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Commentaires de livres faits par Bibounine

Extraits de livres par Bibounine

Commentaires de livres appréciés par Bibounine

Extraits de livres appréciés par Bibounine

p 28
Patricia m'avait quitté pour un autre écrivain au nom à consonance grecque dont elle préférait les romans aux miens et chez lequel elle aimait, accessoirement, les lunettes, le bouc, les jolies boucles poivres et sel et la délicatesse... Pour les livres, j'aurais pu lutter, rivaliser d'humour avec mon adversaire, multiplier les joutes verbales, rehausser la qualité littéraire de mon oeuvre afin d'être à son niveau et ainsi reconquérir ma dulcinée. En ce qui concerne les boucles, c'aurait été perdre mon temps.
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P 24
- Mesdames et messieurs les jurés, lance le magistrat qui, quelques secondes auparavant, brandissant le sachet à scellé, si vous êtes réunis ce matin au tribunal de Toulouse, c'est pour répondre à une seule question. Mr Puestolas, ici présent, a-t-il tué Mr Dupont de Ligonnès pour protéger sa propre personne . Maître Fortin, votre client plaide la légitime défense. 94 ! Voilà le nombre de coups de couteau à beurre que le médecin légiste à comptabilisés sur le visage de Mr Dupont de Ligonnès. 94 ! Elle a bon dos, la légitime défense !
......
- Pendant l'altercation, Mr de Lignonnès a plongé la tête de mon client dans la friteuse ! lance mon avocat. (Je lui en suis particulièrement reconnaissant car tout à coup, les regardes se détournent de moi). Celui-ci a d'abord mis les mains pour se protéger le visage mais, sous la contrainte, il a fini la tête dans l'huile bouillante. Dans un dernier élan de survie, Mr Puertolas a alors pris le couteau à beurre qui se trouvait sur le plan de travail et a cherché à tuer son agresseur afin que tout cela cesse. Nous en aurions tous fait autant. Enfin, j'imagine : on ne m'a jamais mis la tête dans une friteuse. 94 coups de couteau contre l'huile bouillante, c'est tout de même déjà plus proportionné que ce que vous vouliez bien nous faire croire, Monsieur l'avocat général.
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p 13 La première fois qu'il l'avait vue, c'était une fillette pâllotte qui donnait la main à son instituteur. Elle avait les jambes grêles qui semblaient commencer au dessous de ses épaules et un visage long avec deux yeux noirs arrondis par une fatigue qu'un aurait dit perpétuelle.
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p 17
Catherine est restée chez nous durant 17 ans et elle a continué à progresser : elle était méconnaissable, si l'on compare avec son état lors de son arrivée. J'étais fière du travail accompli avec elle.
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p 16
mon premier placement a été très dur : je devais verrouiller mes propres émotions, car si je ne le faisais pas, je sentais trop découragée, bouleversée, désabusée, pour agir de manière efficace...
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p262
J'avais trop peur qu'il me prenne pour une folle, car qui ne l'aurait pas pensé en apprenant que j'avais réveillonné seule au Lutetia, dans la chambre "Eiffel Deluxe avec balcon" ou mes parents s'étaient donné la mort ?
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p 45 idée clé du jour
l'amour est un processus qui favorise l'attachement intime. La recherche de proximité et de sécurité est au coeur du lien amoureux. A l'age adulte, un être construit sa vie affective en fonction du lien vécu avec ses parents.
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p 13 L'amour est une relation
Chaque être porte en lui le désir d'aimer et d'être aimé, désir dont le ressort principal est l'é&motion d'amour. Cette émotion seule, passagère, soumise à des conditions, ne peut suffire pour répondre aux besoins dondamentaux d'intimité et de sécurité.
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C'est sur la lande qu'il rencontre une troupe de chevaliers et derrière eux un écuyer, tout seul, l'écu au cou menant par la bride un cheval d'Espagne.
Il l'appelle :
"Ecuyer, dis-moi qui sont ces gens qui passent ? "
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Si le romantisme se caractérise par l'originalité, la violence, une inspiration volontiers onirique et le goût pour l'insolite, l'irréel, on peut considérer que Gautier est resté fidèle aux valeurs qu'il a défendues dès sa jeunesse.
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Océane gare sa camionnette au bout du chemin, après un coup de frein assez brutal. Aussitôt la porte latérale s'ouvre et son fils, Arthur se précipite dehors en criant :
- Dis donc, maman ! Tu es peut-être une super biologiste, mais tu conduis vraiment mal ! J'ai envie de vomir...
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p 146
" Ils allaient ensemble à la messe. Danielle ne buvait plus de whisky et elle reprochait amèrement à son frère Olivier de continuer à fréquenter les boites de nuits avec Rubi ; avec Pierre Louis, ils partaient seuls à la campagne dans leur petite Ford et devaient passer des vacances bourgeoises à Arcachon. "
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date : 19-12-2023
Au bureau des personnes disparues de San Francisco, un policier posa les questions rituelles, constitua un dossier qu'il rangea avec tous ceux qui portaient le nom "enquête en cours" et constata que les maries abandonnaient le domicile conjugal à Bay City aussi bien qu'ailleurs.
La disparition de Frank Crossland, pensa-t-il serait suivie d'une enquête très ordinaire qui ne èénerait probablement nulle part.
Si le policier avait possédé tous les éléments de l'affaire, il en eut jugé autrement.
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p 132 (livre de poche)
La haine de Kadhafi
En 1956, il rachète pour 50 000 dollars une petite société pétrolière au bord de la faillite, Occidental Petroleum, qui possède un seul puits de pétrole dans la banlieue de Los Angeles, d'ou sont extraits environ 1000 barils par jour. Il met peu de temps à suivre le conseil prodigué par l'un de ses amis, petit homme au visage triste, détenteur d'une des plus grosses fortunes de la planète, Paul Getty : "pour être quelqu'un dans le monde du pétrole, il faut avoir un pied au Moyen-Orient".
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date : 03-12-2023
p 33
Je suis née à Créteil, ça on l'a déjà dit cent fois, le 16 aout 1946. Quand j'ai débuté à 16 ans, il y a des gens bien intentionnées, genre Saint Thomas, qui ont été vérifier à la mairie ma date de naissance. Ca leur paraissait incroyable qu'on puisse réussir dans l'existence avant d'avoir des cheveux blancs. Ils en ont été pour leurs frais de déplacement.
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date : 03-12-2023
p 42
Je m'appelle Dilara, mais tout le monde m'appelle Didi.
je suis née à Dahuk, dans le Kurdistan irakien.
J'ai traversé l'Europe à pied.
J'ai dix ans, enfin je les aurais demain.
J'ai un peu peur. Je n'ai pas réussir à dormir.
Mais pendant que je cherchais le sommeil, j'ai trouvé quelques choses d'important.
Etes-vous capable de garder un secret ? Je sais enfin ce que je veux faire plus tard !
je ne veux ni écrire le nouvel Harry Potter, ni gagner des milliards à la City. Je veux seulement inventer un moyen pour que plus jamais aucun enfant, aucune femme, aucun homme ne risque sa vie parce qu'il ne veux pas rester enfermé là ou le hasard l'a posé, le jour où il est né. Je veux juste inventer une gomme magique qui efface toutes les frontières de la Terre.
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1er septembre 1991
Chère mamie, j'espère que tu vas bien et que papy aussi.
Ça y est, j'ai un petit copain. Il s'appelle Olivier, il n'est pas aussi beau que Marc, mais lui il veut de moi, c'est une qualité comme une autre. Il a même attendu que je n'aie plus mes bagues aux dents pour sortir avec moi.
On avait rencart à la fête foraine. Depuis trois jours, une seule question occupait mon esprit : dans quel sens on tourne la langue ?
J'ai cherché dans l'encyclopédie de papy, à « embrasser », à «pelle » et à « galoche », mais j'ai rien trouvé. Mes copines sont divisées sur le sujet, et je me suis bien gardée de demander à maman, elle va encore péter les plombs comme quand je lui ai piqué un string.
Olivier cocotait sévère, apparemment il s'était aspergé de parfum à chiottes. Je l'attendais derrière les auto-tamponneuses, je l'ai senti arriver avant même de le voir. J'en menais pas large, mais je me suis lancée, en mode apnée, toute langue dehors.
Olivier ne tourne ni à gauche, ni à droite : il aspire. J'ai cru qu'il allait embarquer toute mes dents. Et mes amygdales avec. Le mec est un trou noir. Il est gentil et en vrai j'étais fière, mais dès demain je vais être obligée de rompre. J'ai porté mes bagues trois ans, c'est pas pour me retrouver sans dent.
Gros bisous à toi et à papy.
Ginie
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6 décembre 2000

Chère mamie, j’espère que tu vas bien et que papy aussi.
Hier, j’ai passé mon premier entretien d’embauche depuis que j’ai eu mon BTS. C’était pour un poste de conseillère clientèle au Crédit Mutuel, j’ignore pourquoi j’ai postulé alors que je suis capable de ruiner la banque au Monopoly, mais il faut que je bosse, alors j’ai envoyé des CV partout. On était une centaine à passer des tests, cinq seulement à accéder aux entretiens, autant te dire que j’y allais avec l’optimisme d’une dinde le jour de Noël. Après deux heures de tests logiques, j’ai eu la surprise d’apprendre que je faisais partie des élus. Je n’étais absolument pas préparée à passer un entretien, les autres candidats semblaient bien plus aguerris (en plus d’avoir des fringues repassées).
Les recruteurs m’ont demandé de commenter mon CV, qu’ils trouvaient « éclectique », apparemment ils n’avaient jamais rencontré quelqu’un qui avait castré du maïs et assemblé des cheeseburgers.
Ils ont insisté sur la nécessité de savoir convaincre, d’être force de proposition, ils glissaient « pugnace » à chaque phrase, je hochais la tête avec assurance en repensant à toutes ces fois où j’ai acheté quelque chose juste parce que je n’osais pas dire non au vendeur.
Ensuite, ils m’ont demandé de leur citer deux défauts et deux qualités. J’ai commencé par mes défauts, en utilisant ceux que nous avaient conseillés la prof de commerce : « Je suis très exigeante, surtout envers moi-même, et je suis obstinée ». C’est faux, j’ai l’obstination d’une algue, mais apparemment les entretiens d’embauche ne s’encombrent pas de vérité.
C’est quand il a fallu citer deux qualités que ça a merdé. Je ne sais pas ce qui m’a pris, sans doute mon besoin d’être aimée. J’ai dit « je suis gentille ».
J’ai d’abord vu passer le vide dans leur regard. Puis une profonde perplexité. J’ai même décelé une certaine crainte, des fois que ce soit contagieux.
Je suis certaine que, dans trente ans, ils se souviendront de cette jeune fille qui a dit qu’elle était GENTILLE pour bosser dans une banque.
