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« Stan sait déjà beaucoup de choses. Beaucoup trop. Comment j'ai fait pour en arriver là ? Il y a l'enfance. D'accord. Mais juste après il y a l'hostilité du monde. Il faut le savoir. Est-ce que Stan était déjà sorti de l'enfance ? J'espérais bien que non. Il jouait au grand mais il dormait comme un enfant sans jambes, un qui a peur encore, qui veut pas prendre trop de place et se faire remarquer. »
Afficher en entier« On avait pris le car, le dernier car du soir, pour que personne nous voie. Avant de partir les enfants avaient goûté, j'ai remarqué qu'ils finissaient pas le pot de confiture et j'ai pensé que cette confiture allait rester pour rien, c'était dommage, mais je leur avais appris à pas gâcher et à penser aux lendemains. »
Afficher en entierLe car on l'a pas attendu trop longtemps heureusement et personne nous a vus partir. Ca faisait un drôle d'effet de quitter la ville, de la laisser pour aller dans un endroit inconnu, surtout que c'était pas les vacances et ça, ça trottait dans la tête des gosses, je le sais bien. On était jamais partis en vacances, on avait jamais quitté la cité et tout à coup la vie était nouvelle, j'avais le ventre noué, j'avais soif tout le temps, tout m'agaçait mais je faisais de mon mieux, oui vraiment de mon mieux pour que les mômes s'aperçoivent de rien. Je voulais qu'on s'embarque et qu'on y croit à fond.
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J’ai payé les places avec le dernier billet de cent qu’il me restait et on s’est assis au fond, les gosses et moi, avec nos sacs de sport à nos pieds, je les avais bourrés d’habits chauds pour les mômes, il y en avait trop je sais mais ça avait été une sorte de panique de faire ces sacs, je peux pas expliquer. Je voulais tout mettre, je savais que ça servait à rien, je voulais que ça nous accompagne, des choses de chez nous, familières, dans lesquelles on se reconnaît au premier coup d’œil. Kevin voulait que je prenne ses jouets aussi, mais j’ai pas voulu, je savais bien qu’on allait pas jouer.
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Ça tournait dans mon crâne, ça se bousculait, je connais bien ça, ça annonce les sales pensées, celles qui m’emmènent directo où il faut pas aller, des sentiments que je ressens jamais quand je suis réveillée, oui, il y a des choses que je sais faire qu’en dormant, je les trouve dans le sommeil, c’est là qu’on a rendez-vous. J’ai enfoncé ma tête dans l’oreiller pour que ça s’en aille mais ça cognait plus fort. C’était noué. Lourd. Les retrouvailles avec mes monstres. Des bêtes à pinces, des petits cancers rampants qui cherchent à me sucer le sang. Ces choses-là me disent toujours que ça va pas, que ça va pas du tout, que tout est raté et que ça peut devenir pire, quelque chose d’effrayant m’attend et c’est de ma faute, je m’y suis mal prise et il est trop tard pour moi. J’essaye de me battre contre ça, de réveiller une voix qui dit que c’est pas vrai, rien va venir me dévorer, j’ai pas fait des erreurs si graves, c’est rien que des bêtises de môme, des gaffes sans importance, ça pourrait faire rire, ça devrait faire rire, je fais ce que je peux, je suis pas un colosse, une mère parfaite sur qui tout glisse sans laisser de cicatrices – je sais bien qu’il y a des gens jamais blessés, tant pis je serai jamais comme eux, faut en prendre mon parti.
Afficher en entierJ'ai tout quitté, la ville et moi avec : mon corps était sans poids, sans douleur, je m'enfonçais dans quelque chose de doux et je me défaisais de la peur, de la colère et de la honte aussi. J'étais arrivée dans un monde où j'ai ma place réservée. Ni endormie ni réveillée, je suis une plume. Ni endormie ni réveillé, je me défais, je m'étale, une bobine qui se déroule. Pourquoi est-ce qu'après j'ai basculé ? Pourquoi est-ce qu'après je me suis mise à rêver ?
J'ai rêvé de la mer, je me souviens, de Stan qui courait vers la mer, dans la mer, sans se noyer et moi qui avais plus de mots pour lui demander de revenir... Où était Kévin, je ne sais pas, je le sentais sans le voir, on aurait dit que la mer était là que pour Stan et qu'ils se comprenaient si bien tous les deux qu'elle ne pouvait pas lui faire de mal. Quand on les comprend les choses sont bonnes, elles sont de notre côté, sitôt qu'on les comprend plus ; les choses nous font du mal. J'ai continué à guetter Stan, à le chercher loin sur la mer, à le vouloir absolument sans pouvoir parler, et le sommeil était plus un refuge, simplement un endroit. Un endroit où tout peut arriver, tout peut vous sauter dessus et vous descendez, vous descendez quelque part, profond, personne pour vous rattraper, juste une descente. J'y suis allée. Ecrasée. Punie. Rendue.
Quand je me suis réveillé, il faisait presque nuit dans la chambre, le ciel était plein de nuages noirs, le temps avait empiré. J'avais quatre garçons : ceux du sommeil et ceux dans la chambre, à côté de moi. Les quatre se connaissaient pas, y avait que moi pour les confondre, savoir à quel point c'est possible de naviguer d'un monde à l'autre avec la douleur qui rôde.
Afficher en entierLa pluie tombe des lumières, à dit Kevin, Stan s'est moqué de lui, moi j'ai trouvé ça mignon.
Afficher en entierQuand on les comprend les choses sont bonnes, elles sont de notre côté, sitôt que ça s'embrouille, je l'ai remarqué, sitôt qu'on les comprend plus, les choses nous font du mal.
Afficher en entierLe matin avait pas l'air de venir, la nuit les heures s'étirent, elles restent accrochées les unes aux autres, toutes pareilles, rien qui les distingue c'est pour ça que c'est si long et c'est pour ça qu'on peut s'y perdre.
Afficher en entierEn général les gens m’écœurent. Ce que je voudrais c’est qu’ils soient comme les mômes : qu’ils aient plus de questions que de réponses, mais c’est souvent l’inverse, où est-ce qu’ils ont appris toutes ces certitudes ?
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