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Tout en parlant, elle avait pris place sur le canapé. En raison de la chaleur estivale, elle avait décidé de se passer de redingote pour sa promenade quotidienne, de sorte qu’elle n’avait, avec sa jupe d’amazone, qu’un chemisier de fine mousseline blanche. Et, avec ses boucles un peu folles, elle faisait songer à une collégienne en vacances. Pourtant, à dix-neuf ans, elle était déjà presque une jeune femme qui aurait dû effectuer sa deuxième saison dans l’élégante société londonienne. Elle attendait la réponse de son frère à sa question et sentait que le jeune homme la considérait avec une attention quelque peu critique.
Afficher en entierLui adressant un sourire éblouissant, elle pivota vivement sur ses talons et s’en fut, légère, en direction de la porte. Il la regarda s’éloigner : elle était encore plus belle que lors de sa dernière visite. Sans doute ne devrais-je pas lui demander ce service, se dit-il ensuite avec une pointe de remords. Mais je ne vois personne d’autre qui puisse me le rendre. Et après tout, cela ne peut lui faire aucun mal.
Afficher en entierCarola aurait voulu lui dire qu’elle rêvait surtout d’une maison pleine d’amour. Mais sans doute aurait-il trouvé bien naïf, de la part de sa fille, de parler d’amour alors qu’elle n’avait encore que dix-sept ans. Aussi préférait-elle le suivre dans la bibliothèque pour déballer et ranger les livres qui venaient d’arriver de Londres.
Afficher en entierLa jeune fille gravit en courant les marches du perron et franchit la grande porte ouverte. Le hall était vide mais le salon était ouvert. Elle s’y précipita et trouva son frère debout au fond de la pièce. Une pièce qui était rarement utilisée depuis la mort de son père, pour qui elle avait été comme une sorte de sanctuaire. Aux murs étaient accrochées des scènes de chasse, des gravures qui avaient fait l’admiration et la joie de Peter et de Carola depuis leur enfance.
Afficher en entierPendant la maladie de sa mère, et durant la longue année de deuil qui avait suivi sa mort, on n’avait bien sûr adressé que peu de compliments à la jeune fille, et elle n’avait pas conscience de sa beauté. Néanmoins, la dernière fois que Peter était venu à la maison, il lui avait déclaré non sans une imperceptible nuance de remords, qu’il songerait bientôt à faire quelque chose pour elle. Il calculait que si elle acceptait de venir à Londres, il trouverait bien une personne de confiance pour la chaperonner et la présenter à la Cour. Toutefois, il se disait qu’il n’avait pas le droit de lui donner de vains espoirs. Il devait d’abord s’assurer qu’ils pourraient se réaliser. Il avait déjà essayé de convaincre une ou deux des jolies femmes avec qui il dînait souvent ; mais elles lui avaient discrètement fait observer qu’elles avaient des enfants en bas âge dont elles devaient s’occuper. Il avait compris qu’elles ne s’intéressaient à lui que parce qu’il était beau garçon, mais qu’elles n’avaient nulle envie d’écouter l’histoire triste de sa jeune sœur élevée à la campagne.
Afficher en entierIl s’écoulait parfois plusieurs semaines sans qu’elle vît personne, à l’exception des villageois et du curé de la paroisse. Elle aurait trouvé cette quasi-solitude fort pénible si elle n’avait eu le loisir de puiser dans la vaste bibliothèque héritée de son père, lequel, comme ses ancêtres, l’avait enrichie tout au long de sa vie. Et il y avait toujours quelque chose que Carola avait envie de lire. Chaque soir, elle emportait un ouvrage dans sa chambre et, confortablement installée dans son lit, elle le dévorait jusqu’au moment où elle tombait de sommeil.
Afficher en entierCarola fut bientôt en vue de Greton House. La demeure avait subi de nombreuses modifications depuis sa construction, à l’époque de la reine Anne, et il était à présent difficile d’imaginer qu’elle datait du début du XVIIIe siècle. Néanmoins, certaines pièces comportaient encore des murs de deux pieds d’épaisseur et des fenêtres munies de petits carreaux en losange. Les plafonds en étaient si hauts que le père de Carola avait coutume de dire autrefois, en manière de plaisanterie : « Du moins puis-je garder la tête haute ! » Car il était très grand, tout comme l’était actuellement son fils Peter.
Afficher en entierTout en poursuivant sa promenade, Carola se félicitait de son sort et remerciait le ciel de pouvoir habiter une demeure – certes, bien plus modeste – mais où sa famille paternelle avait vécu durant des générations. C’était sous le règne de Jacques II qu’un lointain ancêtre avait reçu du roi le titre de baronnet, et son frère Peter était actuellement le 6e du nom. Il était d’ailleurs extrêmement fier, non seulement de son nom, mais aussi de son domaine, bien qu’il fût moins important, et de loin, que celui du marquis. Ce dernier ne venait presque jamais dans la région, aussi ne pouvait-il voir la désolation des terres en friche et des haies que l’on ne taillait plus. Les gardiens devaient aussi ressentir durement l’absence de leur maître.
Afficher en entierCarola, sur sa pouliche alezane, longeait la route qui passait devant Brox Hall au petit trot. Et comme elle le faisait chaque fois, elle se disait qu’il n’y avait pas plus belle demeure. Construite au milieu du XVIIIe siècle, Brox Hall appartenait sans conteste à la période architecturale qu’elle appréciait le plus, avec ses magnifiques statues qui se découpaient contre le ciel, sur les toits.
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