Je pense que je vais retourner castrer les maïs.
Gros bisous à toi et à papy.
Ginie
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date : 22-11-2023
— Comment est-il ?
— Il va bien en ce moment.
— Mais comment va-t-il depuis la dernière fois que je suis venue ? J’ai dû
m’absenter…
Lucie Lescaut, tête baissée, le visage terne, posa le regard à sa droite, vers le
haut du mur parcouru d’une large bande jaune orangé sur la partie inférieure.
Comme un trait soulignant l’infinie longueur du couloir vide et oppressant.
— …Disons, que je ne pouvais pas venir…Se crut-elle obligée d'ajouter.
— Nous devons convenir, et bien, qu’il a eu, dirons-nous, des moments plus
euphoriques que d’autres. Mais là, globalement, il est calme…
Le Professeur Palefroy adopta le ton apaisant que ses soixante-cinq ans lui
conféraient. Il se tenait à moins d’un mètre de Lucie. La distance permise, s’il en
avait eu la trivialité, pour la réconforter d’une main compatissante lui affleurant
le dos.
— Vous lui donnez toujours quelque chose ?
— Madame ! On lui donnera toujours quelque chose. Vous savez, la
pharmacopée n’est jamais conseillée sur le long terme pour le quidam. Mais
pour des personnes comme votre mari, un traitement ad vitam n’est pas
simplement recommandé, il est obligatoire.
— Comment en est-on arrivés là ? Lucie se passa la main gauche dans les
cheveux. Ça fait tellement longtemps, que je ne me souviens même plus de
l’époque où tout... Enfin, plutôt, quand il était… « Normal » !
— Ne vous torturez pas. N’ayez pas de regret Madame ! Sachez, que cette
époque n’a jamais vraiment existé ! Avec une pathologie comme celle dont
souffre votre époux, la réalité a toujours été, comment dirais-je, en strates…Les
chimères dans lesquelles il vit sont multiples. Ces différents mondes coexistent
même de plus en plus, l’âge venant.
Le Professeur esquissa une avancée de quelques centimètres dans l’ignorance
confortable de Lucie.
— Ce qu’il y a, c’est qu’à votre rencontre, c’était…Comment dirais-je,
moins prégnant. Et si jamais il s’en était rendu compte à un moment ou un autre,
il a pu, sur une certaine durée, maitriser – comment dire ? - ses allers-retours
dans ces autres réalités.
Le Professeur Palefroy approcha ses lèvres de l'oreille droite de Lucie.
— Mais il a toujours voyagé. Vous avez dû le remarquer assez rapidement ? !
— Je l’avais bien entendu parler seul à haute voix peu de temps après avoir
emménagé rue Mirandole. Lorsque je lui demandais à qui il parlait il me
répondait des choses du genre : imiter ce qu’il avait entendu à la radio. Et puis il
a multiplié tant ces bavardages à hautes voix et sans pudeur que je me suis dit
qu’il était un peu dingue. Enfin, je veux dire, juste rigolo. Mais...
— Il est vrai qu’une reprise frénétique des vocables ou sonorités entendus est
un des multiples symptômes pouvant alerter sur la…
Une larme scinda la joue gauche de Lucie et creusa un sillon clair au milieu
de son fond de teint au ton naturel. Si son époux avait été conscient, il aurait vu
le visage cerné par la lucarne de la porte sécurisée de la chambre hospitalière. Il
aurait reconnu le visage de son épouse, sans son corps. Il aurait compris le mal
qui la terrassait et dont il était la cause. Mais Lucie resta, comme à chacune de
ses visites, juste plantée devant la porte fermée, le visage collé contre l’encart
vitré. La seule fenêtre disponible sur son mari. Moins qu’un mirador, plus une
âme brisée qui surveille l’être aimé. Une vue que Lucie saisissait de manière
épisodique, même si cela lui provoquait une peine déchirante, et ce, jusqu’à
l’alitement forcé comme après sa dernière venue.
— Le premier jour où je l’ai entendu parler seul…Ce jour, je m’en souviens
portant très bien…Mais je n’avais pas compris ce qu’il disait, donc j’y ai cru...
J’ai cru qu’il pastichait ce qu’il avait pu entendre en d’autres occasions à la télé
ou la radio…
La voix étranglée, Lucie regarda, les yeux fardés de tristesse, l’homme
qu’elle aimait se balancer d’avant en arrière, assit sur le lit défait, en robe de
chambre molletonnée blanche.
Lucie Lescaut était de ces femmes dont la beauté ne souffrait d’aucune
contestation. Et les années qui s’étaient pourtant difficilement égrainées n'y
changeaient rien. Le malheur d’être l’épouse d’un homme dit anormal, pour les
plus réservés des gens qui l’entouraient avec maladresse, ou plus prosaïquement
fou, pour tous les autres, une fois le dos tourné, ne rognait en rien l’effet qu’elle
provoquait sur les gens. Hommes ou femmes. Oh, non les réflexions n’étaient
pas méchantes. Personne ne souhaitait de mal à Lucie.
À la bonne fortune d’être empiriquement jolie, elle ne souffrait d'aucune
animosité. Elle n'était pas perçue comme une rivale, ou une ennemie dardée de
tous les bénéfices que la vie peut accorder : la beauté, le physique plantureux, un
mari, des enfants parfaits qui allaient, comme de juste, dans une excellente école
privée, une belle maison, de belles voitures…Les gens avaient un a priori positif
sur Lucie. La copine toujours présente. La femme désirée, même lors de la
besogne du jardin, vêtue d’un pantalon trop large et d’un T-shirt décoloré. Même
un travail fastidieux qui tendait à l’ébouriffer, autant qu’elle puisse l’être, ne
pouvait jurer. Lucie n’était pas une femme sophistiquée à courir derrière les rites
consuméristes et créateurs de la figure féminine du vingt-et-unième siècle. Elle
ne participait pas à la chasse du dernier magasin vestimentaire, mais surtout
indépendant, dont il faut absolument dévaliser les étagères. Elle ne concevait pas
non plus l’idée d’appartenance à tel ou tel groupe hébergé gracieusement par un
réseau social. Lucie savait qui elle était et ce qu’elle voulait. Sa beauté naturelle
transcendait simplement les modes. Même lorsque la tristesse lui embruma le
visage et que ce sourire, qui fit fantasmer bon nombre des amis de son mari, ou
les époux de ses copines, disparut un beau jour pour ne laisser place qu’à
l’expression d’une mélancolie anesthésiante. Un vide.
Car oui, tout semblait parfait dans la vie de Lucie, sauf que son mari, rouage
essentiel dans la composition du tableau de vie idéale ne l’était pas, lui, parfait.
Certes, pendant plusieurs années il parut être le digne représentant, aux yeux de
la belle-famille et des amis, de ce qui est convenu d’attendre de celui qui doit
jouer ce rôle pour une femme comme Lucie. Tout d’abord, ce rôle doit être
incarné physiquement. Et de ce côté, Michael cochait toutes les cases. Il avoisine
les un mètre quatre-vingts, athlétique, cheveux courts. Et le visage d’achever le
reste. Il avait toujours été l’objet de convoitises au cours de sa scolarité. Ensuite,
pour ce rôle de mari idéal, selon les parents de la fille à marier, il fallait à
Michael une stature sociale. Une profession immatérielle et indescriptible dans
l’univers informatique fit aisément l’affaire. Il ne semblait pas être contraint
dans son activité et le niveau de vie qu’ils menaient avec Lucie finit d’emballer
le paquet.
Mais pour Lucie, cet idéal se nichait dans des recoins, des instants de vie
jamais mis en avant. Une épaule réconfortante le soir, une protection douce. Il
incarnait la raison du choix qu’elle avait fait à vingt-deux ans, alors étudiante en
Droit Public. Il était en fait pour elle, comme pour les autres, l’artisan physique
de la sérénité de la vie qui circule sur des rails -qu’il a posé lui-même- à allure
constante. Tout le monde imagine que pour une femme telle que Lucie il faut un
homme sans égal. Tous auraient aimé être le conjoint de Lucie. Michael ne
souffrait de sa situation car pour bon nombre d’hommes, si la gent masculine la
désirait, très peu pensaient être à la hauteur d’une telle femme. Alors, Michael
pouvait être jalousé mais sans aversion.
Dans le bureau du Professeur Palefroy, assise les mains refermées sur les
genoux, les cheveux remisés en arrière et tenus par un simple élastique bon
marché, Lucie ne regardait pas le Professeur. À vrai dire, elle éprouvait les plus
grandes difficultés à fixer les autres dans les yeux. En fait, elle avait beaucoup de
mal à simplement lever la tête et à regarder devant elle.
— Vous savez Madame Lescaut, je vais vous parler sans ambages. La
maladie de votre mari est irréversible et plus il vieillit, plus il s’enfonce dans cet
ersatz de réalité, de multi-réalité en fait. Il ne reviendra jamais.
Cela faisait cinq ans que Michael Lescaut avait été diagnostiqué
schizophrène à tendance paranoïde. La pathologie dont il souffrait n’était pas
classique ou courante pour le Professeur Palefroy. Pour ce dernier, Michael
Lescaut variait de l'analyse psychiatrique conventionnelle par le mécanisme
même du dysfonctionnement de sa personnalité.
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date : 22-11-2023
Les arbres se balançaient en tous sens. Ils se gondolaient et gémissaient sous
le battant humide des rafales que la tempête disposait à son gré. Les troncs
peinaient à retenir leurs branches déplumées et hurlaient comme les renégats,
qui, sous la torture des temps moyenâgeux (où les hommes n’en étaient déjà
plus) se retrouvaient démembrés. Leurs râles de douleur s’échappaient dans une
course sans à-coups. Les éclairs crissaient et déchiraient une nuit sans étoiles de
cicatrices aveuglantes. Ils laissaient des traces qui, si elles semblaient disparaitre
aux regards des êtres qui contemplent le haut, marquaient et morcelaient à
jamais le ciel si bas.
André Marcil et Pic Mestras s’étreignirent, tempe contre tempe, comme pour
mieux s’isoler dans ce vacarme chantant l’impuissance de l’homme et dévoilant
toute sa petitesse face aux éléments. Les mains plaquées sur les épaules, les
omoplates, et faisant de leurs dos un bouclier contre le déchainement ambiant.
Ils formèrent une bulle. Un refuge.
Plantés au milieu de rien, ici, dans l’un des rares vallons à découvert du
Territoire des mille lacs, les deux hommes se saluèrent pour la dernière fois
avant de poursuivre séparément leurs chemins. Des destinations qui semblaient à
l’opposé l’une de l’autre. Cette accolade trahissait la crainte dissimulée, qu’ils
ressentaient à cet instant décisif. Le moment de se séparer approcha
inexorablement. Les visages usés, des cheveux balayés et des vêtements aussi
sales que détrempés, seuls leurs bras solidaires purent encore caractériser une
volonté, une humanité disparue. Ils se tinrent l’un à l’autre comme si cette
posture leur assurait de tenir, de ne pas s’envoler, et se perdre. Ils étaient l’un
pour l’autre la poutre à laquelle l’une de ces deux âmes perdues pouvait
s’accrocher par gros temps.
