Extraits

—Vous supposez trop de choses, monsieur le duc, répondit-elle d'un ton très digne. Vous ne me connaissez pas du tout.

—Mais je ne demande qu'à vous connaître, répliqua-t-il avec un sourire espiègle.

Alex Ridgely ne veut pas se marier, jusqu'au jour où une jeune femme se jette sous les roues d'un fiacre pour sauver la vie de son neveu. Mais elle est femme de chambre et il est duc.

Quand le carrosse s'arrêta devant le perron des Blydon, le soleil s'était levé et la ville de Londres se réveillait. Alex sauta à terre, et entraîna Emma derrière lui.

—Il est inutile d'être aussi brutal, Votre Grâce ! lança-t-elle, indignée, en trébuchant sur les marches.

Alex fit volte-face et lui prit le menton dans la main afin qu'elle ne puisse se dérober à son regard.

—Je m'appelle Alex. Et comme nous serons mariés dès ce week-end, j'aimerais que tu t'en souviennes.

—Ce week-end ?

Sans répondre, il tambourina à la porte.

—Alex, pour l'amour du ciel ! J'ai une clé ! s'exclama Emma en lui agrippant le bras.

Elle sortit la clé de sa poche et ouvrit la porte.

—Maintenant, veux-tu partir ? Je vais monter dans ma chambre.

Alex lui sourit d'un air malicieux, et se mit à crier :

—Henry ! Caroline !

—Que fais-tu ? Tu veux donc ruiner ma réputation?

—Ce que je veux, c'est t'épouser.

—Que se passe-t-il, ici ?

Emma leva les yeux. Henry et Caroline se tenaient sur la galerie et les dévisageaient, à la fois choqués et intrigués.

Alex mit les mains sur les hanches

—J'ai compromis votre nièce, annonça-t-il. Voulez-vous la convaincre de m'épouser, je vous prie?

—Cette situation est vraiment très étrange, déclara Caroline, sans ciller.

—Oui, Smithers ? fit Alex sans lever les yeux des documents qu'il examinait.

—Une jeune fille sans chaperon demande à voir Votre Grâce.

Alex jeta à son majordome un regard perçant.

—Je ne connais aucune jeune fille susceptible de venir me rendre visite sans chaperon, dit-il en se remettant à feuilleter la liasse de documents.

—Très bien, Votre Grâce.

Smithers fit mine de sortir puis s'arrêta brusquement.

—Votre Grâce en est-elle certaine ?

—Certaine de quoi, Smithers ? demanda Alex, passablement irrité.

—De ne pas connaître cette jeune fille... Elle semblait très... euh... sérieuse.

—De quoi a-t-elle l'air, Smithers ? s'enquit Alex pour faire plaisir au majordome.

—Elle est petite, et ses cheveux sont d'un roux brillant.

—Quoi?

Alex se leva si vivement qu'il se cogna le genou contre son bureau.

Le regard du majordome s'adoucit, et il ajouta :

—Elle a les plus jolis yeux violets que j'aie vus depuis que Mme Smithers a quitté ce monde il y a sept ans.

—Seigneur, Smithers ! Vous ne pouviez pas le dire plus tôt ?

Alex sortit du bureau comme une flèche et dévala l'escalier. Smithers le suivit d'un pas plus mesuré.

—Je ne savais pas que la couleur des yeux de ma chère épouse plaisait autant à Votre Grâce, dit-il en souriant.

—Chut! dit-il en lui posant un doigt sur les lèvres. Je voulais vous rendre heureuse, et je n'ai réussi qu'à vous rendre triste. Et si je vous taquine, c'est parce que je préfère vous voir en colère plutôt que triste.

—J'aimerais que vous n'ayez plus recours à ce genre de tactique, marmonna-t-elle, le visage contre sa poitrine.

—C'est promis. Mais... aviez-vous déjà vu une pièce se vider aussi vite ? Apparemment, je n'étais pas le seul à vouloir provoquer un tête-à-tête. Je parie que ma mère a mis moins de dix secondes pour atteindre la salle à manger.

—Certainement. Et j'ai même cru que dans sa hâte, oncle Henry allait tirer Belle par les cheveux. Je n'aurais jamais cru cela de lui.

—C'est que tante Caroline est effrayante quand elle se met en colère. Oncle Henry veille soigneusement à ne pas la provoquer ; il tient trop à son existence paisible. (...)

