Botchan

Je détestais Cabot. La meilleure chose qu’il aurait pu faire pour le Japon aurait été de quitter le rivage et d’entrer dans la mer, avec un bloc de pierre1 au cou. Quant à Tricot rouge, sa voix n’était pas à mon goût. Il affectait des manières doucereuses en masquant artificiellement son vrai timbre. Mais malgré tous ses efforts, son visage restait un désastre. La « Madone » qui s’était entichée de lui devait être un cas. Pourtant, ne serait-ce que parce qu’il était censeur, il disait des choses plus subtiles que Cabot. En rentrant à la maison, je réfléchis à ce qu’il m’avait exposé, et ça avait l’air de se tenir plus ou moins. Comme il ne s’était pas exprimé de manière transparente, je ne pus que deviner, mais il me sembla qu’il me disait de me tenir sur mes gardes car Porc-Épic n’était pas un type bien. S’il en était ainsi, il aurait dû le déclarer clairement, autrement ce n’est pas digne d’un homme. Et puis ils feraient mieux de renvoyer au plus vite un aussi piètre professeur. Ce censeur avait beau être licencié en littérature, c’était un ringard. Il n’avait jamais le courage de nommer ouvertement ceux qu’il calomniait : c’était bel et bien une mauviette. Les mauviettes passent pour gentilles, et donc ce Tricot rouge aussi avait une gentillesse féminine. La gentillesse est une chose, la voix en est une autre, et si une voix ne nous plaît pas, ce n’est pas une raison pour nier sa gentillesse. Néanmoins notre bas monde est une chose extraordinaire, car des types qu’on ne peut pas blairer sont finalement gentils et des amis avec qui on sympathise se révèlent des lascars, voilà qui fait de nous des dupes ! C’est probablement parce que j’étais au fond de la province que tout allait au revers de Tôkyô. C’était un endroit déstabilisant. Bientôt l’incendie pouvait devenir glace et la pierre molle comme du tofu. Mais ce Porc-Épic n’était pas du genre à s’amuser à fomenter un chahut avec les élèves. Comme c’était, disait-on, le professeur le plus populaire, s’il avait voulu le faire, il l’aurait pu, d’abord sans s’embarrasser de l’ennui de devoir recourir à un procédé aussi détourné, mais en m’attaquant de plein fouet, par une franche dispute. Si je l’indisposais, il suffisait qu’il me dise « Écoute, à cause de telle et telle chose, tu dois démissionner ». Il n’y a rien qu’une discussion ne puisse débrouiller. Si je pensais ses reproches fondés, je démissionnerais dès le lendemain. Je saurais bien ailleurs me mettre aussi quelque chose sous la dent2 ! Aussi loin que j’aille, je ne me laisserais pas mourir de faim comme un clochard. Même avec Porc-Épic, inutile de parler.