— Fais attention à toi mon ami ! Cria en articulant exagérément André
Marcil dont l’émotion concurrençait le vent afin d’affecter le regard de ce
dernier. Il continua.
— On est allés…comme au bout du monde ! Mais ce n’est pas un précipice
qui est là devant nous !
— Ne t’inquiète pas ! Toi, prends garde… et n’oublies pas que si l’un de
nous échoue, il n’y a pas d’autre chance ! S’en sera fini ! Hurla, à demi audible
dans la fureur venteuse, Pic Mestras, qui avait déjà depuis quelques secondes
remisé sa pudeur, et laissé le champ libre à la course folle des larmes qui
trahissaient les plus sombres des sentiments sur l’issue de la mission périlleuse
qu’ils s’étaient fixée
— Mais l’idée n’est pas d’échouer ou de réussir…L’idée c’est de rester en
vie Pic, et si tel est le cas, alors nous aurons réussi ! La voix d’André Marcil se
fît plus déterminée.
Pic Mestras se dégagea comme pour constater l’effrontée sensation qui
animait son ami de toujours. Oui, André Marcil semblait croire, de tout son être,
en la réussite de leur projet. Avait-il bien compris le plan ? Pic Mestras s’efforçât
alors de sourire autant que son honnêteté le lui permit et prit la tête bravache de
l’inconscient qui lui faisait face entre les mains. Comme le geste rassurant d’un
frère plus aguerri à un autre plus sauvage. Pic Mestras fût traversé de part en part
de phrases vagabondes. Les mots se succédèrent et s’imbriquèrent
mécaniquement. Il voulut lui dire :
« Mais tu ne te rends pas compte qu’il est plus que probable que l’un de nous
n’en réchappe. Oui André, il est plus sûr que la mort nous attende, et qu’elle ne
sera pas douce ! ».
Il aurait voulu lui dire tout cela. Il ne voulait pas que la moindre ambiguïté
entache la position de son compagnon d’aventure et de ce qu’il s’apprêtait à
faire. Il ne voulait pas que celui-ci se lance à corps perdu dans une action dont
l’issue, sans la moindre équivoque, serait la fin de sa vie, de la leur, sans avoir
bien compris qu’il n’y avait aucune échappatoire. Que s’ils se lançaient dans ces
actes inconsidérés c’était moins pour se tirer d’affaire que par pure bravoure. On
n’attend pas son châtiment. C’est comme cela que Pic Mestras avait toujours
vécu : Il faut aller de l’avant et se tenir debout lorsque la mort viendra faire sa
besogne. Aussi injuste soit-elle !
Mais il n’arriva à sonoriser cet enchainement de mots. Ou plutôt, il ne le
voulut pas, en son for intérieur. Il savait, jusque dans ses tripes, que les
événements passés lui incombaient entièrement. Il avait monté, pierre après
pierre, le monde dans lequel ils vécurent. C’est lui qui avait battu l’horizon en
brèche afin de trouver des idéalistes qui, comme lui, aspiraient à autre chose, à
un ailleurs où une autre vie serait possible. Mais surtout, Pic Mestras respira
depuis lors, jusqu’à l’étouffement, cette sentence qui fit verser le sang. André
Marcil avait partagé cette décision irréversible, comme toutes celles prises par
Pic Mestras, depuis qu’ils s’étaient implantés dans ces contrées vierges
d’humains. En réalité, il le soutenait depuis qu’ils se connaissaient.
— Ok André, OK…Alors on se retrouve comme prévu, quand toute cette
merde sera finie, pour une grillade d’anguilles au bord du lac des Racous. Le
regard fixe, Pic Mestras commença à trouver la force d’un sourire plus prononcé.
— Les lacs nous offriront à jamais un banquet pour ce que nous allons faire
Pic. Tout sera réparé. Et nous pourrons reprendre notre vie, comme avant…
Le vent grondait sa rage. La vision d’André Marcil se brouilla tant que son
ami n’eût plus qu’une apparence sombre, sans chair ni âme. Le vent redoubla. La
pluie, aiguisée, marqua les visages des deux hommes. Pic Mestras baissa autant
les bras que les yeux, se retourna avec hâte et se mit à courir dans la nuit. Il se
devait d’arracher à chaque foulée les talons du sol vaseux qui s'offrait à lui. Les
cuisses menaient l’action. Les genoux ne faiblirent pas. André Marcil essaya le
plus longtemps possible de le suivre du regard à travers la nuit et l’orage. Mais
en un instant, Pic Mestras disparut dans la volute du vent, comme éjecté de la
clairière.
À son tour, André Marcil se tourna et avança, d’un pas englué, lui-aussi, dans
la boue fraiche, vers le sous-bois qu’il devinait. Il connaissait sa mission. Sa
feuille de route était tracée. La posture mal assurée, peinant contre les éléments
hostiles à sa démarche, André avança tel un forçat fers aux pieds.
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date : 22-11-2023
Eh bien voilà, c’est fait. Arrestation effectuée. La mise en accusation est
déballée, à l’instant même, par Simon. Et ce, sans une pause dans le débit. Viol
et séquestration sur mineure de moins de quinze ans. Le mec ne dit rien. Il
semble accuser le coup. Mais il le fait genre guerrier samouraï ou truand
expérimenté. C’est- à-dire qu’il ne pleure pas, ne gémit pas, ne se plaint pas. Il
prend la situation et ne dit rien. Dehors, il fait plutôt froid pour une fin
Septembre. Il doit faire entre quatre et cinq degrés à l’extérieur. Enfin, j’me
ballade pas avec une station météo dans les poches. Mais si je devais jouer et
donner un chiffre ou deux, comme ça, à la truffe, c’est bien ça que je dirais. Et
pas plus ! C’est le type de froid un peu fourbe, qui s’empare de la ville sans se
déclarer. Il fait très clair pourtant. On peut presque parler de soleil pour ce début
d’Automne, à quoi seize heures ?
— Quelqu’un à bien noté l’heure du début de la garde à vue ?
C’est ça mon présent. Une activité sans interruption dans un monde
dégueulasse. Et où il fait froid comme dans une morgue. Mais pas simplement
froid. Dans sa piaule, il ne fait pas beaucoup plus chaud en fait. Pour un espace
fermé, bétonné, un appartement HLM du troisième étage en plus, il doit faire
dans les dix-sept, dix-huit degrés. Et le type est là, torse poils, assis à la petite
table pleine de miettes et des ronds laissés par les bols quand on y verse trop de
café ou qu’un filet s’en échappe à chaque fois qu’on y colle ses lèvres. Les
empreintes beurrées du mec qui trainassent un peu partout. Les autres
inspecteurs, mes subordonnés, l’ont collé là après son interpellation. Quand on a
frappé à la porte, qui n’était même pas fermée, le mec roupillait du sommeil du
juste, sur un fauteuil jauni et usé, mais plutôt confortable à vrai dire. Je m’y suis
mis le temps de la perquisition, faire semblant de réfléchir. Ouais, ça on ne peut
pas lui reprocher, encore un peu et je pourrais m’endormir aussi. Sauf que moi
j’ai un manteau et un pull. Putain, qu’est-ce qu’il a dû se mettre pour réussir à
piquer du nez à moitié nu dans une telle froidure. Il pue la bière et le « blended »
de discounter à plein nez. Ça devait chauffer là-dedans !
L’appartement n’est pas plus sordide que ça, en toute honnêteté. Il est même
plutôt propre et tenu par rapport à ce qu’on peut voir habituellement lorsqu’on
fait une descente dans ce quartier de Montfermeil. Ou dans ce type de cité
n’importe où ailleurs. Et j’en ai vu, bien malgré moi, des studios plein de pisse
qui colle sur le balatum. Dans beaucoup de ces apparts ce n’est pas le syndrome
de Diogène dont souffrent les gens, c’est plus de l’inertie. Pourquoi ranger les
choses ou descendre les ordures ? Ça ne gêne pas ici ! Bon, d’accord il n’y a pas
grand-chose au mur ici. Le mec ne s’embarrasse pas de déco. Il n’y a pas
beaucoup de meubles non plus, ni même de vaisselles maintenant que je regarde
plus consciemment le plateau de l’évier au bout de la pièce cuisine-salle à
manger et salon trois en un. Il doit être un fervent acteur du courant minimaliste
tant en vogue depuis quelque temps. C’est vrai, on consomme trop. Mais mon
client fait beaucoup plus bohème que bourgeois. Pour sûr, il s’en tient à ses
idées. Il a au mieux deux exemplaires de chaque article de cuisine : deux
assiettes, deux verres, etc... Si il reçoit un ami de sa qualité et qu’il est dans l’état
où il s’est mis aujourd’hui, un faux mouvement et hop, le copain mange dans la
même assiette. Là, assis sur le trône de velours usé du roi de l’univers plateautélé, je suis encore à rêvasser au lieu de participer à la collecte d’indices. Mes
rêveries m’entraînent comme d’habitude à me poser des questions-comment
dire-mystiques ? C’est-à-dire, que je me demande, depuis quelques descentes,
comment ceux qui répondent à la dénomination d’hommes ou femmes font pour
accepter ce genre de vie. En ont-ils conscience ?
Mais on n’était pas là pour jouer aux assistantes sociales ni aux sociologues.
Notre client, on le tenait pour ce qu’il avait fait. Ah oui, je dois dire plutôt ce
qu’il aurait fait à cette gamine de moins de quinze ans. Je sais, on connait déjà
toute l’histoire. On n’a aucun doute. Mais c’est comme ça. On sait aussi ce que
lui et son baveux vont raconter, à nous et au juge : « Non, ce n’était pas une
séquestration. Il l’a invitée à dormir et elle a décidé de rester le week-end entier !
Du Mardi au Jeudi. Non, il ne l’a pas forcée. Il la connaissait. Et quoi ? Oui on
peut s’aimer même quand on a trente ans de plus que l’autre. Il n’y a pas eu de
viol ! Elle en avait envie. En fait, non, maintenant qu’il y repense, il ne l'a pas
invitée, c’est elle qui a frappé à la porte, a forcé le passage jusque dans la
chambre en lui sautant au cou... ».
