greenleaf n'importe où.

Et c'était ici qu'il l'avait retrouvé, comme si Theo l'avait attendu, pendant tout ce temps.

Cinq années. Cinq années que le besoin lancinant de son âme sœur, de son odeur qu’il avait à peine pu goûter, de cette force qu’il n’avait fait qu’entrapercevoir sous la surface, le déchirait. Zeki avait grandi, s’était affirmé. Il occupait la place et exigeait qu’on le remarque. Quelque chose chez lui avait réussi à réduire au silence un café rempli de métas et d’humains bruyants et les avait forcés à écouter. Theo s’était senti anxieux face à lui et avait été douloureusement conscient de chacun de ses mouvements. Zeki avait beaucoup bougé, une vraie pile d’énergie, jusqu’au moment où il s’était soudain figé pour focaliser toute son attention sur une seule chose : lui. Ses yeux avaient été si sombres qu’ils en avaient paru presque liquides : Violet avait raison à ce sujet. Les yeux de Theo reflétaient la lumière, tandis que ceux de Zeki l’absorbaient. Des yeux si bruns qu’ils en étaient presque noirs, encadrés par des cils luxuriants. Theo ne les avait pas oubliés, tout comme il n’avait pas oublié son nez intéressant, ou ses mâchoires volontaires, ombrées par un léger chaume, ou sa bouche. Sa bouche restait figée en une ligne tendue, jusqu’à ce qu’il sourie. Alors, elle s’incurvait en s’entrouvrant, tout aussi tentante que la ligne de sa gorge.