La musique s'arrêta, et Dunford prit le bras de Belle pour la ramener sur le côté de la salle.

—Mais sa méfiance pour les femmes l'a conduit à éviter le mariage aussi longtemps que possible.

Et je le soupçonne même d'avoir oublié l'origine de son aversion pour cette institution.

—Je n'ai jamais rien entendu d'aussi stupide !

Avant que Dunford ait pu répondre, un rire grave résonna derrière eux.

—J'ai entendu beaucoup de choses stupides dans ma vie, Belle. Et je serais curieux de savoir ce que vous trouvez de si stupide que cela !

Horrifiée, Belle vit Alex s'incliner devant elle pour l'inviter à danser.

—Eh bien... hum... Dunford pense que dans les opéras... hum... il devrait y avoir moins de chants.

—Oh ! Vraiment ?

—Oui, il trouve qu'il devrait y avoir davantage de dialogues.

—Allons, ma chère. Ne boudez pas. Soyez honnête envers vous-même. Vous détestez vraiment parler avec moi ?

—Non, pas vraiment.

—Détestez-vous ma compagnie ?

—Eh bien... pas vraiment non plus.

—Alors, quel est le problème ?

—Eh bien..., dit-elle en se retournant lentement vers lui. Je ne sais pas au juste.

—Parfait ! s'exclama Alex en posant le bras sur le dossier du canapé. La question est réglée. Nous n'avons pas de problème.

—C'est justement ça, le problème! répliqua Emma. Vous décidez qu'il n'y a pas de problème, donc, l'affaire est réglée. Et si je pense, moi, que nous en avons un ?

—Mais puisque vous venez de dire qu'il n'y en avait pas !

—Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que je ne savais pas quel était ce problème. Et maintenant je le sais.

—Donc, nous avons un problème.

Elle se leva pour aller s'asseoir dans un fauteuil.

—Et donc, quel est ce problème ?

—Vous êtes beaucoup trop autoritaire, répondit-elle en croisant les bras.

—Vraiment ? Eh bien, il se trouve que vous avez besoin d'autorité. Regardez ce qui arrive quand vous êtes livrée à vous-même... Je vous trouve inconsciente, dans la rue !

Furieuse, Emma bondit de son fauteuil et se mit à arpenter le salon.

—Vous m'avez trouvée inconsciente parce que j'ai sauvé la vie à votre neveu? Vous auriez préféré que je le laisse se faire piétiner?

—Oublions ça, marmonna Alex. C'était un mauvais exemple.

—Si vous vous ennuyez trop, seule ici, il faut que vous veniez vous installer chez nous avec Charlie. Nous avons beaucoup de place, et ce doit être terrible d'être seule quand on attend un enfant.

—Au cas où vous l'auriez oublié, lady Arabella, Sophie a de la famille qui s'occupe d'elle, intervint Alex d'un ton hautain. Si elle doit s'installer chez quelqu'un, ce sera chez moi.

—Mais peut-être aura-t-elle envie de compagnie féminine, répliqua courageusement Belle.

—Je suis sûre que M. le duc pourra lui procurer de la compagnie féminine, marmonna Emma.

« —Savez-vous, Alex, que vous avez une réputation de séducteur ?

—Une réputation que je suis en train de perdre avec vous, murmura-t-il.

Emma continua, sans l'entendre :

—Deux douzaines de femmes au moins sont venues me mettre en garde contre vous.

—Je regrette que personne ne soit venu me voir moi, pour me mettre en garde contre vous, répliqua-t-il en soupirant. 

—Pardon ?

Il se pencha vers elle, et son regard vert devint grave.

—Je crois que je vais vous embrasser.

—Me... m'embrasser? balbutia Emma, perdant brusquement toute son assurance.

Il contempla son visage délicat auréolé de cheveux roux en désordre. Ses yeux violets étaient écarquillés de surprise.

—Emma... je dois vous embrasser. Vous comprenez cela ?

Elle esquissa un signe de tête incertain.

Alex posa les yeux sur ses lèvres pulpeuses. Rien, en dehors d'une soudaine catastrophe naturelle, n'aurait pu l'empêcher de l'embrasser. Ce fut sa dernière pensée rationnelle, avant qu'il ne pose doucement les lèvres sur celles de la jeune femme. »

— Oh ! Emma…, finit-il par dire, haletant. Si vous saviez ce que vous me faites.