Le hic pour notre futur personnage d’émission criminelle, dont la télévision
est si friande depuis plusieurs années, c’est que l’image le fascine, l’excite
surtout. Et, la caméra l’inspire tellement qu’il a tout filmé. C’est ce que je
regarde en ce moment. Simon a ramené une boite à chaussure remplie de
cassettes DV. Vieux matériels du sentimental qui consigne ses exploits sur le
même support depuis plus de vingt ans à en croire les inscriptions sur les
cassettes. La technique ne trahirait pas ses performances. Il pouvait pratiquer à
l’envie une comparaison sans faille de ses saloperies. Le caméscope était
toujours branché à la télé. Lorsque Simon a ouvert la bécane pour y fourrer une
cassette prise au hasard dans la boite, il m’a montré qu’il y en avait déjà une
dedans. Dès que Simon a appuyé sur lecture, on n’a pas eu besoin d’attendre
longtemps pour voir cette ordure vautrée sur la pauvre gamine en pleurs. Toufik,
l’un de mes adjoints depuis plusieurs mois se lance alors dans une de ses
appréciations toutes personnelles mais aussi dérangeantes.
— Putain, il devait être en train de se branler en regardant sa cassette ! Peutêtre même avant qu’on arrive ! ! Fais gaffe Chef, y’en a peut-être plein le
fauteuil !
— Ta gueule Toufik ! Il dormait devant les Anges... rétorqua Simon.
Quoique, le programme aurait pu l’inviter à la même pratique. Quelle merde !
Egoïstement, je me dis que cette ordure allait obliger plein de gens respectables à
regarder ses saloperies. Un moment sans humanité. Je demande à Simon
d’accélérer un peu. Pas besoin d’avoir eu une initiation à l’image pour me rendre
compte de ce que je voyais. Pour me rendre compte de ce que ce givré lui a fait
subir, de l’horreur qu’elle a enduré.
— Bon, arrête ça... J’en ai assez vu !
Je me redresse et me rapproche du client. Je le fais se lever d’un geste du doigt
vers le haut. Il se dresse. C’est une baraque le mec. Il ne fait pas très propre en
plus de ses cheveux gras. Lui, a vue de nez, il va en battre des records de
diffusions quand il passera à la télé dans une de ces belles émissions de meurtres
qui bercent les soirées des travailleurs, avides de se détendre devant un bon
programme. D’ailleurs, il les collectionnera les breloques télévisuelles. Il va
faire toutes les émissions du genre. Et il y en a quasiment une par chaîne. Il sera
célèbre dans l’horreur et le dégueulasse ! Oh, il ne faut pas croire, certains ça les
intéresse cette célébrité-là. Comme celle qui se targue d’être une star, du porno
certes, mais star quand même ! Le besoin de notoriété, d’être reconnu, même si
ce n’est pas dans le satiné, l’important c’est de briller. Si ce n’est pour un disque
ou une émission alors ce sera pour un crime ou un attentat. Il s’appelait comment
déjà le tueur de John Lennon ? Chapman ?
Mais je ne sens pas trop ce type d’errance chez celui dont je dissèque,
centimètre par centimètre, sa grande carcasse pourrie. Au contraire, il fait partie
de ceux qui veulent se cacher, se terrer, ne pas être à la face du monde pour vivre
leurs perversions dans l’ombre.
— Bon, d’accord... On vous a lu vos droits ? Je regarde les autres flics à
proximité. Lui ne pipe pas un mot. On va aller au commissariat. On parlera un
peu là-bas. Puis vous serez auditionné dès que possible par le juge... OK ? ! Là,
je baisse la tête, car de regarder vers le haut comme ça, me donne mal au cou.
Ou c’est sa tronche qui me donne mal aux yeux. Ses pognes, entravées et
ramenées à hauteurs de ceintures, sont quasiment à ma poitrine. Putain les gars !
Les menottes c’est derrière merde !
— C’est moi qui ai demandé car je m’suis fait opéré à l’épaule, et derrière ça
f’rait trop mal... Dit-il d’une voix sans caractère. Presque fluette. Le timbre
d’une gamine de quinze ans, justement, qui viendrait lire une histoire à un gros
dégueulasse pour qu’il puisse s’endormir. Il me donne envie de gerber !
De l’index et du majeur, bien tendu, je lui demande alors de pivoter. Les deux
doigts mimant un tourniquet, je l’enjoins à se retourner comme pour mieux lui
faire payer ses horreurs. Pour que ça vienne comme ça, par surprise, sans qu’il
puisse le voir arriver. Par derrière, comme cette merde aime à le faire. Trop mal ?
Tu crois que ce que tu lui as fait à cette gosse, ça fait pas mal ! Putain, j’te
sodomiserais bien avec la matraque du premier connard d’agent de la paix que je
trouverais en bas mon enfoiré ! Je regarde Simon qui emporte la caméra DV.
— Ah ouais, t’as mal sinon... Allez, foutez lui les menottes dans le dos
bordel ! Soyez un peu... réglementaires !
Fred le détache, parallèle à la table, lorsque le gars, une fois les deux mains
déliées, le pousse violemment. Fred, dans les quatre-vingt-cinq kilos, valdingue
comme une brindille sur la table qui ne tient pas sous le choc. Le gars assène une
manchette à Simon qui s’écroule au sol. Je tire mon flingue de son étui et lui
hurle d’arrêter. Il pousse un pauvre gardien en uniforme qui ne faisait que le
nombre et le planton devant un mur où, à la réflexion, on aurait pu mettre une
plante verte avec un peu de goût pour la décoration d’intérieur. Aussi utile, aussi
ornemental. Le suspect disparait. Je ne le vois plus. Mes yeux ont trop trainé sur
ce putain de mur.
Toufik se met à gueuler. Il nous dit que l’autre s’est enfermé dans la salle de
bain située au milieu d’un petit couloir étroit et sombre. En fait tout le monde
gueule. Simon a la mâchoire pétée. Et Fred me regarde façon colère qui lui brule
les yeux. Pas de bavure les mecs. D’accord l’autre ordure aurait mérité de ne
plus avoir le droit de se lever définitivement de son lit dès qu’on a su ce qu’il
avait fait à cette petite fille. Et encore mieux après qu’il ait tabassé ne serait-ce
que l’un de nous. Mais non, notre boulot c’est d’interpeller. Et on ne nous
pardonnerait pas autre chose. En une seconde, la situation s’était inversée. Il n’a
pas vraiment un avantage sur nous. Non. Par contre la quiétude et l’assurance de
maîtrise, comme on dirait en formation de gestion de crise, n’existaient plus. Un
pistolet braqué sur une porte close et des voix plus aigües. C’est ça la scène que
l’on vit tous maintenant. Que tout cela est dérisoire. Pendant que les coups
pleuvaient, je n’aurais pas eu besoin de stéthoscope pour vérifier mon état de
fébrilité. J’aurais pu compter moi-même les pulsations rebondir dans la poitrine,
à m’en faire bouger presque sur place. À chaque fois que mon cœur pompait de
grosses floppées de sang ça, me provoquait des secousses jusque dans les
oreilles. Cet organe si expressif avait résonné en moi si fort que j’en avais été
inopérant, absent, non fiable. Pour un directeur d’enquête, être si amorphe dans
l’action pose question. Si les autres l’ont remarqué, je suis fini.
— Sors de là !
— Ouvre la porte !
— Fermez-vos gueules ! Je me ressaisis. Les mots sortent seuls, de manière
presque robotique. Ecoute, rends pas ça plus compliqué.
Voilà, les heures de formation sur la gestion de crise prennent le dessus. Je
suis en pilotage automatique dans la tempête ! Et dire que je pensais que c’était
des conneries tout ça. Je prends un ton faussement détendu comme si ce qu’il
avait fait pour se défiler et l’état dans lequel j’étais n’avaient aucune importance.
Evidemment qu’il mangerait plus. Comme si t’allais péter la tête d’un flic et que
cela serait gratuit.
— Rends-toi ! Ce n’est pas grave, c’est un coup de sang... Si tu sors on l’garde
pour nous... t’auras rien fait...
— Vous savez que je suis foutu. Je ne suis pas quelqu’un de bien ! Lâche-t-il
dans un souffle, posément. Je n’suis qu’une merde... j’ai lutté, enfin j’ai essayé...
mais c’est trop dur...
— Chef Deleury ! Simon est penché bien trop près de mon oreille et de mon
nez. La main droite soutenant le bas de son visage. Le regard envahi de pourquoi
auxquels je ne couperai pas. Benji nous dit par talkie d’en bas qu’il a vu le mec
ouvrir la fenêtre ! Dit-il avec beaucoup de chuintement.
— Donne le talkie... Qu’est-ce qu’il fout cette ordure Benji ?
— Il passe la tête à la fenêtre ! Dans un grésillement à plein volume, propre au
matériel d’une qualité exceptionnelle que nous confie l’administration, la voix
désincarnée de Benji peine à imprimer l’espace sonore. Comme d’habitude en
fait.
— Ne parle pas si fort ! C’est une pièce qu’il ne connait pas bien. Il veut s’en
barrer. Tu m’étonnes... Ma remarque ne provoque aucune réaction chez mon
acolyte avec le menton en vrac.
— ... Il nous regarde, et regarde au loin... crache péniblement le talkie.
— Chef, tu penses qu’il va essayer de fuir par la fenêtre ? Me dit Simon mais
sans y croire lui-même.
Toufik essaie de glisser des mots apaisants, à grand renfort de « restez
calme », en se rapprochant le plus possible de l’entrée du couloir où se trouve la
salle de bain. Le couloir est plongé dans le noir contrairement au reste de
l’appartement qui est bien éclairé. Mais avec les portes fermées, celle du client et
l’autre au bout de la chambre, c’est la nuit qu’on regarde tous. Et je n’aime
vraiment pas ça. Lorsque, d’un coup d’un seul, Toufik, se dresse et parcourt les
quelques mètres qui le sépare de la porte du client. Incroyable, comme animé
d’une envie pressante, notre héros est passé d’un « no stress » à « sors de là » !
— Putain, fais chier maintenant ! Dit Toufik en tambourinant à la porte et
ajoutant en guise de requête. Ouvres, ouvres maintenant !
J’entends Benji au talkie dire que le suspect a quitté son poste de surveillance.
Un bruit ! C’est le « clic » du déverrouillage de la porte ! Ouf, quelle merde, je
me sentais mal à l’aise qu’il ait profité de mon ordre pour faire le con. La
tronche de Simon et les côtes de Fred m’assuraient déjà beaucoup
d’emmerdements. Mais s’il ne s’était pas rendu, là cela aurait été beaucoup plus
compliqué pour moi ! Mais bon... J’avertis les autres d’être prêts. On avance
comme une équipe de rugby. Je tapote l’épaule du héros méconnu-Toufik- pour
qu’il nous laisse la place. Je pose la main sur la poignée, j’appuie doucement
vers le bas, sans brusquer, sans faire de bruit, et la porte s’ouvre doucement... Je
tends mon bras armé droit devant... Je vois le client de dos s’éloigner de moi. Je
le vois s’élancer dans un saut de l’ange. Rétrécir. Et disparaître à travers la
fenêtre. Toufik hurle, encore.
