Extraits

- Nous sommes les ambassadeurs des autres réfugiés, déclare-t-il au micro. Nous n'oublierons jamais cette chance que vous nous avez donnée. Nous ne sommes pas des mauvaises personnes. Réfugiés, ça n'est qu'un nom.

Sven se renfrogne. Je pouffe, mais réalise en même temps que je suis en sécurité ici. Aucune bombe ne va exploser dans la rue et fracasser toutes les vitres du restaurant. Je n'ai pas besoin de me tenir prête à plonger à couvert au premier sifflement d'obus. Je me rends compte que Sven et les autres ne comprennent pas pourquoi nous pouvons rire de ce qui nous est arrivé. Ce n'est pas que nous nous en moquions. Simplement, il est plus facile d'en rire que d'en pleurer. Pleurer c'est une chose qu'on fait seul. Alors que rire on peut le faire à plusieurs. J'imagine qu'on ne peut pas connaître sa force tant qu'on n'a pas eu à faire face à la tragédie.

- Nager. Je veux nager aux Jeux Olympiques.

- Exactement, nager, répète Sven. Aux Jeux Olympiques. Alors dis-moi. Quelle importance, de savoir sous quel drapeau tu nages?

Je reste assise en silence, à ruminer la question. C'est ce mot:"réfugié"...Et les bombes, la mer, les frontières, les barbelés, les vexations et la bureaucratie. Et oui, il y a aussi cette désagréable impression qu'on me fait la charité.

- Yusra, réfléchis un peu, insiste Sven. C'est l'occasion d'accomplir ce que tu désires le plus au monde. Tu pourrais nager. Tu participerais à la compétition. Et pas n'importe laquelle. Les Jeux Olympiques. Ton rêve.

Je déclare à Sven que j'ai besoin de temps pour réfléchir. Mon entraînement du lendemain passe en pertes et profits. Je ne pense qu'à cette équipe, à ce mot de réfugiée, aux Jeux Olympiques. Plus j'y réfléchis et moins j'apprécie cette idée. Et puis, à l'instant où j'estime avoir décidé de refuser, voilà que je change d'avis. Et si c'était ma chance d'améliorer les choses, ne serait-ce qu'un tout petit peu? Si je pouvais servir de modèle pour d'autres? Leur montrer que même si votre vie vole en éclats sous les bombes, vous pouvez vous relever, redresser la tête et continuer.

"Quoi qu'il arrive, je me relèverai. Je mangerai. Je survivrai. Et j'emergerai de ma chrysalide sous la forme d'un papillon."

"Nous sommes des êtres humains [...] Nous ne sommes pas que des réfugiés. Nous sommes comme tous le monde. Nous pouvons faire quelque chose, accomplir quelque chose. Nous n'avons pas choisi de quitter notre pays. Nous n'avons pas choisi ce nom de réfugiés."

- Yusra, tu as un choix à faire, me dit la voix. Et tu dois te décider très vite. Soit ru restes ici. Soit tu retournes dans ton pays souffrir avec les autres. Il faut prendre une décision, Yusra. Et il n'y a que toi qui puisses le faire.