Rapport terminé.
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date : 22-11-2023
Mai 1985
Le temps est radieux, le ciel bleu azur et la température juste ce qu'il faut pour
sentir arriver l'été, sans être déjà écrasé de chaleur. Cours d'histoire, l'un de mes
préférés, sur la Seconde Guerre Mondiale. Le professeur est un peu étrange, petit
et sec comme un coup de trique, un peu alcoolo sur les bords je crois, et gros
fumeur aussi. Ses doigts sont jaunis par la nicotine. Il possède tout un tas de
petites fiches pour faire cours, et ce qu'il raconte est passionnant. Je suis assise
contre la fenêtre et laisse vagabonder mon esprit dans la cour intérieure du
lycée – sorte de cloître sans jardin –. J'observe les rouges-gorges qui rivalisent de
trilles et de volutes, ébaubis par l'arrivée soudaine du printemps. Théo est assis à
côté de moi. Je me sens bien. À l'abri. Je tends l'oreille à la question plus que
pertinente d’Etienne. Ce mec m'insupporte, mais il a cela pour lui, finesse et
intelligence.
— Je ne comprends pas pourquoi Hitler n'a pas envahi l'URSS plus tôt dans la
saison, pour éviter de connaître le même sort que Napoléon ?
Le professeur s'éclaircit la voix et nous confirme que la question est
judicieuse. Je ne sais pas ce qui me prend – moi qui d'habitude n'ouvre jamais la
bouche en cours, et suis aussi discrète qu'une sourde muette quand elle se tait –
je lève la main. Étonné, Théo se tourne vers moi. Le professeur me donne la
parole :
— Je pense que c'est à cause de Mussolini.
Passé la surprise d'entendre le son de ma voix s'élever dans la classe, je me
lance et leur déballe tout ce que je sais.
— Mussolini a envahi les Balkans au printemps 41 ; ce qui devait être une
simple formalité pour l'armée italienne s'est transformée en vrai bourbier. Hitler
a dû sortir son allié de ce mauvais pas et retarder d'autant l'opération
Barbarossa ; d'où le décalage de quelques semaines dans l'invasion de l'URSS.
Décalage fatal aux armées allemandes qui devront affronter l'hiver russe, comme
les armées de Napoléon en 1812.
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date : 22-11-2023
Paris /septembre 1984 – avril 1985
J’ai vu Théo pour la première fois dans la cour du lycée où je viens d'être
admise en seconde ; et je suis restée foudroyée : par sa beauté, sa classe et son
aisance. Sous la puissance du choc, j’ai dû m'assoir. Grand, brun, élancé, jean,
chemise blanche, toujours un ou deux bouquins dans les poches de sa veste
noire, chaussures de ville en cuir noir. Ça me changeait de mon collège de
banlieue, de ses petites frappes toujours une insulte à la bouche, de leurs
survêtements fatigués et baskets avachies.
Avant ce jour de septembre 1984, je n'avais jamais rencontré quelqu'un
comme Théo. Cette année-là, je découvre qu'une fille peut porter une jupe sans
être importunée toute la journée, sans se faire traiter de pute, ou subir des mains
baladeuses.
Je découvre que filles et garçons – et même garçons entre eux – peuvent se
parler sans s'insulter, se frapper, s'humilier, sans être toujours le bourreau et /ou
la victime.
Je découvre que d'autres s'intéressent à la littérature, au cinéma, à la politique,
à la philosophie, sans être rangés dans une case (intellos, la pire insulte, là d'où je
viens), et sans avoir besoin, de toute urgence, de protecteurs pour conserver leur
intégrité physique.
Je découvre que le professeur d'anglais s'adresse à ses élèves exclusivement en
anglais ; que chaque professeur appelle ses élèves par leur nom de famille,
précédé de Monsieur ou Mademoiselle, avec le plus grand respect.
Je découvre que je n’ai jamais étudié (ou juste fait semblant), et que mon dixneuf de moyenne générale dans mon collège miteux ne vaut guère plus qu'un
petit onze ou douze ici – dans le meilleur des cas –.
Je découvre la vie et les études dans un grand lycée parisien.
Je découvre des familles où les parents ne passent pas leur temps à se détruire,
à se maudire, ou s’ignorer ; où parents et enfants sont à leur place, chacun dans
leur rôle.
Je découvre des familles où les conversations à table tournent autour du
dernier prix littéraire, ou de la dernière exposition artistique en vue.
Je découvre des familles où les parents se soucient de leurs enfants, tout en
leur laissant une grande liberté, cadrée.
Je découvre des familles où chacun parle couramment l'anglais et parfois
plus ; skie, pratique la voile, l'équitation ou l’escrime ; où l'on part à la montagne
en février, et au bord de la mer en été.
Je découvre des familles où la suite naturelle des études, après le bac, est
d'entrer en Classes Préparatoires dans un grand lycée parisien (je ne sais même
pas que ça existe, avant mon entrée en seconde), puis d'intégrer une grande
école, ou de faire médecine ou son droit.
Je découvre la grande bourgeoisie et ses héritiers.
Et je veux tout faire comme eux.
Au passage, je découvre aussi la honte, la gêne, le sentiment d'illégitimité, le
gouffre de mon ignorance.
Jusqu'au printemps, malgré mes deux heures de transport (j’habite loin en
banlieue), je tiens. Je me bagarre chaque jour pour rester à flot. Je m'accroche. Je
prends tout ce qui passe, m'intègre plus ou moins, à la marge, met les bouchées
doubles pour combler mes lacunes scolaires et culturelles, abyssales. J’observe,
écoute. Je suis avide de tout ce qui m'éloigne de mon milieu. Comme j’ai la
chance de ne pas être trop bête, ça marche. Je m’appuie sur deux ou trois
domaines où je suis calée – cinéma, politique et histoire – qui constituent ma
porte d'entrée auprès de mes nouveaux camarades de classe, tous cultivés et bien
élevés. Pour le reste, je rattrape le plus vite possible. Je passe mes heures de train
à lire les classiques que je ne connais pas, à rattraper mon retard en anglais
(colossal – pendant quatre ans, au collège, j’ai eu le même professeur et je n’ai
jamais entendu un mot d'anglais —). Mes notes remontent, et je fais la course en
tête en histoire et en géographie.
Je me suis fait une ou deux copines, un peu à côté, comme moi, ce qui me
permet de me sentir moins seule. Une petite blonde, Nathalie, issue de la classe
moyenne avec une mère professeur de collège, qui veut devenir actrice ; et une
grande brune, métisse chinoise, Solange, qui a vécu en Afrique du Sud jusqu'à
six ans, et n'avait jamais mis les pieds dans une école avant sept ans. Ah oui,
j’oubliais ; dans ce lycée, tout le monde est blanc : une vraie nouveauté pour
moi, scolarisée depuis toujours aux marges de la République, dans des
établissements où se mêlent des dizaines de nationalités différentes. (Jusqu’à
quinze dans ma classe de CM2, quand la France accueillît boat people d'Asie et
Afghans.) Pas un noir – ah, si pardon, un, en tout et pour tout – fils
d'ambassadeur d'un pays d'Afrique dont j’ai oublié le nom ; pas un seul môme
issu de l'immigration maghrébine, pas d’asiatiques ; en revanche, des Français de
confession juive qui arrivent avec leur kippa le matin, et la posent à l'entrée du
lycée.
Mi-mars, épuisée, je m'écroule. La violence du choc de ces découvertes me
vaut une grave dépression – ni diagnostiquée, ni soignée – deux mois d'arrêt
complet sans aller au lycée. Des jours entiers au fond de mon lit à fixer les murs
de ma chambre en me demandant ce que je vais devenir. Dix kilos de moins, et
une lucidité nouvelle qui ne me quittera plus jamais. J’ai envie de me liquéfier et
de disparaître, mais c'est finalement la vie qui l'emporte, après un coup de fil des
représentants de parents d'élèves de la classe qui s'inquiètent de ce que je
deviens, et affirment que tout le monde m'attend au plus vite.
À mon retour au lycée, en mai, Théo, avec qui j’ai à peine échangé trois ou
quatre mots depuis septembre, même si j’ai passé une partie de mon temps à
l'observer sous toutes les coutures, me demande si ça va mieux. Son regard est
plein de questions, d'embarras et de sincérité. Je n’en montre rien, mais si je me
laissais aller, je lui sauterais au cou. J’existe donc à leurs yeux – et aux siens en
particulier – malgré ma différence. Je comprendrai, quelques années plus tard, sa
sollicitude, son inquiétude et son empressement à me rassurer, à ne pas me
laisser couler, et partir.
En tant que délégué de classe, Théo me dit de ne pas m'en faire pour l'an
prochain et que, malgré mes deux mois d'absence, je passe haut la main en
Première, vu que je suis une élève très prometteuse.
— Prometteuse ?
Je dévisage Théo d'un air sceptique, en croyant qu'il se moque de moi.
Impérieux, il me dit de le suivre et m'entraîne dans la salle, où M. Garnier, notre
professeur principal, nous attend pour le prochain cours de mathématiques.
M. Garnier confirme ce que Théo a dit. Il ajoute que mes progrès, cette année,
vu d'où je viens (quand il dit cela, j’ai le sentiment de sortir d'une réserve ou
d'une jungle profonde et dangereuse), sont tout à fait remarquables. Il ajoute que
le conseil de classe a suivi ma demande – entrer en section Philo-Maths en
Première – et non en section Maths-Physique comme le souhaitaient mes
parents, ce qui est très rare. M. Vidal (Théo) a beaucoup plaidé en votre faveur,
et cela a beaucoup pesé dans la décision du conseil. Je suis incapable d'articuler
un seul mot, et dois lui sembler abrutie. M. Garnier ajoute, de manière douce et
bienveillante, sans jugement aucun dans la voix, que si j’ai des soucis quels
qu’ils soient, l'infirmière du lycée peut m’être d'une grande aide. Les larmes aux
yeux, je bafouille un vague remerciement et m'installe au fond de la salle, afin de
retrouver mes esprits, pendant que M. Garnier fait entrer les autres élèves. Pour
la première fois de ma vie, un adulte responsable se soucie de moi, sans
contrepartie à verser, ni arrière-pensées. Théo vient s'assoir à côté de moi, l'air
triomphant : Tu vois, je ne t'ai pas menti ! Je me sens comme un sucre qui se
dissout sous son regard. Il me prend la main et la serre fort dans la sienne : Ça va
aller, Juliette
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date : 21-11-2023
Comme à son accoutumée, Hanaë marche vite, slalome entre les passants, ses
talons rythmant ses pas sur le trottoir. Elle a le visage grave et son esprit empli
de tout ce qui lui reste à faire avant le soir, avant le week-end. Elle regarde sa
montre avec l’angoisse de ces gens qui courent après le temps, qui voudraient
que leurs journées soient deux fois plus longues, sans avoir conscience que ces
heures ne seraient pas du temps offert à leur vie mais du temps pris à leur vie.
Elle sait qu’elle donne beaucoup d’elle-même à son travail, un peu trop même
peut-être, mais elle souhaite plus que tout se rendre indispensable. Elle aime
l’idée que sans elle, le service qu’elle dirige dans cette grande agence de
communication serait beaucoup moins performant, comme c’était le cas avant
qu’elle l’intègre.
Son directeur le lui dit souvent : « Hanaë, vous êtes la pierre angulaire de
notre entreprise, et vos fonctions sont pourtant bien plus lourdes que celles qui
incombaient à vos prédécesseurs masculins ». Le terme « masculins » caresse
délicieusement son orgueil de féministe convaincue. L’un de ses combats
inavoués est de montrer au monde entier que les femmes peuvent être bien plus
efficaces et audacieuses que les hommes, qui le plus souvent ont besoin d’être
portés et assistés par une équipe dynamique et une épouse dévouée. Les hommes
détiennent la puissance physique pendant que les femmes ont la puissance
psychologique, qui, de loin, dans nos sociétés, est essentielle. Homère l’avait
même déjà évoqué dans son « Odyssée » plus de six siècles avant Jésus-Christ !
C’est dire à quel point cette suprématie de l’esprit est considérable. Le mental est
une arme infiniment plus efficace que le moindre biceps, et la force physique est
au masculin ce que la force psychique est au féminin.
Cela, elle voudrait que l’humanité entière le comprenne, qu’enfin les femmes
soient mises à leur juste place, celle des leaders, celle des décideurs éclairés et
pertinents, celle des braves et des vaillants qui conquièrent le monde à la force
de leur volonté et de leur courage.
Les hommes ne sont certes pas dénués d’intérêt, mais ils manquent pour la
plupart cruellement de trempe, tout « testostéronés » qu’ils soient. Ils sont
facilement influençables et veules ; dès lors que de jolies jambes et un sourire
chargé des plus douces promesses les flattent, ils abandonnent tout discernement
et succombent à la moindre injonction.
Hanaë ne peut pas dire qu’elle ne se soit jamais servie de ses atouts et de leur
faiblesse. Elle doit bien avouer que parfois, ses longs cheveux bruns ondulés, ses
yeux de jais finement mis en valeur, et son corps menu et tonique, lui ont permis
d’arriver à ses fins dans sa vie professionnelle et sociale. Mais après tout, « qui
se priverait d’arguments dont il dispose quand il sait que la cause est noble »,
s’est-elle souvent dit avec une pointe de culpabilité au fond de l’âme. Dans son
métier où elle est entourée d’hommes, elle aime leur laisser croire qu’ils mènent
le jeu alors qu’elle a pleinement conscience qu’ils ne sont que les pions dont elle
dispose pour mener à bien son projet.
D’ailleurs, à ce sujet, elle doit encore affiner sa présentation de lundi pour cet
industriel de la grande distribution. Elle sait que ce qu’il produit et vend est une
escroquerie, mais son travail à elle ne consiste pas à en juger. Elle doit emballer
le contenu dans le paquet le plus beau, le plus brillant, le plus éblouissant, et
donner l’illusion au consommateur que sa vie n’est pas possible sans ce « robot à
tout faire ». Et elle sait exactement comment faire passer ce message, et
comment convaincre son client.
Pour sa présentation de lundi, elle est à la fois sereine, comme le serait un
guerrier invaincu, et impatiente aussi, de ces impatiences qui vous étreignent et
vous meuvent lorsque vous savez que vous allez triompher. Elle se sent
invulnérable.
La seule petite ombre à son humeur est de se dire qu’elle doit attendre un long
week-end avant sa victoire. Dire que tant de gens ne vivent que dans
l’expectative de leurs jours « off » et de leurs vacances ! Elle fait partie de ceux
qui s’ennuient lorsqu’elle ne travaille pas… Elle éprouve même une compassion
un rien méprisante pour ces pauvres gens qui n’ont d’autre intérêt dans la vie que
leurs loisirs ; ou pire encore, pour toutes ces femmes qui n’existent qu’à travers
leurs maris et leurs enfants, dont la seule raison de se lever le matin est de
prendre soin de leur foyer ! Jamais au grand jamais elle ne voudrait de ces vieslà ! Elle les éprouverait comme une incarcération affective et intellectuelle.
Elle, elle voudrait déjà être lundi matin, voir la tête de ses collaborateurs et de
son directeur lorsqu’ils visualiseront son power point, observer la moue médusée
et éblouie de son client, et savourer son inéluctable succès.
Mais en ce vendredi après-midi, elle doit d’abord penser à faire les courses
alimentaires pour la semaine à venir, passer au pressing pour récupérer les
costumes de Pierre comme il le lui a demandé la veille au soir, puisqu’il doit
plaider jusque tard dans la soirée, et tourner en rond deux interminables journées
encore.
D’ailleurs, que ce week-end va être long ! Samedi soir, le meilleur ami et
associé de son mari les a conviés à l’une de ces soirées mondaines qu’elle
exècre. Pierre tient à ce qu’ils s’y rendent, arguant à grand renfort de
démonstrations fallacieuses, elle le sait, que ces réceptions sont primordiales
pour son cabinet d’avocats, qu’elles représentent une visibilité de premier ordre
pour eux. Et de rajouter qu’au fond, il n’est pas si désagréable que cela de
déguster des vins et des mets de qualité dans un cadre somptueux. Le duplex de
Raphaël et Lucie, avec sa terrasse et sa vue imprenable sur les toits de Paris, sa
piscine chauffée, et sa décoration de luxe, n’est pas le pire endroit pour passer
une soirée. Et sa cave est quand même exceptionnelle !
Encore une fois, se dit la jeune femme, Pierre fait comme s’il ne percevait ni
ne comprenait une once de ce qu’elle éprouve. Sûrement une des particularités
de sa personnalité, qu’il a été obligé de développer, dans son métier, que
d’argumenter sans esquisser le moindre doute, et qui fait qu’il y excelle.
Après cette fastidieuse soirée, ils erreront l’un et l’autre dans leur appartement
dominical, regardant les heures défiler avec lenteur, avec indolence. Peut-être
feront-ils l’amour en fin d’après-midi, comme il leur arrive de le faire après
avoir visionné un film avilissant et ennuyeux en grignotant des sucreries
avilissantes et ennuyeuses.
Et puis, enfin, lundi arrivera, chargé de son énergie bénite, porteur des saveurs
les plus revitalisantes.
Emportée par le flot de ses pensées, marchant machinalement, elle croise un
homme bedonnant qui la bouscule légèrement. Elle lève les yeux vers lui, et
malgré le visage souriant de ce quadragénaire et les excuses dans lesquelles il se
confond péniblement, écrasé sous le poids de sa timidité, elle éructe un « pfffff »
irrité.
Alors que l’homme poursuit son chemin et s’éloigne, le regard de Hanaë est
happé par une porte cochère qui se dessine juste devant elle. Il s’agit d’un portail
de bois incroyablement travaillé, comme elle en a peu vu, peint dans des tons
ambrés. On dirait un bijou de joaillerie. Elle s’étonne de ne l’avoir encore jamais
remarqué alors qu’elle passe régulièrement dans cette rue.
Elle s’immobilise devant pour l’admirer. De très fines broderies dorées ornent
les pans de bois, dessinant de délicates fleurs de toutes les tailles et de toutes les
formes. Hanaë a toujours aimé les fleurs. Elle soigne avec grands soins et une
attention qui confine à la tendresse les quelques orchidées qui illuminent son
salon. La contemplation de cette porte envahit son corps dans un frisson
délicieux, sans qu’elle n’en comprenne le sens. Elle n’a qu’à de très rares
occasions ressentit une telle émotion au cours de sa vie.
Elle s’approche lentement du panneau de bois et ne résiste pas à l’envie de le
toucher, de le découvrir avec un autre de ses sens. Elle tend sa main vers les
fleurs d’ambre sculptées, la pose délicatement et n’est pas surprise d’en ressentir
une douceur infinie. Le matériau est froid, ce qui paraît normal en cette fin
d’après-midi de mars au ciel chargé de nuages épais, mais la texture,
extrêmement fine, ressemble à de la soie.
Alors qu’elle est hypnotisée par la beauté de cet objet, elle ne remarque pas
l’homme qui arrive à sa hauteur, s’immobilise à ses côtés et se laisse lui aussi
saisir par l’émerveillement. Ils restent ainsi un court instant, côte à côte, tous
deux fascinés par cette œuvre d’art.
Soudain, Hanaë recouvre ses esprits et est agacée de sentir la présence d’un
homme si proche d’elle. Machinalement, elle recule d’un pas pour s’en éloigner,
sort de son état de grâce, et observe l’intrus. En une fraction de seconde, elle
comprend qu’il s’agit d’un « SDF », et un instinct de révulsion et de peur la
saisit malgré elle.
L’homme est grand, de stature plutôt solide, et semble avoir une trentaine
d’années. Il porte sur lui des vêtements très ordinaires, aux couleurs improbables
et pas « du meilleur goût » selon la quadragénaire : un jean trop long et trop
large pour ses jambes manifestement menues, un sweat à capuche vert agressif
qui a dû traverser avec lui ses années depuis le lycée, et un sac à dos qui, elle le
suppose, doit contenir toute sa vie, parachève ce look « anti-fashion ». Seules ses
chaussures, et Hanaë s’en étonne, paraissent en excellent état et de très bonne
qualité, des chaussures de marche montantes.
Hanaë a une grande capacité à saisir les moindres détails d’une scène de vie,
elle en capte chaque fragment en un coup d’œil, ce qui a toujours forcé le respect
et l’admiration de ses proches.
Le visage de l’homme n’est ni beau ni laid, de ceux que l’on ne remarque pas,
« sans odeur ni saveur » comme le dirait Pierre avec ironie, avec moquerie
même, du haut de son physique d’Apollon qui sait son charme, son charisme et
sa classe irrésistibles.
L’inconnu a les cheveux châtains, bouclés et plutôt longs. La jeune femme le
remarque parce qu’ils paraissent propres, soignés et en bonne santé, ce qui
contraste avec son statut d’homme vivant dans la rue, ou en tout cas de l’image
qu’elle s’en fait, et avec son look atypique, voire délacé. De la même manière,
elle remarque qu’il sent bon. Elle est très sensible aux odeurs, qu’elles soient
naturelles ou artificielles, et le parfum de cet homme lui plaît.
Alors qu’elle l’observe avec attention et curiosité, l’homme semble être
totalement envoûté par la porte, et ne remarque ni la jeune femme ni son regard
inquisiteur.
L’un et l’autre ne sont extirpés de leur rêverie et de leurs contemplations
respectives que lorsqu’ils entendent un claquement venant de l’intérieur de la
porte et signalant que quelqu’un, de l’autre côté, en a déverrouillé la sécurité et
s’apprête à sortir. En effet, le panneau de bois s’ouvre en grand, et une jeune
femme essaie avec difficulté de faire franchir le coche à la poussette qui la
précède.
Spontanément, sans que Hanaë n’ait eu le temps ni la présence d’esprit de
réagir, l’homme au sac à dos et au sweat vert pomme se précipite vers la jeune
mère de famille pour lui tenir la porte. Celle-ci le remercie chaleureusement,
franchit le seuil avec aisance et s’éloigne dans la rue au milieu des quelques
passants discrets.
L’inconnu tient toujours le battant ouvert, sa main délicatement posée sur
l’une des fleurs d’ambre, lorsqu’il croise le regard de Hanaë. Il lui sourit
poliment.
La jeune femme est alors transpercée, bien malgré elle, par la profondeur et
l’intensité de son regard bleu azur. Elle ne se souvient pas avoir déjà remarqué
des yeux à la couleur aussi pure, aussi limpide, aussi saisissante.
Le jeune homme perçoit son trouble. Il s’en amuse intérieurement, mais ne
s’en étonne pas. Ces réactions, mêlant surprise et admiration, frôlant même
parfois la stupéfaction, lui sont coutumières dès lors que des inconnus se
trouvent happés par son regard. Et s’il a conscience, depuis son plus jeune âge,
de l’extrême beauté de ses yeux, de leur pouvoir presque hypnotique, il n’en
éprouve pas le moindre orgueil. Il en est simplement heureux, et ressent une
forme de gratitude humble, envers la nature, pour lui avoir offert ce cadeau.
Et malgré la froideur et la distance qui émanent de cette jeune femme, sa
réaction ne déroge pas à la règle.
Elle semble tout droit sortie de ces beaux quartiers parisiens où l’arrogance et
le bon goût s’entremêlent dans une alchimie singulière.
Son style s’inscrit dans le parfait sillage des working-girls omnipotentes,
omniscientes et invincibles, qu’il a tant croisées. Vêtue d’un tailleur bleu marine
ajustée à son corps menu, et d’un chemisier blanc dessiné par quelques grands
créateurs, exacerbant sa féminité, l’harmonie qui exsude de sa tenue n’a d’égal
que l’impression de rigueur absolue qui s’en dégage. Rien ne dépasse de cette
femme, qu’elle n’ait décidé de laisser dépasser. Elle semble avoir besoin de
contrôler, elle ne doit transiger avec rien ni personne, jamais.
Cette pensée l’amuse.
Ses traits sont fins, harmonieux, ses cheveux ébène sont noués en un chignon
faussement négligé. Un maquillage discret, mais efficace, parachève ce joli
tableau. Cette femme, il le remarque, dont la beauté plastique est indéniable,
n’en est pas moins dénuée de charme, malgré la froideur dont elle semble bâtie.
Cependant, la dureté de sa silhouette ne parvient pas à dissimuler, à la
perspicacité de cet homme fin, une petite étincelle de bienveillance et de
douceur, tapie, cachée au fond de ses yeux noirs, qu’elle ne laisse sûrement
s’exprimer qu’à de rares occasions ; qu’à de précieux moments de lâcher prise,
qu’elle regrette sans doute immédiatement.
Après un court instant noyé dans le regard de l’inconnu, la jeune femme se
ressaisit, et retrouve très vite le contrôle d’elle-même et de la situation. Elle
esquisse un rictus distancié en guise de réponse, et amorce un demi-tour sur ellemême pour s’en aller.
C’est alors qu’en une fraction de seconde, en un éclair, leurs deux destinées
basculent…
*
Venant de nulle part et de partout, tout autour d’eux, au-dessus de leurs têtes,
dans les ruelles, sortant des immeubles témoins violents des prémices de leur
existence nouvelle, une détonation déchire le ciel… puis une autre… puis une
autre encore… Le sol se met à trembler sous leurs pieds, les murs chancellent et
chavirent, des morceaux de ville s’abattent sur l’asphalte comme des bombes
meurtrissant le sol… Et puis la poussière… Un nuage de poussière absorbe la
rue de son emprise effroyable.
Des cris… Des appels à l’aide… Le chaos…
L’incompréhension et la peur se mélangent aux déflagrations assourdissantes
qui ne tarissent pas.
Instinctivement, sans qu’il n’ait tout à fait conscience de ses gestes, l’inconnu
saisit énergiquement le bras de Hanaë, franchit la porte d’ambre et l’entraîne
avec lui sous le porche offert à leur survie. Elle ne résiste pas, se laisse happer
par la poigne musclée de cet homme qui la guide en lieu sûr. Ils courent vers leur
salut, mais ne savent, ni où ils sont, ni où ils vont.
Ils parviennent jusque dans une petite cour carrée qu’ils veulent traverser mais
ils sont immédiatement arrêtés par les pierres, les tuiles, les fragments de verre
qui s’y déversent avec acharnement. Ils font demi-tour et, dans leur fuite
irréfléchie, s’engouffrent dans ce qu’ils croient être une cave. Leur instinct vital
leur susurre que dans les sous-sols, ils seront en sécurité.
Ils dévalent tout d’abord quelques marches rapidement, puis ralentissent leur
course dans l’obscurité qui les enserre. Ils sentent sous leurs pieds des marches
irrégulières et incertaines. Cette descente pour fuir l’enfer leur paraît
interminable et difficile.
Les grondements terrifiants se font plus lointains, la poussière est moins
dense, l’air est plus respirable malgré la sensation qu’ils ont de s’enfoncer dans
les entrailles du monde.
Hanaë ouvre son sac à main et en sort son téléphone portable. Elle allume la
lampe torche et éclaire leur progression. Une odeur désagréable d’humidité
s’échappe de cet espace clos, et ils sont surpris l’un et l’autre de découvrir, au
bout des marches, une pièce en cul-de-sac avec pour seule ouverture un
minuscule vasistas, à fleur de plafond, à plus de deux mètres de hauteur
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Chez les Brontë, le pilier était le père, intimidant par sa haute stature et son
titre de révérend. Le foulard de soie blanche qu’il portait toujours noué en
volutes autour de son cou était une de ses excentricités. Il y avait une tante pour
veiller à l’éducation des enfants, mais pas de mère. C’est probablement par cet
interstice que j’avais pu me faufiler dans la famille et me sentir chez moi parmi
les quatre enfants qui complétaient la maisonnée. La présence d’une nanny
n’était pas non plus pour me déplaire en la personne de Tabitha Ackroyd, qui
passa une grande partie de sa vie au service des Brontë, régentant la vie
domestique dans son rugueux patois du Yorkshire
Étrange expérience que de vivre avec des amis qui ne sont pas en vie, mais
vous sont plus proches par leurs écrits et leur histoire que tant d’autres pourtant
bien présents, dont vous pouvez pincer, mordre, embrasser ou caresser la peau.
Depuis six ans ou peut-être davantage, - la date où tout avait commencé était
déjà lointaine -, je n’avais plus rien lu que les Brontë. Je m’étais remise à
l’anglais pour les connaître dans leur idiome et dégager ma propre vision de
l’encre qui avait abondamment coulé sur eux. De quoi m’absorber dès que mon
travail me laissait un moment, au détriment du reste de la littérature. Peu à peu,
j’avais cessé de me précipiter sur les derniers romans parus. Je sentais que mon
libraire l’avait remarqué, mais il n’osait pas me poser de question. Il disposait
pourtant de tous les indices pour diagnostiquer lui-même que j’étais atteinte
d’une monomanie qui porte un nom, la Brontëmania. Beaucoup d’autres sont
atteints du même mal, mais nous sommes éparpillés de par le monde, en dehors
des pèlerinages qui nous ramènent régulièrement à ce qu’il faut bien nommer la
maison-mère. Au presbytère de Haworth, j’avais croisé un grand connaisseur des
Brontë, qui vivait le plus souvent confiné chez lui ; l’une de ses rares sorties était
pour le Brontë Parsonage Museum, où il pouvait s’adonner dans les meilleures
conditions à ses activités de prédilection : lire et marcher dans les grands
espaces. De proportions parfaites, la petite bibliothèque attenante au presbytère
enveloppe son lecteur dans une poche douillette, mais il suffit de contourner la
bâtisse pour voir Wuthering Heights se déployer grandeur nature et à perte de
vue : des murets de pierre noire divisent la lande en enclos et s’évanouissent
dans le lointain, aucun relief n’arrête le regard ni les vents, qui vont sans
entraves. Pour Emily, le monde était donné là, tout entier :
« Cette morne lande s’étend loin, si loin
Qu’on peut douter qu’il existe autre chose.
Au-delà de la zone de ciel argenté. »
Beaucoup de temps s’était écoulé, avant que je me décide à faire le voyage.
Lire m’avait longtemps tenu lieu de tout, et ma passion avait jusque-là trouvé
à se déployer dans tous les endroits propices à la lecture, les appartements, les
bibliothèques et les trains, beaucoup de trains. Chaque semaine, je traversais la
France selon un axe nord-sud reliant deux villes, deux appartements, deux
bibliothèques et deux pianos. Seule la chatte était en un seul exemplaire. Elle ne
semblait pas trop pâtir de cette division, sans doute parce que ces déplacements
contrôlés se déroulaient selon un rituel qui lui permettait de s’y retrouver :
mêmes jours, mêmes horaires, même ligne, même durée. Pendant trois heures,
nous n’étions nulle part, lire était un voyage dans le voyage. Au décours d’une
page, et fugitivement, il pouvait m’arriver de me croire l’auteure d’une ligne ou
même de paragraphes entiers. J’avais cru comprendre que cette étrange illusion
était le lot de bien des lecteurs. L’inconvénient était qu’elle ne durait pas et
demandait à être sans cesse alimentée par de nouvelles lectures susceptibles de
renouveler l’expérience, selon le mécanisme propre à toute addiction.
Ce n’était pas écrire, je n’en étais que trop consciente chaque fois que ces
accès de fièvre sublime retombaient, me laissant seule face à ma page blanche.
Jusqu’au jour où se produisit un embrasement durable : ma main en rencontra
une autre, qui se tendait vers elle dans les flammes. Les Brontë la saisirent pour
ne plus la lâcher, sans doute à partir de la solitude que nous avions en partage.
Cette fois, je ne me prenais pas pour l’auteure de leurs textes, je me trouvais
des particularités en commun avec les quatre sisters and brother, et même avec
toute la famille. J’avais traversé beaucoup de saisons à leurs côtés, je partageais
leur attachement à une maison que je finissais par avoir l’impression de
connaître, dont aucun d’entre eux ne s’était éloigné bien longtemps. Et j’avais
peur, moi qui leur survivais, d’être consternée en la voyant devenue un musée…
À ce stade d’intimité, si je considérais les précédents notoires, je pouvais
espérer que la situation évolue de la même façon que dans La Rose pourpre du
Caire : l’un des membres de la famille finirait par franchir l’écran et me
rejoindre dans le monde où je vivais. Emily se détacherait soudain de son image
pour descendre dans la salle et venir s’asseoir à mes côtés, me chuchotant à
l’oreille un commentaire comme toujours dépourvu de complaisance. Un tel
franchissement du plan de la réalité semble pouvoir se produire, quand on aime
irrésistiblement l’un des personnages. Mais j’avais vu le beau film d’André
Téchiné sur Les Sœurs Brontë sans que rien de la sorte ne se produise, peut-être
parce qu’il s’intéresse aux quatre enfants presque à la fin de leur vie. De leur
brève vie. Alors que j’aurais voulu les connaître bien plus tôt, à l’époque où ils
étaient déjà des enfants écrivains, qui écrivaient en secret.
Restait la possibilité que ce soit moi qui entre dans leur monde fictionnel.
J’aurais beaucoup aimé rencontrer le ténébreux et séduisant Rochester ou bien
apercevoir Heathcliff même de loin, mais je me sentais attirée par l’histoire des
Brontë plus encore que par leurs œuvres, et s’il pouvait m’être donné de voyager
à travers les âges, c’est eux que j’aurais voulu rejoindre à Haworth. Il n’était
d’ailleurs pas exclu que ce soit déjà chose faite, si je me ralliais aux théories sur
les mondes parallèles, qui permettaient d’envisager de façon crédible la
possibilité d’exister simultanément dans plusieurs univers. Je pouvais très bien
être là, par exemple, en train d’écrire à ma table de travail, et me trouver au
même moment dans le bureau du révérend Brontë, tout près d’Emily qui jouait
du piano. J’aurais beaucoup donné pour assister à ces petits concerts privés
qu’elle ne destinait qu’à son père, dans la période où il perdait la vue et restait
confiné à la maison. Mais comme les mondes parallèles ne communiquent pas
entre eux, il m’était impossible d’exister avec une pleine conscience dans deux
univers à la fois, ce qui était terriblement frustrant : je pouvais tout au plus
drainer certains résidus en passant d’un monde à l’autre, emporter sans le savoir
avec moi des bribes, des traces ou impressions fugaces… L’idée, qui me venait
parfois, de consacrer quelques pages à ma relation avec les sisters and brother,
s’expliquait peut-être par le besoin de créer une interface entre mes deux
existences. Cette hypothèse séduisante soulevait néanmoins de sérieuses
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C’était un lit d’enfant comme j’aurais aimé en avoir un, un cabinet privé avec
une fenêtre sur la lande. On en construisait d’identiques autrefois, pour se
dispenser d’attribuer une chambre en propre à un membre de la famille ou pour
se protéger des loups ; en faisant coulisser des panneaux de bois, on pénétrait
dans une grande caisse en chêne adossée au mur sur l’un de ses côtés, avec tout
ce qu’il fallait à l’intérieur, de quoi dormir, mais aussi de quoi lire et écrire à la
chandelle. Le rebord de la fenêtre pouvait même tenir lieu d’étagère pour poser
des livres, si bien que cette chambre imaginée par Emily Brontë me donnait
l’impression d’être un monde complet où j’aurais pu élire domicile. Je ne voyais
vraiment rien d’étonnant à ce que l’ancienne habitante des lieux cherche à
réintégrer sa chambre d’enfant.
Tout le monde connaît le début des Hauts de Hurlevent : le fantôme de Cathy
vient frapper à la fenêtre pour tenter de se faire ouvrir, une nuit où un voyageur
inconnu s’est glissé dans son lit. Dès qu’il aperçoit la pâle figure enfantine
derrière la vitre, Lockwood, le bien nommé, n’a qu’une idée : l’empêcher
d’entrer. Sa conviction qu’il faut séparer les vivants et les morts est totalement
contraire aux principes d’Heathcliff, le maître de maison. Le bougre n’a donc
rien à faire dans le petit cabinet, mais une servante l’a installé là par erreur,
ignorante de l’histoire qui pèse sur la maison. L’intrus ne se doute pas qu’un
amour plus fort que la mort est né jadis dans ces lieux entre deux enfants, un
petit bohémien recueilli par le précédent propriétaire de la maison et sa fille
Catherine. Ni que le sauvageon d’autrefois n’est autre que son hôte, l’homme
brutal qui a failli le jour même l’abandonner aux crocs de ses chiens, en guise de
bienvenue à Hurlevent. Hébergé pour la nuit à cause d’une tempête de neige, le
voyageur se rallie à la logique qui veut que le dernier arrivé ferme la porte.
La suite a fait les délices de bien des amateurs de fantastique et de sueurs
froides : croyant entendre une branche de pin cogner contre la fenêtre,
Lockwood se lève et passe brutalement son poing à travers la vitre pour faire
cesser le bruit exaspérant. C’est alors qu’il sent une petite main glacée s’agripper
à la sienne. Saisi d’effroi, il engage une lutte acharnée pour se dégager de
l’étreinte.
La scène me fascinait, ce bras de fer entre l’enfant et l’adulte, le sang
jaillissant de la coupure que la brute finissait par infliger au petit poignet, en le
frottant contre le verre brisé pour lui faire abandonner la lutte… Un peu plus, et
il lui arrachait la main ! On n’en arrivait pas là, parce que s’arc-boutant de tout
son corps dans un effort désespéré, l’homme parvenait à refermer la fenêtre.
Mais tout de même…
Il y avait quelque chose de troublant dans ce passage, comme si Emily
reprochait à son personnage de n’être pas allé plus loin, de ne pas avoir tiré sur
ce bras. Était-ce possible ? Je la savais capable d’endurer ou d’accomplir les
actes les plus pénibles, mais je n’y étais pour rien si elle avait choisi un pleutre
pour narrateur, un esprit borné. Elle en était quitte pour introduire une seconde
narratrice, Nelly Dean, une femme du pays, cette fois, et qui faisait partie de la
maison depuis toujours. C’est elle qui raconterait l’histoire, et maintenant qu’il
avait repoussé le fantôme de l’enfant, Lockwood n’aurait plus qu’à l’écouter, s’il
voulait savoir quelque chose.
Le monde d’ Heathcliff s’était écroulé, disait-elle, le jour où Cathy l’avait
étourdiment trahi en décidant d’épouser le riche Edgar Linton. Blessé au cœur,
l’adolescent s’était enfui on ne savait où, probablement sur quelque autre
continent, et l’on avait bien cru ne jamais le revoir à Hurlevent. Mais il avait fini
par revenir une fois devenu un homme, animé par le désir de se venger. Grâce à
une fortune mystérieusement acquise, il était devenu propriétaire des lieux où il
avait grandi avec Catherine et s’y était installé, non loin de la belle demeure des
Linton. Sa présence obstinée était lourde de reproches et de menace. Nelly ne le
reconnaissait pas : sous l’effet de la douleur qui lui avait été infligée, Heathcliff
était devenu la proie d’une force négative qui lui faisait trouver un plaisir
sadique à détruire et à faire souffrir à son tour. Il ne faisait plus la différence
entre le bien et le mal.
Le revoir avait immédiatement rappelé Cathy à la vie de leur enfance, une vie
de courses sur la lande, dans une liberté sans frein. À côté de cet Eden
inoubliable, le quotidien chez les Linton n’était qu’un pâle exil, rendu plus
insipide encore par la proximité d’Heathcliff. Cathy et lui étaient devenus
adultes, mais continuaient à s’aimer exactement comme avant, comme les
enfants qu’ils avaient été, chacun des deux manifestant toujours autant
d’égoïsme et de tyrannie envers l’autre. Nelly se sentait coupable d’arranger
leurs rendez-vous secrets, car ils se moquaient bien de faire souffrir le pauvre
Edgar Linton, mais elle finissait toujours par céder, inquiète de voir Cathy
dépérir, si elle lui refusait ce qu’elle voulait. Elle l’avait élevée ainsi, tout comme
Heathcliff, et elle continuait, même s’il était évident qu’ils se causaient
désormais tous les deux plus de tourment que de joie. Une passion aussi intense
ne pouvait déboucher que sur l’extinction de l’un des deux protagonistes, tout le
laissait craindre. Lorsque Cathy mourut, fou de chagrin et de culpabilité,
Heathcliff l’appela de toute son âme à revenir le hanter en attendant qu’il la
rejoigne : ainsi ne seraient-ils pas séparés…
Telle était l’histoire dans laquelle Lockwood avait malencontreusement mis
les pieds, alors que rien de sa terne vie ne semblait l’y destiner. Je ne parvenais
pas à me détacher du livre, comme si j’étais, moi aussi, convoquée par Emily
devant la fenêtre de ce mystérieux cabinet situé entre deux mondes, et sommée
de répondre à une question : comment me serais-je comportée à la place de cet
avorton de narrateur ? Si Emily croyait que je pouvais faire mieux que lui, elle se
trompait encore une fois de personne : j’étais tout à fait incapable d’écrire. Elle
devait toutefois se douter que je n’aurais pas pu rester insensible aux suppliques
de la revenante : « Let me in ! Let me in ! Cela fait vingt ans que j’erre sur la
lande abandonnée ! » Que j’aurais probablement ouvert toute grande la fenêtre,
attrapé son frêle poignet et tiré dessus pour l’aider à entrer. Mais de là à prendre
le risque de le voir se détacher du reste du corps et rester dans ma main, c’était
très improbable, même s’il s’agissait d’un fantôme.
D’un autre côté, le cabinet de Cathy m’attirait d’autant plus que personne
n’avait le droit d’y entrer depuis sa mort, sauf Heathcliff. C’était l’occasion
unique de tenter ma chance, car Emily semblait prête à m’en ouvrir les portes.
Elle me connaissait un peu, depuis le temps que nous nous fréquentions, et je la
sentais étonnamment confiante, comme si elle me disait : « Vas-y, entre et n’aie
pas peur ! Nous verrons ! Nous verrons ! … »
Tout, du reste, désignait cette chambre d’enfant comme un lieu exceptionnel :
les adultes rêvaient d’y dormir et Heathcliff choisissait de mourir là. On le
découvrait un matin, allongé sur le lit, le visage ruisselant de pluie et tourné vers
la fenêtre grande ouverte ; des giboulées se déversaient sur le sourire d’extase
qui planait sur ses lèvres, ne laissant guère de doute sur ce qu’avait dû être sa
dernière vision : il avait ouvert à Cathy et elle était venue.
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